Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 9 décembre 2013

Trop tard

Trop tard pour faire de la pub. 
Mais ceux qui n'ont rien à faire demain soir peuvent se rendre au lancement dur ecueil "un dimanche à table" dans lequel sera publiée une de mes nouvelles. 

Les infos sont là !




dimanche 8 décembre 2013

Cent vies et des poussières, de Gisèle Pineau

Cent vies et des poussières, de Gisèle Pineau, paru chez Folio, ce sont les cent grossesses, les cent bébés auxquels Gina voudrait donner naissance. Naissance seulement, et puis encore quelques mois, au mieux quelques années. Parce qu'une fois que ses enfants tiennent debout, Gina s'en désintéresse, ils l'embarrassent, et elle pense déjà à la grossesse suivante. Ce qui rend cette jeune femme heureuse, ce n'est pas d'être mère c'est d'être enceinte.  

En fait, l'enchaînement des naissance et des abandons n'est qu'un prétexte dont Gisèle Pineau se sert pour décrire la vie d'un quartier défavorisé de Guadeloupe. Sa volonté de représenter les habitants de la Ravine Claire, représenter au sens démocratique, presque institutionnel du terme, encombre le livre de Gisèle Pineau. Cent vie et des poussières souffre d'une écriture parfois maladroite qui devrait nous agacer et d'une construction parfois répétitive qui devrait nous éloigner. Mais ces imperfections, au contraire, rendent le livre sympathique, tout comme on préfère un élu local un peu maladroit à la roublardise d'un politicien professionnel. Ce qu'on perd en style, on le gagne en véracité, en proximité. On entre dans les maisons, dans les cuisines, dans les chambres à coucher. Pas en voyeur, non, en voisin, en confident d'une jeune femme complètement dépassée par un désir animal, hormonal, violent, même. Une force issue des profondeurs de l'évolution : l'irrépressible désir de donner la vie. 

Les mauvaises langues disent qu'elle fait des enfants pour les allocations, que les grossesses sanctionnent des plaisirs illégitimes, mais c'est confondre les causes et les conséquences. C'est bien l'appel de la maternité qui pousse Gina à chercher des hommes. Quand leur travail, non de père mais de reproducteur est enfin accompli, elle les repousse et cherche comment assurer la subsistance de sa trop nombreuse descendance. 

En creux, parce qu'elle décrit les conséquences de l'absence des hommes, Gisèle Pineau milite pour la place du père, dans cette société dont le machisme cache mal le fonctionnement matriarcal. 

La lignée, ici, se dessine donc bien entre la grand-mère, Izora, matrone déclinante pour qui les morts sont moins absents que les vivants, Gina la mère téléguidée par son insatiable uterus, et Sharon, la petite fille, à travers les yeux de laquelle le récit nous est raconté.

Le dernier tiers du livre présente un défaut d'architecture évident, et le rappel de l'histoire des esclaves marrons n'apporte pas grand-chose. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Gisèle Pineau aie confiance en ce qui fait la grandeur de son projet : sa capacité à soulever des enjeux immenses sans grandiloquence ni discours théorique, juste en décrivant la vie d'un quartier pauvre de la lisière caribéenne de notre société. Parce que Gina n'est pas une métaphore de la Guadeloupe, elle est une métaphore de l'humanité toute entière. Elle évoque notre incapacité collective à maîtriser notre démographie, parce que chaque vie que nous donnons nous donne l'illusion que nous la vivrons. Sharon, elle, du haut de ses douze ans a bien mieux compris que la meilleure façon de vivre Cent vies et des poussières c'est de les lire, puis, de les écrire, comme l'a fait Gisèle Pineau dans son dernier roman disponible chez Folio.


Le fichier audio est maintenant chez mon hébergeur personnel, qu'est de l'or en barre, même que si j'étais Stéphane Eicher je chanterais "pas d'autre ami comme lui oh non non non", mais ça fait pas très hétérosexuel. Merci mec.

Donc c'est

TL ; DR : Un livre sur le désir d'être enceinte plus que d'être mère, assorti d'une description sans pitié de la Guadeloupe d'aujourd'hui. Cruel et parfois mal construit, mais pas si mal. 

samedi 16 novembre 2013

Le temps, bordel.

Le temps et l'argent partagent cette propriété paradoxale : moins on en a, plus on en perd. On veut aller vite, parce que le boulot, le ménage, les factures, les trajets en voiture, bref, parce que la vie nous dévore la vie. Mais ce qui est bon marché coûte cher, et ce qu'on fait à la va-vite prend du temps.

Lorsque j'enregistre les chroniques pour Des Poches Sous Les Yeux, j'essaie de faire vite. Et comme je suis tout sauf un journaliste professionnel, je bafouille, je m'y reprends à deux fois, trois, quatre. À chaque bégaiement, chaque grommellement, à chaque syllabe ratée, je m'arrête, et je produis un claquement de langue sec, afin que dans mon logiciel de montage, la forme d'onde montre un trait vertical qui indique l'endroit où je dois couper. Quand c'est trop pourri, je m'arrête et je recommence dans un autre fichier. Je garde toutes les versions laborieusement enregistrées et je me dis : "je monterai ça". Et je monte. Je coupe, je colle, je raccourcis, j'équalise. Mais ça s'entend. Et je reçois des mails gentils, gênés : " Pour être tout à fait juste, il y avait 2-3 problèmes pas très graves de lecture dans la version sonore. Genre des phrases longues que tu coupes avec une respiration à un moment assez inadéquat."

Alors je soupire. L'expiration commence dans un "eh merde, il va falloir y retourner", et se termine avec "bon, au moins, il y en a qui écoutent, et ils ont l'oreille." Le lendemain, je n'y suis pour personne, je reprends tout à zéro, je répète, j'enregistre, jusqu'à obtenir une version à peu près potable, sur laquelle le montage sera cosmétique, c'est à dire, comme tout maquillage de bon goût, invisible, inaudible.

Évidemment, ce n'est jamais parfait. Parce que c'est un métier. Et pas le mien. Ce n'est jamais parfait parce que je ne peux faire ça qu'en rentrant le soir, après les heures passées "au travail". Un travail pas pire qu'un autre, mais pas meilleur ; c'est à dire un travail qui permet de vivre et qui empêche d'écrire.


Allez, après une chronique pareille, faut rigoler un peu, donc bonus / malus !

mardi 5 novembre 2013

À tombeau ouvert, de William Styron, chez Folio

Oh, et puis merde, j'avoue, je n'ai aucune culture. Je n'avais jamais entendu parler de William Styron, l'auteur du recueil À tombeau ouvert, paru chez Folio. J'ai pris À tombeau ouvert dans mon interminable pile des livres à lire en pensant que ça avait un rapport avec le film de Martin Scorcese dans lequel on peine à croire que ce type qui joue si bien soit Nicolas Cage. Sur la quatrième de couverture Folio précise qu'il s'agit de nouvelles inédites ou jamais rééditées, et je me suis dit : « voilà un auteur mort dont on a raclé les fonds de tiroir pour racketter ses lecteurs inconsolables. »

Et puis j'ai ouvert le livre et j'ai lu : « Au milieu des tourbillons malodorants et des courants dangereux qui se forment au confluent de l'Upper East River et du détroit de Long Island se trouve une petite île basse. Sur la plus grande partie de sa longueur s'étendent d'anciens bâtiments carcéraux ; morne et usée par le temps, elle se distingue à peine de la dizaine d'autres îles occupées par des prisons et des hôpitaux qui donnent aux fleuves de New-York un tel air d'abandon et, particulièrement au crépuscule, une apparence de mélancolie et de résignation. »

Comme un processus qui s'exécute en tâche de fonds, et dont on ne soupçonne la présence que parce que l'ordinateur dont on se sert pour autre chose réagit avec une lenteur inhabituelle, le monde de William Styron se développe et colonise le cerveau de manière autonome. Les heures passées au bureau paraissent plus longues, plus absurdes, parce qu'elles empêchent de retrouver le style précis élégant avec lequel Styron décrit l'ambivalence des sentiments qu'ont provoqué en lui les années longues et absurdes qu'il a passées au sein du corps des marines.

Il décrit le mélange de courage et de peur rentrée, de bravoure et de virilité inutile, il décrit la menace, la saleté, le froid, l'amitié, la solitude, ces ingrédients que les guerres mélangent avec violence et dont elles extraient l'horreur autant que l'héroïsme.

Qu'est ce qui rend cette lecture si nécessaire ? On est loin de l'addiction réfléchie et calculée des page-turners, ces thrillers efficaces dont les auteurs cyniques maîtrisent les techniques de manipulation susceptibles de créer une frustration artificielle mais efficace pour tenir le lecteur en otage. Au contraire, l'écriture délicate de William Styner distille les révélations sans effet de manche, et c'est dans une sorte de sidération douce qu'on encaisse ce qu'une écriture plus violente nous rendrait insupportable et donc inaccessible. Après avoir décrit la satisfaction esthétique que lui procure le ballet précis des artilleurs manipulant les obus de mortier, il nous cueille avec ces quelques mots :

« Bien-sûr, parfois, un mortier explosait pendant l'entraînement ; les conséquences étaient alors dévastatrices, tous ceux qui se trouvaient à proximité se faisant mutiler ou tuer. »


L'alternance entre l'amour et l'horreur, entre l'intime et le collectif, entre l'exil dans le pacifique et l'impossible retour dans le Sud des États-Unis, ce basculement perpétuel ne procède pas seulement du sens du rythme d'un écrivain doué mais d'une nécessité respiratoire, ample, puissante, inexorable comme une marée qui emporte le lecteur, l'empêche de s'arrêter, le pousse à lire dans le bus, au bureau, comme quand il se cachait sous les couvertures avec une lampe de poche après que ses parents avaient éteint la lumière de sa chambre. En fait, on aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que chacune des nouvelles de ce recueil fut un roman entier, et que le temps s'efface afin que ne s'arrête jamais la lecture de À tombeau ouvert, de William Styron paru chez Gallimard et disponible en poche chez Folio.  

En attendant une parution sur le site de Des Poches Sous les Yeux, le son est ici. 

Prix : 7,20 € en Folio Poche.

[Edit : merci aux lecteurs/auditeurs audionazis de m'avoir obligé à refaire une édition de la chronique audio. J'ai modifié le lien]

TL ; DR : un recueil de nouvelles sur l'univers des MArines américain. Un style impeccable, visuel, bouleversant, une puissance narrative rare. Un Must. 

vendredi 25 octobre 2013

Cyberpunk, de Mark Downham, chez Allia

Le présent ne ressemble jamais au futur tel qu'on le voyait dans le passé, l'article Cyberpunk, que Mark Downham a fait paraître en 1988 dans la revue Tom Vague, et qu'Allia ressort sous forme de petit livre rose, est là pour nous le rappeler.

Cyberpunk est truffé d'intuitions visionnaires, mais les termes ont mal vieilli. Mark Downham avait prédit ce déversement fascinant et effrayant d'images incontrôlables mais il avait appelé Youtube le vidéodrome et le terme évoque le ruban disparu de feues nos cassettes VHS. Bien-sûr, la lente dissolution du caractère subversif des réseaux informatiques dans le déterminisme technologique est une prophétie qui ne cesse de se réaliser. Mais Mark Downham lui donne le nom de métrophage, et on ne peut s'empêcher de sourire.

Bizarrement, plus que la technologie, c'est l'idéologie qui a vieilli. Les références aux tubes cathodiques et aux disquettes ont quelque chose de désuet, de touchant, alors que les allusions à Guy Debord ou à Jean Baudrillard virent à l'incantation post-marxiste à moitié hystérique. L'imprécation s'enferre dans un jargon de plus en plus touffu, de plus en plus opaque, au point qu'on se demande s'il ne faut pas arrêter la lecture lorsqu'on déchiffre la phrase suivante :

« Pour Debord, qui a donné au cyberpunk un sens théorico-critique de la praxis, l'aura et la virtualité du produit restaient liées à l'illusion de son absolue tangibilité. »

Mais la caricature est si forte qu'on finit par sentir sous le verbiage l'enfant qui se rassure en imitant les grands lorsqu'il rencontre une situation qu'il ne connaît pas, qui l'effraie, qui l' excite. Il ne comprend rien à ce qu'il dit, mais il le fait avec le plus grand sérieux. Et on le regardé, ému par la violence de sentiments qu'il pense être le premier à ressentir, attendri par le mélange de théorie mal digérée et de pop culture brandie comme un étendard. Debord côtoie Blade runner ; Baudrillard, Philipp K. Dick.


Bien-sûr on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, sentir un peu d'auto dérision, un peu de distance dans ce texte grandiloquent. Et elle vient. Mais à la toute fin du livre. Comme si Mark Downham n'avait finalement deviné qu'une chose, c'est que son article Cyberpunk, paru dans un vague Fanzine publié à la maison et distribué à l'arrache serait un jour ressorti par Allia, sans véritable travail éditorial, et vendu pour 6€50 sous une couverture rose vif. J'imagine Mark Downham se marrer en écrivant : « le cyberpunk est une analyse référentielle sur le pouvoir – l'identité – les psychologies- les futurs. Le cyberpunk est une vraie arnaque. »

En attendant l'acceptation par DesPochesSousLesYeux, le son est ici. 

TL ; DR : un article de MArk Downham à l'époque où le cyberpunk était un truc. Très vieilli, on le lira comme un témoignage de l'incapacité à prévoir l'évolution du monde, en particulier du monde numérique. 

mercredi 16 octobre 2013

Tête bêche, un roman de LIU Yichang paru chez Picquier Poche

On n'est pas si souvent dépaysé. Ni quand on voyage, ni quand on lit. Et comme je n'ai plus les moyens de voyager, j'attendais de Tête bêche, le roman de LIU Yichang paru chez Picquier Poche qu'il me dépayse.

Comme dans tous les voyages il faut d'abord dépasser la barrière de la langue. Celle de Liu Yichang, même traduite, laisse une impression étrange, un caractère direct, presque familier, qui rappelle les dialogues des films de Hong Kong, où se déroule d'ailleurs l'intrigue. Mais peut-on parler d'intrigue ? Ici pas de destin, pas de rebondissement, l'irruption du sens à l'occidentale est remplacée par l'éruption des sens. On entend crier au voleur, on voit un jeune homme aux cheveux longs s'enfuir dans la foule, on sent les odeurs de la rue, et la force de l'alcool nous fait parfois claquer la langue. Et toujours contre soi on sent le contact de la foule. Ou alors c'est parce que je lis debout, serré dans le bus ? Lorsque le mien pile, ceux de Hong Kong se rentrent dedans et ils sortent la jeune héroïne, A Xing, d'une rêverie où elle se voyait adulée par les foules, parfois actrice, parfois chanteuse, mais toujours au bras d'un mari auquel elle prête volontiers les traits d'Alain Delon. Malgré ses quinze ans, malgré la naïveté de ses rêveries de midinette, il y a déjà du cynisme chez cette adolescente Elle ne rêve pas d'amour, mais de porte de sortie. Le mariage est une alternative à l'usine, au travail en général, et la rêverie, un refus de l'avenir qui l'attend.

L'avenir, l'autre personnage de ce roman déambulatoire n'y pense plus. Le présent déjà, lui semble plus irréel qu'un passé qu'il n'a pas vu filer, comme il n'a pas vu la ville pousser si vite, si haut, si loin autour de son souvenir. Et l'oisiveté lui laisse tout le loisir de contempler l'ampleur de ses regrets. Sa femme qui n'a vu en lui qu'une alternative à l'usine, au travail en général, son fils qu'il n'a pas su connaître et qui n'enverra pas de carte pour Noël. L'ampleur de sa lâcheté quand il n'intervient pas face à ce père en deuil qui dilapide son chagrin en maltraitant son fils ; sans doute la plus simple des plus tristes scènes qu'il m'ait été donné de lire.

Et ce n'est qu'en refermant le livre que j'ai compris que c'est parce que le présent est trop dur à supporter que les héros se réfugient dans ce que la réalité leur laisse : pour la jeunesse, l'avenir, encore intact, encore possible, pour la vieillesse toute proche, le passé, qu'on contemple quand on tourne le dos à la mort.

Alors ce qui dépayse, ce ne sont pas les ingrédients, les même que chez nous finalement, c'est cette façon de ne pas les mélanger, de les superposer comme des matières non miscibles. Il en va de même de l'écriture. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que la phrase fut moins terre à terre, moins brute, mais c'est de l'agencement des séquences que naît une poésie de la construction, un mille-feuille délicat de douceur et de violence, de naïveté et de cynisme, d'espoirs et de regrets, une alternance subtile qu'on n'aperçoit qu'une fois qu'on a refermé le livre, comme on réalise qu'on a aimé un voyage seulement longtemps après, en lisant le journal qu'on tenait alors ou en regardant la photo d'une soirée qu'on avait oubliée.

Mais on n'oubliera pas Tête bêche, de LIU Yichang paru chez en poche chez Picquier Éditions, cette photo de Hong Kong, Hong Kong où je n'ai jamais mis les pieds mais dont il me semble maintenant que je l'ai connue, au début des années soixante-dix, quand je n'étais pas né.

La chronique audio, pour Des Poches Sous les Yeux, est disponible ici. 

TL ; DR : Itinéraire d'un vieil homme et d'une jeune femme dans un Hong Kong intemporel. C'est dépaysant, parfois magnifique, parfois trivial, parfois creux et parfois émouvant. 

samedi 5 octobre 2013

L'empreinte des choses Cassées, de Claire Gallois, paru au Livre de Poche

L'empreinte des choses cassées, de Claire Gallois, paru au Livre de Poche, c'est le discours d'une femme reçue à l'Académie Française. La quatrième de couverture nous le promet insolent, brusque et émouvant. Moi, en littérature, je suis prêt à tout accepter. Les enfants qui s'envolent après avoir mangé des limaces, les super-héros qui lancent des toiles d'araignée, et même le changement de sexe d'une héroïne élisabéthaine qui vit plus de quatre siècles. Mais un discours d'intronisation de 120 pages... Pour que ça marche, il faudrait vraiment une nécessité narrative impérieuse, ou alors qu'on ait envie d'y croire. Mais là, ça ne marche pas. Pas une seconde, pas une phrase à part la première.

« Mesdames, Messieurs... le protocole demande que ce discours en séance publique commence par un hommage au dernier mort en date, et l'usage voudrait que j'ajoute : ''dont j'ai scrupule à occuper la place''. »

Mais immédiatement, on comprend que Claire Gallois croit qu'il faut alourdir une phrase pour lui donner du poids. Et ça donne :

« Comme si, au cimetière, chacun n'ignorait pas son voisin, fût-il encore à clopiner loin de l'ambulance ou siégeant parmi vous. »

Je n'ai toujours pas compris ce qu'elle voulait dire.

D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris quelle était la motivation de la narratrice : se faire élire à l'Académie Française dans le seul but de dire qu'on préfère ne pas y siéger ? On n'y croit pas. Les personnages secondaires ? Mari bourgeois et amis bohèmes ? On n'y croit pas. Le dénouement grotesque qui tente de racheter par un paternalisme néo-colonial un inutile détour islamophobe ? On n'y croit pas. Pour paraphraser le titre d'un autre roman de Claire Gallois, c'est un livre cousu de fil blanc. Pourtant, la quatrième de couverture nous vantait la « liberté cinglante avec laquelle [Claire Gallois] assemble le réel et l'imaginaire. » Je me suis donc senti autorisé, après la lecture du livre, à aller chercher quelles distinctions Claire Gallois, membre du jury du prix Femina, avait refusé avec panache. Et je suis tombé sur un billet du blog qu'elle tient sur le site de Mediapart :

« Le 2 mai, j’ai reçu une belle lettre signée à la main « Nicolas Sarkozy ». C’était donc entre les deux tours de l’élection présidentielle, alors que nos deux candidats n’avaient pas une minute à eux dans la course aux meetings. Je la garde précieusement, comme un collector. Qui sait si je ne suis pas la dernière à avoir été nommée « officier dans l’Ordre national du Mérite » par le président ? […] J’ai aussitôt accepté cette distinction : pour mon petit-fils de six ans, voir grand-mère décorée, c’est aussi beau que si on lui remettait l’épée-laser de Spiderman. »


On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, pouvoir ajouter quelque chose de positif à cette chronique. Mais Spiderman n'a pas d'épée laser et Claire Gallois me prive de la posture de subjectivité distanciée et bienveillante derrière laquelle j'ai en général la lâcheté de m'abriter. Non, si quelqu'un mérite d'être décoré, aux éditions du livre de Poche, c'est l'auteur des quatrièmes de couverture dont le talent m'a donné envie de lire l'empreinte des choses cassées, le dernier, et on l'espère, ultime, livre de Claire Gallois.

La chronique audio est disponible ici. Je ne sais pas si Des Poches Sous les Yeux en voudra, car ils ont une vraie envie de surtout soutenir les livres qu'ils ont aimés, et ils ont raison.

TL ; DR : un vrai scandale, un livre sans aucun intérêt, moralement douteux. À jeter sans l'ouvrir, même si on vous l'offre. 

lundi 30 septembre 2013

Ministère des affaires étrangères : Jacques Derrida

J'ai chroniqué assez durement "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus", parce qu’il me semblait que Pierre Bayard y survalorisait le désir de montrer sa culture au plaisir hédoniste de la lecture. Le ministère des affaires étrangères a réglé pour nous ce dilemme en permettant au génie français de parvenir jusqu'à nos petites cervelles sous la forme de condensés élégants au sein desquels la pensée d'un membre mort de l'establishment philo-littéraire est embaumée par un membre vivant ( du moins lors de la rédaction de l'opuscule). 
Ces petits bijoux m'ont été rapportés de l'ambassade du Laos par un écrivain trop discret.  

Il m'a semblé juste de commencer par l'ouvrage consacré par Michel Lisse à Jacques Derrida. En effet, j'avais une image plutôt négative de Jacques Derrida : faiseur de phrase, gonflant les mots comme un Lacan  qui voudrait se faire plus gros que le Freud, philosophe verbeux recyclant à l'infini, assez pour faire croire qu'il était l'inventeur du terme déconstruction, ou que ce terme présentait une révolution conceptuelle majeure. 

Alors qu'en fait, c'est bien, bien pire que ça.  

Michel Lisse, citant Jacques Derrida citant Heidegger, ça donne : 

"[...] si la mort est bien la possibilité de l'impossible et donc la possibilité de l'apparaître comme tel de l'impossibilité d'apparaître comme tel, l'homme, ou l'homme en tant que Dasein, n'a jamais, lui non plus rapport à la mort comme telle, seulement au périr, au décéder, à la mort de l'autre qui n'est pas l'autre."

Plus loin, c'est trop loin. J'ai encore du mal à voir le progrès par rapport à Épicure qui écrivait il y a 23 siècles : 

" Ainsi le mal qui effraie le plus, la mort, n'est rien pour nous, puisque lorsque nous existons la mort n'est pas là et lorsque la mort est là nous n'existons pas."

Je tiens l'ouvrage à disposition pour ceux qui ont envie de rigoler un peu après un dimanche à table. 

lundi 23 septembre 2013

Zoyâ Pirzad, Le goût âpre des kakis. Le livre de Poche.


Je suis assis dans le bus et j'écoute. "Tu sais, le Elle c'est un journal féministe. Pourquoi tu dis le Elle ? On dit bien Le Monde, pourquoi on dirait pas le Elle ?Ah ouais, super féministe les photos retouchées de filles maigres. En plus y a que des belles la-dedans."

Je me maudis de ne pas avoir pris des boules Quies et j'ouvre Le goût âpre des kakis de Zoyâ Pirzad aux éditions Le livre de Poche. J'ai à peine le temps de me rappeler que j'aime le papier un petit peu grossier de ces éditions audacieuses et pas trop chères et tout disparaît. Le bus, l'espace, le temps, le Elle.

Leila et Roya choisissent des tissus pour se faire coudre des robes. Quelques mots, pas un de trop, et l'on a cerné les jeunes filles, leur amitié, comment elles sont le miroir antisymétrique l'une de l'autre. Et leurs fiancés. Et leur quotidien. L'Iran quotidien. C'est idiot, mais jamais je ne m'étais dit qu'en Iran aussi un camionneur pouvait dire « mon pote » à un jeune serveur qu'il venait de prendre en stop. On ne dit pas mon pote quand on est un élément de politique internationale. Mais là-bas aussi, des hommes deviennent amis sans un mot parce qu'ils pêchent au même endroit. Là-bas, comme ici, des jeunes dans des brasseries bondées, prennent des poses de dandy idéalistes et désabusés. Et ce qui se joue là-bas, comme ici, comme ailleurs, ce n'est pas le choc des civilisations, c'est le rapport entre les générations, entre les classes.

Mais surtout, là-bas, comme ici, comme partout, ce qui se joue, c'est le rapport entre les hommes et les femmes, ce rapport que Zoya Pirzad montre avec un féminisme pragmatique, un féminisme de situation. Pas besoin de théorie du genre, de rhétorique ronflante, il lui suffit d'une phrase

« La petite spécialiste de l'enregistrement des commandes a-t-elle changé les serviettes de la salle de bain ? »

C'est dit sans méchanceté volontaire, avec une tendresse condescendante infiniment pire, et ça nous force à voir qu'il existe encore, là-bas, comme ici, comme partout, des hommes pour qui la femme doit rester à sa place, c'est à dire, surtout pas à la leur.

Mais Zoya Pirzad est déjà passée à autre chose. Elle n'insiste pas, elle ne théorise pas, pire, elle ne condamne même pas : elle décrit. C'est la force de ce recueil de nouvelles : une musique vive, légère et légèrement mélancolique, impitoyable mais impitoyablement bienveillante. Elle renvoie dos à dos les jeunes femmes dont le désir d'émancipation n'exclut pas un romantisme de midinette, et les rouleurs de mécaniques qui tremblent encore devant le désir des mères, des femmes, des filles.


Bien sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que l'utilisation du flash-back soit un peu moins systématique, ou que les fins des nouvelles soient plus des chutes que des cuts, mais ce serait faire la fine bouche car le bus s'arrête, les portes se ferment déjà et c'était mon arrêt. J'entends à peine la lectrice du Elle expliquer que « non mais trop pas, c'est aux mecs d'inviter les filles » et je profite du temps de trajet supplémentaire pour finir le goût âpre des kakis, la nouvelle qui donne son titre au délicat recueil de Zoyâ Pirzad disponible au Livre de Poche.  


La musique de la chronique audio, qu'on peut écouter ici, est de tomuks, dont on peut écouter d'autres morceaux .

TL ; DR : des nouvelles de l'Iran d'aujourd'hui, d'hier. Le ton est parfois crû, parfois poétique, c'est très dépaysant, un livre parfait pour le lit : une nouvelle chaque soir, avant de dormir !

jeudi 5 septembre 2013

L'affaire Homme, de Romain Gary, chez Folio


Si on se contente de taper Romain Gary dans un moteur de recherche, on ne voit que l'icône, le seul romancier à avoir reçu deux prix Goncourt : un pour les Racines du ciel et un pour la Vie devant soi. Allez hop, un peu de sincérité, ce sont les seuls que j'avais lus avant qu'on ne m'offre l'affaire homme, paru en poche Chez Folio.

Mais Romain Gary est un auteur plus complexe. Pas un auteur compliqué, dur à lire, non, chacun des articles ou des entretiens ici compilés est limpide, mais sa pensée est assez vaste pour être difficile à appréhender. Romain Gary, c'est un peu le frigidaire dans un déménagement. Si on ne peut pas le porter tout seul, ce n'est pas parce que c'est lourd, c'est parce qu'on ne on ne sait pas par où l'attraper. Né en Lituanie, élevé en Pologne, puis en France, aviateur, compagnon de la libération, ambassadeur de France aux États Unis, Romain Gary c'est le mouvement, pas la doctrine figée. Le seul concept qu'il semble défendre de façon absolue, c'est la nécessité de ne pas voir les choses de façon absolue. La marge humaine.

Au fil de l'enchaînement chronologique des articles Romain Gary révèle les malaises de l'Occident, et leur évolution, de la peur de la guerre thermonucléaire entre les deux blocs à l'invasion de l'espace public par la pornographie. Notre société était une cocote minute mise sous pression par les totalitarismes idéologiques, et lorsque on a retiré le couvercle tout s'est répandu, sans panache.

Nous nous sommes débarrassés de la vieille peau de l'obscurantisme mystique, mais nous sommes allés trop loin, nous avons aussi enlevé le muscle, et nous voilà plus que nus, une civilisation à l'os. La surextermination morale - Gary écrit aussi en anglais et il utilise le terme d'overkill - a balayé la politesse, les valeurs humanistes, l'héroïsme. Gary plaide pour la culture, l'inutile, comme conditions du respect inconditionnel de la vie, de l'individu, qu'il soit éléphant ou qu'il soit homme. Et surtout femme. Car il place haut l'image de la femme. Si haut qu'il refuse de la voir à ses côtés. Quand il la charge du salut de son humanité, il refuse de la voir toute entière, telle qu'elle est, son semblable, aussi désorientée que lui. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, croire vraiment à son volontarisme féministe, mais on lui connaît plus de conquêtes que de romans publiés, et ce n'est pas peu dire.

C'est que malgré son immense culture - certaines citations sont imprécises, mais rappelons qu'il citait tout de tête, sans ces téléphones connectés qui nous donnent l'impression d'être cultivés –, malgré le style inouï – dans chaque interview des formules, des images, des fulgurances -, Romain Gary semble être resté l'homme d'une seule femme, un fils qui cherche sans fin à tenir les promesses de l'aube. De l'enfance, il a su garder le meilleur : la créativité, le brio, l'élan du cœur. Et ce qu'elle a de moins bon, l'égocentrisme, le caprice, la bagarre, l'incapacité à supporter la frustration. Le refus d'accepter l'homme réel, l'insupportable réel. Gary le sait, il l'assume, et cette sincérité dans le mensonge procède de cette marge humaine qu'on aurait aimé, enfin que j'aurais aimé pratiquer avec le même talent que lui.

La chronique audio est disponible ici. 


J'ai tenté de ne pas faire le ton "France Cu" Si vous avez un avis,laissez moi un commentaire, je sais que j'ai aps mal de progrès à faire. 

TL ; DR : Un recueil d'articles et de conférence de Romain Gary. Paradoxal, puissant, contradictoire, enrichissant. Et jamais jargonnant, jamais théorique. Un grand bonhomme, avec ses failles qui se lisent entre les lignes, et à la lueur de son suicide final. Lisez le !



dimanche 1 septembre 2013

Loi du 1er Septembre

Lorsque j'envisageais de devenir dictateur du monde, j'avais rédigé une loi unique. 

Article premier

Toute infraction est passible de la peine de mort et est assortie d'une peine de réparation. 

Article 2

La jurisprudence, la négociation et mon autorité de juge omnipotent permettront de fixer la peine de réparation. Lors de l'infraction, le nom du contrevenant est inscrit sur la liste des condamnés à mort. À côté de son nom et de son crime est inscrit la peine de réparation. 

Article 3

Si la peine de réparation est accomplie avant le premier septembre, le nom du condamné est supprimé de la liste. 

Article 4 

Au premier septembre, le juge omnipotent regarde les noms qui sont encore sur la liste, dite liste du premier septembre, et les fait exécuter. 


Le choix du premier septembre impliquait qu'on hésiterait à commettre des crimes en juillet, et à fortiori en août, puisqu'il ne resterait alors que quelques semaines, quelques jours, pour effectuer la peine de réparation et voir son nom retiré de la liste du premier septembre. Donc l'été, niveau crime, ce serait plus calme. Et moi, en tant que dictateur du monde, ça m'arrangeait. 

Quel rapport avec la littérature ? J'avais inscrit mon nom sur la liste du premier septembre pour parasitisme contre la société. À cause des longs mois pendant lesquels je n'ai pas été fichu de trouver un emploi rémunéré. Comme peine de réparation, il était inscrit que je devais finir mon roman. Nous sommes le premier septembre, et je viens de terminer ce que je crois être la version finale. 

Pfiou, c'était moins une. 

Oui, je sais, il s'est passé déjà 2 "premier septembre" depuis que j'ai commencé. Mais cette fois, c'est le dernier, éditeur ou pas. 

lundi 12 août 2013

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit.

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit.

Si l'on s'en tient au titre, le livre est une réussite, un véritable manuel de survie en environnement littérairement hostile : soirée snob avec des gens trop cultivés, discussion avec un auteur dont on n'a pas lu le livre, tentative de séduction d'une prof de lettres charmante.

La première chose que nous apprend le livre, dont le style est fluide et d'une grande clarté, est de ne pas avoir honte. Ne pas avoir honte de ne pas avoir lu, ni de le dire ; ne pas se sentir interdit d'expression à propos d'une œuvre sous prétexte qu'on ne la connaît pas. Le fond du propos est celui-ci : la frontière entre les œuvres qu'on a lues et les autres n'est pas une muraille étanche, mais une membrane poreuse. Où placer les livres qu'on a parcourus ? Et ceux dont on a vu l'adaptation cinématographique, ceux dont on a entendu parler ?


Entre les livres qui ont été écrits et ceux dont on parle s'interposent toutes sortes de livres-écrans, façonnés par nos bibliothèques intérieures et qui font de la discussion littéraire un espace de fiction, avant tout, un lieu d'expression de soi.

Mais qui lit pour parler des livres ? Le lecteur malicieux pourrait croire que l'auteur de ces lignes ne fait pas autre chose. Pourtant il me semble que ceux qui parlent bien des livres sont ceux qui ne les lisent pas pour en parler. Ceux qui tirent de la lecture du plaisir plus que de l'érudition. Parler des livres, écouter les autres en parler, permet seulement d'ôter à la lecture le principal défaut que je lui connaisse : d'être une activité solitaire. Passer du plaisir solitaire à l'échange, avec ce que cela comporte d'exhibitionnisme, bien-sûr, de voyeurisme, aussi, mais surtout d'intérêt à l'étrangeté de la vision de l'autre, est en général une marche vers un plaisir plus élevé.

On ne peut pas reprocher à Pierre Bayard d'ignorer ce plaisir de la lecture puisqu'il prévient dès la première page qu'il lui est tout à fait étranger. Mais on peut lui reprocher de revendiquer une inculture décomplexée à l'aide d'exemples exclusivement littéraires. Comme si, avec une légère pointe de suffisance, il ne clamait qu'il n'a pas lu grand-chose que parce qu'il sait que personne ne le croira. Le livre ne dissipe jamais vraiment cette ambiguïté, et plus l'auteur conceptualise son propos, moins on y sent de sincérité. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'il tire moins sur ses pénibles ficelles psychanalytiques et qu'il assume plus sa roublardise, qu'il accentue sa désinvolture plutôt que la théorisation hypocrite de celui dont l'intelligence brillante s'est trompé d'objet lors de ses études.

Je laisse le lecteur juger si cette chronique repose sur une lecture assidue de ou sur une application rigoureuse des principes exposés dans Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit (15 €).

TM ; DR : un essai un peu démago sur la meilleure façon de paraître cultivé. Roublard, mais pas franc. 

lundi 29 juillet 2013

Le Fils, de Michel Rostain, chez Oh Editions

Ce que j'ai pensé du livre de Michel Rostain, Le Fils, paru chez Oh !Éditions.

Les livres dont le sujet est poignant prennent un peu leur lecteur en otage. Qui oserait dire qu'il trouve lamentable l'histoire d'une handicapée ou qu'il a trouvé mal écrit le témoignage d'un père qui vient de perdre son fils d'une maladie rare et foudroyante ? C'est peut-être parce que Michel Rostain ne livre pas un témoignage mais un véritable roman que j'ose enfin écrire combien son livre, le Fils, paru chez Oh ! Éditions m'a été désagréable. C'est peut-être aussi parce que j'ai perdu mon père ce mois-ci et qu'il me paraîtrait grotesque et indécent d'écrire un livre où il parlerait, à la première personne de son fils resté vivant.

Pourtant Michel Rostain choisit ce procédé pour écrire son chagrin : à travers les yeux de son fils foudroyé par une maladie rare, il se décrit en train de survivre au deuil. Bien-sûr, pour peu qu'on ne soit pas totalement dépourvu d'empathie, on comprend les motivations qui le poussent à cet artifice. Si la littérature pouvait l'impossible, qui ne l'utiliserait pas pour faire revenir ses morts ? La justification du livre est louable : aider les gens à comprendre ce que peut vivre un couple qui perd son enfant aux portes de l'âge adulte. Mais  la lecture est rendue pénible par l'impression tenace que l'auteur pense moins à celui qu'il fait parler qu'à celui dont il le fait parler, moins à son fils qu'à lui-même. Il se montre englué dans des raisonnements psychanalytiques invraisemblables, cherchant rétrospectivement des signes, du sens, désemparé parce que la mort est juste cet impensable définitif, ce bout du bout inconcevable, protégé de notre compréhension par un halo de terreur pure. C'est d'ailleurs lorsqu'il décrit la survenue de la mort que Michel Rostain sauve son livre. La description est factuelle, sèche, sobre : insoutenable. Après avoir lu ce passage, l'idée pourtant tétanisante qu'un jour nous ne serons plus est rendue presque ridicule par cette horreur indépassable du père qui voit celui à qui il a donné la vie la perdre.

C'est sans doute cette douleur trop immense qui empêche Michel Rostain de se décentrer assez pour nous parler vraiment de son fils. Il ne parvient à se détacher de lui-même que lorsqu'il parle de sa femme, de leur amie Bérangère qui les accompagnera au bout du voyage des cendres dont le passage à la douane d'un aéroport donnent au livre ses meilleures phrases :

« À Orly, les douaniers ne demandent rien au sujet de la poudre. Je n'ai plus d'odeur pour les chiens. »

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que ce regard-là soit présent tout le temps. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le choix du roman soit accompagné de l'impitoyable travail de la langue qu'exige le roman. Je ne suis jamais arrivé à entendre la voix d'un adulescent dans les mots de Michel Rostain, je n'entends que la sienne.

David Grossman avait livré sur le même thème le magnifique « Une femme fuyant l'annonce ». Mais c'était avant la mort de son propre fils. Après, comme si l'écriture romanesque ne suffisait plus, Grossman a eu recours au conte, à la tragédie, à l'écriture mythologique et son livre « tombé hors du temps » est encore plus intense et dérangeant. À chaque fois, l'homme s'efface au profit de la langue, du style, on entend si peu sa voix qu'on peut percevoir les battements irréguliers du cœur de ses personnages.

Mais ces livres portent pourtant le même message, celui que l'amie de Michel Rostain lui écrit lorsqu'il pense imploser sous le poids de la douleur, ce message grâce auquel écrire cette chronique aura été un exercice finalement moins difficile que de lire le livre de Michel Rostain, ce message que je garde à l'esprit aujourd'hui et auquel on peine toujours à croire lorsqu'un deuil sérieux nous attrape à la gorge, « On peut vivre avec ça ».


Ce que j'ai pensé du livre de Michel Rostain, Le Fils, paru chez Oh !Éditions. 15,90 €

TL ; DR : un livre sur la mort du fils. Très gênant car le propos devrai être poignant et on a l'impression que l'auteur parle de lui seulement, peu de son fils, beaucoup d'interprétations psychanalytiques bidons. 

mardi 9 juillet 2013

lundi 24 juin 2013

Théorie du crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia,

Théorie du crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia, est le penchant sociologique du Harcèlement Moral, La violence perverse au quotidien, de Marie-France Hirigoyen,  paru chez Pocket.


Là où Marie-France Hirigoyen analysait le phénomène sous l'angle individuel du pervers narcissique et de sa victime, Jil de Rauc parle de maladie sociale dans laquelle la démocratie " thénardière " laisse prospérer des " usuriers du droit ", qui profitent de ce que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé.

La violence morale est en ce sens le crime parfait : "un crime dont l'auteur et sa victime sont les seuls témoins". La formule est pertinente et montre bien que la violence morale est un frôlement des limites et jamais une agression frontale facile à qualifier. Mais l'amour des formules fait pâtir le livre de Jil de Rauc d'un excès de verbiage. Les définitions se succèdent, le raisonnement tente d'englober la violence morale du harcèlement définie comme usure du droit et la violence morale du terrorisme, définie comme usure de la liberté d'expression.
Malgré la brièveté de l'ouvrage, on finit par se demander où l'auteur veut en venir. On retrouve de l'intérêt lorsque l'auteur met en évidence que c'est parce que "la peur du désordre devance, de loin, celle de l'injustice" que le crime parfait est toléré par la société. Ainsi, la volonté des démocraties de se libérer de l'ordre moral aurait mené à une " génération sociocentrique dont nous aurions moins à redouter l'insurrection qui vient que le culte de l'autorité et de l'idolâtrie de la loi. "

Le livre de Marie-France Hirigoyen faisait sentir l'expérience de la praticienne, et si on pouvait parfois trouver que sa volonté de défendre les victimes amoindrissait l'analyse du psychisme des bureaux, la puissance des implications pratiques faisait pardonner les maladresses du livre.


Ici l'impression est inverse. La réflexion semble très théorique, et la volonté de se parer d'une objectivité pseudo-scientifique toute sociologique produit du vocabulaire abscons.  Théorie du crime parfait échoue à donner un pendant politique à la problématique individuelle du harcèlement. Le livre laisse une impression d'autosatisfaction devant une construction intellectuelle un peu branchouille (références à Cyrulnik, et Taxi Driver) mais on se sent assez peu concerné car on ne lui voit aucune déclinaison pratique pour rendre le monde meilleur. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que l'auteur soit plus concerné par les implications d'une approche collective de la violence morale que par la joliesse des articulations de son raisonnement logicien. La théorie sociale du harcèlement moral reste encore à écrire. 


Théoriedu crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia, 6,10 €

TL ; DR : un essai théorique sur la violence morale. Plus théorique qu'utile en tous cas, même si la notion d'usurier du droit est intéressante. 

mercredi 19 juin 2013

Joseph Anton, une autobiographie, de Salman Rushdie, chez Plon.

Ce que j'ai pensé de Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon.

Je suis étonné qu'on ait si peu parlé de Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie parue cette année chez Plon. C'est peut-être parce que ce genre de livre est le calvaire du chroniqueur. Plus de 700 pages, parfois lourdes, pesantes, parfois même ennuyeuses, mais dont il est impossible de sauter une seule tant ce livre est important, majeur.

Joseph Anton est le pseudonyme que Salman Rushdie se choisit lorsque Khomeyni proclame une fatwa qui va l'obliger à vivre caché pendant presque dix ans. Joseph, pour Conrad et Anton pour Tchekov. Pourtant, l'auteur russe auquel fait penser ce livre est plus lourd, plus poisseux, aussi cynique mais bien moins léger. Comme à la lecture d'un Dostoievski on peine et on se dit : « laisse moi tranquille, moi aussi j'ai des problèmes. » Mais comme à la lecture d'un Dostoievski, on tourne les pages jusque tard dans la nuit. Parce c'est vertigineux, d'un romanesque total et lesté de la véracité du récit.

Les quarante premières années de la vie de Salman Rushdie sont brossées en à peine plus de cent pages. Il nous dévoile à demi-mots la construction de son imaginaire : culture pop britannique et tradition indienne millénaire. On y lit l'auteur des Versets Sataniques se faire appeler India Man par des colocataires enfumés. « La conversation est morte, mec ». La suite passe très vite, le mariage, un enfant, le succès, le divorce.

Et la condamnation à mort.

Non, la fatwa de Khomeny est plus cruelle qu'une simple condamnation à mort. C'est une condamnation à être tué, sans que jamais ne soit précisé qui exécutera la sentence, ni quand, ni où. Une condamnation à être tué peut-être. 
L'horreur révèle la nature des gens et la fatwa se mue en parabole, elle sépare le bon grain de l'ivraie, les lâches des courageux, les hypocrites des amis sincères. C'est le paradoxe de la vie de fuyard de Joseph Anton : reclus la plupart du temps, il ne sort de chez lui que pour aller de soirées mondaines en événements littéraires. Il finit par ne vivre de familiarité domestique qu'avec les policiers chargés de sa protection. Étrangement, l'agaçant name-dropping d'écrivains célèbres nous rapproche de Rushdie qu'on suit comme un ami dans la foule. Il nous rend ainsi proche de lui, sans pour autant se peindre sous un jour sympathique. S'il s'était contenté de nous donner l'illusion de le comprendre, la nostalgie de la dernière page serait supportable, mais son absence de pitié pour le lecteur et son abondance de talent nous inoculent l'illusion de le connaître. Alors on se demande comment il ne devient pas fou quand des gens en tuent d'autre à cause de son livre, un roman. Un roman écrit pour déchiffrer un peu plus l'imaginaire humain, pour défricher un peu plus le territoire toujours vierge de la littérature.

Il faut ces sept cent pages pour montrer l'alternance délétère de périodes de détente et de vociférations, réitérées par les islamistes de Téhéran, du Cachemire ou de Trafalgar Square. Il faut ces sept-cent pages pour laisser se développer, autour, les histoires d'amour, les illusions, et le combat non seulement pour la vie mais pour l'écriture. Car on n'écrit pas, ou mal, ou trop peu sous les projecteurs et la protection policière, sous la pression politique ou sous la paralysie de la peur. Alors, chaque jour, Salman Rushdie tente de se débarrasser de Joseph Anton, et tente d'écrire.


Bien sûr, le livre est parfois long, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le génie littéraire de Salman Rushdie soit toujours aussi apparent que lorsqu'il raconte à quel reniement atroce le mène le piège de son désir d'être aimé. Ce reniement duquel il se relève en écrivant ce livre, est celui auquel notre société succombe, peut-être à force de se contenter de livres faciles qu'on referme dans un soupir de satisfaction : « Ah, j'ai lu un bon livre ». Non, on referme Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie, Paru chez Feux croisés Plon en se disant  : « Putain, je viens de livre un grand livre. »   

 Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon, 24 €.

La chronique audio est disponible ici  (sur un son d'Asian Dub Fondation).

TL ; DR : La biographie de Salman Rushdie, avec un focus particulier sur les longues années de Fatwa. Un livre parfois ardu, mais qu'il faut lire pour se rappeler la complexité, la diversité de l'âme humaine. Des lâches, des héros, des gens normaux. C'est beau. C'est parfois long, mais c'est beau. 

samedi 15 juin 2013

Liebster Award

Liebster award, quoi ça il est ?
Une façon pour les blogs ayant moins de 200 abonnés de faire connaître d'autres blogs ayant moins de 200 abonnés. En fait, c'est un genre de chaîne de mails pour les blogs. Si on y répond, alors plein de gens vont venir voir votre blog, un éditeur va vous remarquer, vous recommander à un mass-média qui vous suppliera de travailler pour eux. À genoux. Et pour un gros salaires et plein d'avantages en nature (jet privé, détartrage dentaire offert chaque année, ticket restaurant de 7€50, réduction pour le concert de Raphaël). En revanche, si vous ne répondez pas, votre blog ne sera plus jamais consulté, à part par Par-is Hilton (c'était pour faire Part par par).

Donc une fois que quelqu'un qui vous veut du bien (et qui a compris la méthodologie de com sur les réseaux sociaux) vous a taggué vous devez :

- il faut écrire 11 faits sur son blog et/ou sur soi
- répondre aux questions des personnes qui vous ont tagué
- poser 11 questions à 11 blogueurs à taguer. Et les en informer sur leur page.

Je ne sais pas s'ils ont plus de 200 abonnés, mais voici qui je vais tagguer :

http://www.marclefrancois.net/ Un écrivain qui publie un billet quasi quotidien. Beaucoup d'anecdotes sur les écrivains, et qui parfois aussi livre un peu de ses méthodes d'écriture.

http://www.lalettrine.com/ Le blog d'Anne Sophie Demonchy. Une fois de plus je ne sais pas si elle est en dessous de 200 abonnés, mais je n'ai pas vu de nouvelle chronique depuis mars, alors je la tague.

http://lioneldavoust.com/ Lionel Davoust écrit de la fantasy. Pas ma tasse de thé a priori, mais on a de bonnes discussions sur la littérature, et il est très fort sur la construction de ses livres.

http://agirlcalledgeorges.blogspot.fr/ Il y a un côté un peu arty cynique qui peut agacer, mais a girl call Georges propose des textes souvent bien écrits.

http://antigonehc.canalblog.com/ Une maman qui fait des chroniques littéraires. Je l'ai découvert à travers sa chronique des Lisières d'Olivier Adam,

http://blog.pourquoijecris.fr/ Toujours le même format : un extrait de livre, un commentaire personnel, des liens. Les chroniques sont parfois un peu longues (pas plus que les miennes) donc je ne les je ne lis pas toujours tout, mais quand je lis, souvent j'aime bien.

http://paf-le-paf.tumblr.com/ On a commencé une guéguerre Mac / Android, alors qu'on ne se connaissait pas. Et après deux commentaires j'ai tendu une perche d'apaisement (c'est quand même le combat le moins intéressant possible), qu'il a prise. Depuis, parfois je lis son blog.

Ah ouais, ça fait pas onze ? t'es comptable ? T'es de la police ? Je débute dans la blogosphère, j'ai un nombre d'amis sur facebook à seulement deux chiffres, et je n'ai toujours pas compris comment marche l'interface de cette bête, pas plus que de Google+. Alors 8 blogs, c'est énorme. C'est trop, même. Nettement trop.(en fait il n'y en a que 7 mais j'ai fait le pari que personne ne recompterai)


Il faut écrire 11 faits sur son blog et/ou sur soi

  1. Je suis mal à l'aise avec cette démarche qui ne sert qu'à faire de la pub et générer du traffic.
  2. J'ai lancé ce blog pour mettre en ligne mes chroniques afin de pouvoir envoyer des liens et convaincre les maisons d'éditions de m'envoyer des livres.
  3. Cela me permet aussi d'écrire tous les jours (même si mon rythme de publication ne le reflète pas), ce qui est une hygiène de vie pour moi, comme se laver les dents.
  4. Je me lave les dents tous les jours.
  5. Ce n'est pas un blog "de journaliste". Je suis incapable d'écrire une bonne chronique au rythme auquel écrivent certains. Donc je n'écris pas sur ce blog tous les jours. 
  6. Je me lave pourtant vraiment les dents tous les jours. 
  7. J'ai écrit deux livres, je n'ai pas encore réussi à en faire publier un (mais j'y travaille encore pour le deuxième).
  8. J'ai donc du respect pour tous les auteurs qui publient sans bosser dans les médias, la politique... même si je n'aime pas ce qu'ils écrivent. 
  9. Je suis dérouté par les réseaux sociaux. C'est de la communication sans mémoire, sans classement, tout venant.
  10. Je n'ai pas la télévision, sinon je la regarderai comme un débile.
  11. J'ai quand même compris qu'il ne faut pas livrer de choses trop intimes. 

Les 11 questions que Maman Baobab me pose :

  1. Pourquoi t'es-tu lancé dans la blogosphère ?
    J'ai commencé le blog pour me créer une attente fictive. "Mince je n'ai rien publié cette semaine" est aussi un moteur pour écrire. Et écrire chaque jour est une hygiène de vie, comme se laver les dents.
  1. Quels sont tes tics (écrits) de langage ? Quels mots utilises-tu le plus dans tes chroniques ?
    Il y a un gimmick, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que vous le remarquâtes pas vous même.
  1. Quel livre devrais - je selon toi impérativement lire (voire chroniquer)
    Je crois que toute personne qui veut écrire gagne à lire "Technique du métier d'écrivain" de Viktor Chklovski (Techniques qu'il ne s’applique pas à lui-même quand il écrit, bien entendu). Ce livre a changé ma vie. Je l'ai rencontré par hasard dans une librairie d'occasion à Bécherelle il y a dix ans, je l'ai acheté à l'instinct. Je le relis tous les six mois. Malheureusement épuisé en français, on le trouve d'occase. 
  1. Ton dernier coup de cœur ?
    Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman, m'a vraiment donné une leçon de littérature.
  1. Un coup de gueule à pousser ?
    Ouais : la guerre c'est nul. L'homophobie : c'est méchant. Marre des inégalités. Bref, les coups de gueule, c'est toujours des portes ouvertes dont l'enfoncement ne sert qu'à se faire mousser. Coup de gueule littéraire ? L'homme joie de Christian Bobin. Le lire a été une vraie violence de niaiserie. 
  1. Une recette immanquable à partager ?
    La recette de la lose. Changer de travail tous les deux ans, déménager tous les deux ans, de femme tous les 7ans, puis 2, puis tous les six mois. Perso, moi, j'arrête.
    Perso, je saupoudre de cacao après chaque couche, pas seulement la dernière. 
  1. Quelle est ta meilleure chronique publiée ?
    Difficile de juger. Pas mal de mes chroniques sont ensuite enregistrées pour la radio, il y a donc la façon de la lire et le choix musical qui l'accompagne. Franchement, je ne sais pas quelle est la meilleure. J'ai un faible pour celle de (contre) "14" d'Échenoz, car elle m'a permis d'entrer chez Des Poches Sous Les Yeux.
  1. Où pars-tu en vacances cet été ?
    Je n'ai pas de vacances cet été : après 2 ans passés à écrire un livre, j'ai retrouvé un CDD de 4 mois à Rennes. J'espère réussir à faire quand même un aller retour pour du tourisme industriel avec mon fils (genre Airbus à St Nazaire)
  1. Quel(s) blog(s) suis-tu régulièrement ?
    Maman Baobab.http://maman-baobab.blogspot.fr/ C'est elle qui m'a fait aborder la blogosphère.
    Et Marc Lefrançois. http://www.marclefrancois.net/ par pur hasard et grand plaisir depuis plusieurs semaines.
  1. Quel(s) auteur(s) / illustrateur(s) ?
    Auteur. Marcel Proust a été le choc stylistique. La baffe. Mon seul petit regret quant à mon activité de chroniqueur littéraire pour Canal B et Radio Béton, c'est que je suis prisonnier de  La Prisonnière » et qu'il ne me resterait plus ensuite qu'Albertine Disparue et Le Temps retrouvé, et que je crève de ne pas finir ce... comment qualifier ça. Vas-y, Bâtard, Marcel Proust, c'est un truc de ouf, c'est chanmé.
  1. Prépares-tu tes billets à l'avance ?
    Je mets beaucoup de temps, trop, à écrire mes chroniques. Je ne suis pas journaliste, je suis incapable d'écrire plus d'une chronique correcte par semaine. Je n'écris jamais dans l'interface du blog, je le fais toujours sur un fichier puis je copie-colle.   



    Mes 11 questions :

    1. Que retires-tu de l'écriture de ton blog ?
    2. Les plus important, le fond ou la forme ?
    3. Quel est selon toi le format idéal pour un post de blog ?
    4. Grâce à ce blog, tu échanges avec combien de personnes ?
    5. Combien de personnes as tu rencontrée dans la vraie vie grâce à ton blog ?
    6. Combien de temps passes-tu chaque semaine à la rédaction de ton blog ?
    7. Combien de blogs suis-tu réellement ?
    8. Si c'est plus de onze, comment trouves-tu le temps ?
    9. Que voudrais-tu faire quand tu seras grand ?
    10. Un livre qui t'a ému aux larmes ?
    11. Qu'espère tu de ton blog et qu'il ne t'aurait pas encore donné ?

lundi 10 juin 2013

Super triste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru Chez L'olivier puis en poche chez Points.

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru chez L'olivier puis en poche chez Points.

Qu'est ce que c'est que ce titre pour midinette ? Et cette couverture rose d'un New-York de pacotille posé sur une tablette tactile ? C'est tout simplement que Gary Shteyngart, dans Super Triste histoire d'amour, imagine l'avenir proche comme le prolongement logique de ce que notre époque a de pire. L'adolescence est devenue la norme de l'âge adulte, le smartphone a muté pour devenir un äppärät, cette petite extension de l'humain qui distille les données personnelles comme on distribue des cachets et qui permet à chacun d'attribuer à tous une note de personnalité, de masculinité, de baisabilité, des poteaux de crédit permettent à chacun de s'endetter en pleine rue sans prononcer un mot. Réseaux sociaux, tyrannie de la mode, pornographie en libre accès, privatisation de la puissance publique, à la lecture de Super triste histoire d'amour, on finit par voir notre quotidien comme la graine d'un monde à venir, un monde où tout se déroule en direct, en public, où tout peut-être chiffré, et donc exprimé avec un minimum de mots. Super triste histoire d'amour. Il faut du courage pour dénoncer l'appauvrissement du langage avec ce langage déjà appauvri. Il faut du talent pour nous amuser de la tristesse de ce futur si plausible. Il faut de la finesse pour nous faire ressentir de l'empathie pour des personnages qui sont les fruits trop mûrs de ce que nous acceptons de vivre aujourd'hui. Lenny Abramov revient du vieux monde où il a échoué à convaincre des individus à capitaux propres élevés d'adhérer à son programme de jeunesse éternelle. Il ramène dans ses bagages un amour déraisonnable pour une toute jeune américaine d'origine coréenne, Eunice Park. Elle ne s'intéresse qu'aux nouveaux jeans translucides, il est un des derniers new yorkais à lire des livres papiers. Super triste histoire d'amour, c'est un peu de Lolita, un peu de Fight Club et un peu de Bridget Jones dans un emballage de « creative writing » à la John Irving.

L'intelligence de l'auteur est de ne se servir de la décrépitude de l'empire occidental que comme d'un décor pour une histoire, pour des histoires, humaines, autonomes, suffisantes. Il nous parle d'immigration, de famille, de fossé entre les générations. Des mères juives new-yorkaises qui couvrent leur fils de gentils mots russes pendant que des pères coréens désorientés conjurent la violence dans le christianisme évangélique. Il nous parle d'économie bancale, d'obsession de la transparence et de perte des repères dans ce monde où rien n'est interdit mais où plus rien n'est possible. Comme Orwell et tous les grands de l'anticipation, il nous parle de nous, et ça fiche la trouille.


On pourrait se dire que c'est un peu trop. Et c'est parfois un peu trop. Mais ce trop est le biotope de scènes décalées et magnifiques, de fulgurances inattendues, de phrases de quelques mots à la fois cyniques, drôles et politiquement incorrectes : Chère maman, personne n'a tiré sur notre immeuble qui est juif. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces pépites ne soient pas noyées dans un roman de presque cinq cents pages, dont la fin est un peu poussive. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, un livre plus resserré, plus percutant, mais les longueurs d'atelier d'écriture donnent paradoxalement au texte son caractère artisanal, attachant. Nourrissant comme un sucre roux non raffiné. Super triste histoire d'amour de Gary Shteyngart est un super bon livre de poche, disponible chez Points.  


L'audio est ici en attendant de trouver sa place sur le site Des Poches Sous Les Yeux

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, 8 € chez Points.

TL ; DR : un roman d'anticipation qui part de notre vie hyper connectée pour en prévoir la dérive autoritaire, pornographique et, pire, appauvrie du langage. Pafois un peu lourd, mais vraiment bien fichu. 

mardi 4 juin 2013

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Il y a vingt ans, Jérôme Garcin expliquait chez Ardisson qu'il préférait écrire de bons papiers que de mauvais livres. Il ne voulait pas être à la fois juge et partie, à la fois écrivain et journaliste culturel. On serait tenté de le lui rappeler si Olivier, paru aux éditions Folio, était un de ces romans que les hommes de médias écrivent trop vite pour tenter de faire croire qu'ils sont aussi des auteurs. Mais l'évidence s'impose au fil de ce troisième récit autobiographique : il s'agit d'un acte de nécessité, sincère, indispensable. Une façon de déposer un fardeau trop longtemps chéri : la mémoire de son jumeau fauché par un chauffard à la veille de ses six ans. Les premières pages évoquent l'époque qui suit immédiatement le drame, et l'impression de réel est terrifiante. Il ne reste plus de détails épisodiques, mais des souvenirs émotionnels, des sensations confuses et envahissantes. La gémellité perdue comme une vie bancale.

On poursuit le livre parce que l'écriture de Jérôme Garcin est élégante et intemporelle. Ils ne sont pas nombreux les auteurs qui osent aujourd'hui faire une phrase de plus de dix lignes. Moins nombreux encore ceux qui parviennent à y mêler la grâce et la précision d'un portrait. Par exemple celui d'un père dont l'amour pour le jumeau survivant peut prendre la forme d'une gifle chargée d'angoisse.

« Je pris conscience, ce jour-là, des efforts démesurés, inhumains qu'il déployait pour ne rien laisser paraître de sa détresse, pour garder l'air impassible, le port hiératique, l'allure barrésienne, que lui ont souvent reprochés ceux qui, ne le connaissant pas, ne cherchant même pas à le comprendre, et sans doute trop occupés d'eux-mêmes, prenaient pour de la forfanterie une épouvante sans cesse réprimée et pour de la vanité son goût cassant de l'isolement, son goût croissant de la fuite en avant. »

Olivier est mort si jeune qu'il n'est finalement presque question que de Jérôme dans ce livre. C'est à la fois inévitable et gênant. Lorsque l'auteur reconstruit ce qu'aurait pu être leur vie, on consent à entrer en empathie avec sa démarche, même si elle est claudicante et qu'on ne voit pas bien où elle le mène. Mais lorsqu'il y mêle des considérations littéraires, médicales et surtout spirituelles, le cerveau prend le pas sur le cœur, l'émotion fait place à un ennui embarrassé. Les idées générales sur la gémellité sont d'une banalité qui détonne avec la force du récit. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre fût encore plus court mais qu'il nous épargne ces considérations théoriques : elles nous éloignent du fantôme qui nous devenait familier. Ce sont les gens qu'il rencontre qui nous y ramènent. Pas les écrivains ou les gens célèbres, ces passages sont plutôt ennuyeux, mais la nounou de son enfance, de leur enfance, ou ce cousin... mais il ne faut pas trop en dire, le livre réserve quelques surprises. Lorsque Jérôme Garcin cesse de chercher à comprendre, lorsqu'il cesse d'intellectualiser, de faire du lien à tout prix, avec des outils aussi boiteux que la religion ou la psychanalyse, lorsqu'il laisse la mort déployer toute son atroce absurdité, il touche du doigt ce dont la vie est faite. Il nous parle de ses proches, de cette famille scandaleusement épanouie et c'est un formidable pied de nez que la joie oppose au destin, aussi morbide soit-il. Olivier, le récit de de Jérôme Garcin, paru aux éditions Folio, est tout sauf un mausolée, c'est une déclaration de gratitude de l'auteur à ceux qui l'accompagnent, morts ou vivants.

La chronique en audio est disponible ici. Et bientôt diffusée dans la rubrique Des Poches Sous les Yeux, de Radio béton. 

TL ; DR : Jérôme Garcin parle de son jumeau mort dans leur jeunesse. Un livre parfois touchant, mais parfois agaçant par sa contamination psychanalytique un peu religieuse.

mercredi 29 mai 2013

Le Harcèlement Moral, de Marie-France Hirigoyen, Chez Pocket.




Ceux qui me connaissent un peu savent que le livre que j'écris depuis deux ans ne parle presque que de ça. Mais c'est un roman. Alors que le livre de Marie France Hirigoyen, Le harcèlement moral, disponible aux éditions Pocket, est un mode d'emploi.

Le sous-titre explique ce à quoi le livre veut vous faire échapper : la violence perverse au quotidien. C'est d’ailleurs un présupposé fort et discutable du livre ; le harcèlement moral serait toujours l'œuvre d'un pervers narcissique. Même si cela correspond en partie à l'expérience que j'ai pu vivre, il me semble que c'est réducteur.

En revanche, dans ce cadre là, le livre couvre l'ensemble du sujet. Il décrit la violence perverse au quotidien, la relation perverse et ceux qui la vivent, harceleur et harcelé, les conséquences qu'elle a sur la victime, les façons d'y remédier et les perspectives de guérison. Dans chacune des parties, Marie France Hirigoyen distingue la situation de violence privée, principalement dans le cadre de la relation de couple, et la violence en entreprise.

Il est salutaire de lire ce livre si on se sent en situation de Harcèlement. D'abord parce qu'il permet de prendre conscience qu'il s'agit bien d'une agression, tant le harcèlement moral est une violence lente et insidieuse. De façon plus surprenante, le livre aide aussi à comprendre le psychisme du harcelé. Non, il ne s'agit pas d'un masochiste complice de son agresseur, mais souvent d'une personnalité scrupuleuse, désireuse de bien faire, et dont les failles narcissiques représentent des leviers pour celui qui cherche à soumettre, humilier, anéantir.

En retrouvant une légitimité, on peut entamer la démarche de lutte puis de guérison. Bien-sûr ce livre ne remplace pas l'accompagnement que peuvent apporter, selon les situations, une assistante sociale, un médecin du travail, ni évidemment un psychologue, mais il permet la prise de conscience, la sortie du déni, qui est la première étape de toute renaissance.

On peut regretter que la description que Marie-France Hirigoyen fait du pervers narcissique soit parfois plus morale que clinique. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'elle approfondisse le processus qui mène le pervers à ce mode de fonctionnement, qu'elle donne aussi des pistes pour sa guérison à lui. Tout simplement parce que lorsqu'on a vécu dans l'ombre d'une relation perverse, à cause de l'inexorable force de l'exemple, on apprend à se comporter de la même façon et qu'on passe sa vie à tenter de se défaire de ce manque d'empathie qui déteint, qui colle à la peau comme un sparadrap radioactif.

Mais peut-être que l'auteur a fait ce choix pour des questions d'efficacité. En se concentrant sur le salut de la victime, elle produit un livre concis, moins de 300 pages, très facile à lire et donc accessible à tous ceux qui peuvent en avoir besoin.

Si vous vous sentez concerné, ne vous privez pas de l'aide du livre Le Harcèlement Moral, La violence perverse au quotidien, de Marie-France Hirigoyen,  disponible chez Pocket. pour seulement 5,70 €.

TL ; DR : une description du harcèlement moral et du pervers narcissique qui l'exerce. Intéressant pour les victimes, mais pas de pistes pour aider les bourreaux à se guérir. Un must pour s'en sortir (je sais de quoi je parle).