Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 14 décembre 2015

Il faut lire La Nuit, d'Elie Wiesel.

Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel. On le trouve en poche dans la collection Double des éditions de minuit. On le trouve en livre audio dans la collection Écoutez lire de Gallimard, plutôt bien lu par Guila Clara Kessous. 

Elie est un adolescent juif né à la fin des années vingt. Sa foi est le point de convergence de son intelligence, de sa sensibilité et de sa fidélité à la tradition dont il est issu. Et les trois, l'intelligence, la sensibilité, la fidélité, seront autant d'amplificateurs de l'horreur qu'il décrit. Il faut lire le récit de cette horreur, avant tout parce qu'il est lisible. Le génie littéraire d'Elie Wiesel produit un témoignage assez précis pour nous faire effleurer, seulement effleurer, l'horreur absolue. L'horreur d'une extermination organisée par un appareil d'état. Mais la précision du récit est rendue supportable par l'écriture qui porte ce témoignage. L'écriture nous soutient dans l'exercice d'acceptation nécessaire. Parce que le risque du témoignage brut, c'est que l'horreur soit telle qu'on ne puisse aller au bout du récit. Le risque c'est que devant une horreur impossible à accepter le lecteur se dise, non, ce n'est pas possible, non, cela ne me concerne pas, non je n'y crois pas. Il y a parmi les révisionnistes, des gens qui ne peuvent simplement pas vivre, continuer à vivre, avec la conscience de ce que l'humanité a pu faire. Pas une humanité lointaine et différente de nous, mais l'humanité d'une société occidentale moderne, évoluée, capable de poésie, de science, notre humanité. 
Elie Wiesel nous guide à travers la nuit et nous cherchons sa main comme lui cherche celle de son père. Les sélections se succèdent, et Elie n'a pas seulement peur de mourir, il a peur de vivre et que son père soit poussé dans la mauvaise file. Car les juifs savent,  on leur a montré la cheminée, la lueur, la flamme, les chambres. Le témoignage, bien qu'écrit dix ans après la libération des camps, relate ces choses avec le caractère implacable du quotidien, la description sans fard de la chose vue, la sagacité d'un adolescent figée à jamais par le choc. Wiesel n'insiste jamais sur la souffrance, il suffit d'un détail pour qu'on la ressente, et qu'on ait envie de prendre tous ces gens dans ses bras, même si c'est idiot. La libération si proche nous fait espérer tout du long, alors que nous savons, oui, le père d'Elie Wiesel est mort là-bas, nous savons, aussi, par la quatrième de couverture qu'Elie Wiesel ne pourra se pardonner de ne pas l'avoir accompagné plus humainement. 

Alors il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, égoïstement, parce que le récit de celui qui a tout perdu donne
de la valeur a tout ce que nous avons. Chaque page nous hurle que nos vies, nos petites vies qui nous semblent sans intérêt sont des rivières de lait et de miel. Chaque page nous montre du doigt ceux qu'on aime : vite, les aimer,  les aimer bien, le pire peut arriver. Au fond du fond le pire c'est lorsque le manque de pain empêche de continuer à aimer les siens. Alors c'est idiot, et nous sommes ainsi fait que ça ne dure pas, mais pendant toute la lecture du livre, chaque repas me semblait luxueux, vraiment, et je profitais de la chaleur des douches que je prenais. Nous vivons, du moins la plupart d'entre nous, dans un luxe relatif que nous ne mesurons plus. Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, comme des égoïstes, pour voir à nouveau le luxe de nos vies. Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, avec générosité aussi, pour se rappeler que l'humanité ne peut s'offrir le luxe de choisir parmi elle des boucs-émissaires, juifs, roms, pédés, qu'il faut faire l'effort, pénible, parce que sans cesse recommencé de chercher des solutions, pour ne pas croire à nouveau en une solution finale. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, me dire que tout ça est derrière nous, mais lorsque les temps son durs, lorsque les hommes ont peur, il faut relire la Nuit, d'Elie Wiesel, que ce soit en poche, chez Minuit ou en Audiobook dans la collection Écoutez Lire chez Gallimard.



L'audio sera mis en ligne dès que j'aurais eu le temps de le faire.

lundi 7 décembre 2015

Les femmes du braconnier de Claude Pujade Renaud


Les femmes du braconnier, de Claude Pujade Renaud, est un roman disponible en poche chez Babel. Le braconnier, c'est le poète Ted Hughes. Il a la force tellurique de ceux qui sont de quelque part. Il est habité par l'esprit des animaux que son frère et lui chassaient dans les chemins creux de la campagne anglaise. Et la première de ses femmes c'est Sylvia Plath. Elle arrive d'Amérique, plein de manques, toujours en fuite, comme tellement d'enfants d'immigrés. Elle fuit sa mère et sa sollicitude qui l'étouffe. Elle fuit la promesse qu'elle lui a fait faire, de ne jamais refaire sa vie. Elle fuit le père et son absence, et sa mort évitable. Mais aussi loin qu'on aille, on abandonne rien. On emporte ses entrailles, les maux qui sont les siens.

Claude Pujade Renaud, sait se mettre à la place d'une femme. C'est tellement rare de voir un homme se sentir autorisé à parler de la vie intime, biologique, des femmes, jusqu'à décrire leurs règles et l'impact qu'elles peuvent avoir sur leur stabilité émotionnelle. Tellement rare que ce Claude est évidemment une Claude. Après m'être senti idiot de ne pas connaître cette écrivaine, je me suis senti idiot de réaliser que la Sylvia Plath du roman est cette Sylvia Plath dont j'avais une vision floue de poétesse anglo-saxonne vaguement féministe. Mais pourquoi la couverture de cette biographie précise-t-elle : roman ? Sans doute pour s'autoriser à écrire chaque chapitre à la première personne du singulier, une première personne toujours différente et toujours singulière. Sylvia, sa mère, ou cette infirmière qui la prendra en affection quand elle et Ted s'installeront loin de Londres. Claude Pujade Renaud, en enchaînant les points de vue subjectifs ne présente jamais une causalité claire, elle n'explique pas, elle montre. Ted trompe Sylvia, malgré ce qui les unit, les enfants, la littérature, la poésie. Est-ce que les hauts et les bas de Sylvia sont trop durs à supporter ? Est-ce que l'attraction qu'exerce la belle Assia aurait de toute façon pris le dessus ? L'auteure ne tranche pas.
On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que l'écriture de Claude Pujade Renaud nous rapproche des protagonistes de ces amours qui vibrent, vrillent, plongent. Mais le charme est parfois rompu brutalement. Les chapitres de dialogues ne fonctionnent pas, la volonté de faire quotidien donne des phrases fades et qu'on peine à imaginer dans la bouche de quiconque, et même dans la sienne après les avoir relues à haute voix.
Et puis les tics des écrivaines écrasées par le spectre de Marguerite Duras. Les phrases sans verbes. Ou pire, l'épithète suivi d'une virgule, suivi du nom auquel il se rapporte, et rien de plus. Énervant, le tic littéraire.
Mais les personnages secondaires nous attachent au livre. Aurelia, la mère de Sylvia, toujours aimante, toujours perdue, David, le mari d'Assia, poète tranquille et doux, presque résigné. Et Winnifred, et les enfants, les frères et les sœurs. Claude Pujade fait évoluer ses héros dans un écosystème romanesque où le lecteur devient à son tour braconnier et guette l'apparition de ces seconds couteaux plus humains, plus aimants, qui tentent, chacun à sa façon, de sauver les artistes de leur propre sensibilité. Sans pourtant la détruire, puisque c'est elle aussi qui fait qu'ils les aiment tant. Comme il est difficile d’être une des Femmes du Braconnier, au sein de ce roman de Claude Pujade Renaud, disponible en poche chez Babel.


Tellement crevé qu'on a l'impression, sur l'audio, disponible ici, que je suis énervé contre quelqu'un. 



mercredi 2 décembre 2015

Élections


La nuit
Celle du long crépuscule
De son père et d'Élie
Ou celle brutale aussi
Clac tchakataks cruels
Kalachou Akbar et Bataclan
Terrasses éclats rafales
La nuit des clans
Vitrines cristal
La nuit des bonbonnes et des clous
La nuit des colonies
La nuit des fous
Les nuits
Appellent des vengeances
Auxquelles il faut se rendre sourd

Quand le cœur est trop lourd
Se souvenir qu'on pense
Aussi

La nuit des tireurs
Leur
Détermination trépanée
Lobotomie planifiée méthodique
L'horreur la gâchette mécanique
Un type à terre deux dix treize
Cent trente
Et ceux qui soufflent sur les braises
Discours fumeux des lendemains déchantent
Écrans fumée
L'info en continu distribue l'importance
Il faut se rendre sourd

Quand le cœur est trop lourd
Se souvenir qu'on pense
Aussi

Qui sont nos frères
Qu'est ce qui traverse nos frontières
Matières premières
Mais pas les mères, les sœurs
Je ne suis pas meilleur
Que toi
J'ai peur, moi aussi
J'ai aussi peur que toi
Autant du froid et de la faim
Que de ne plus avoir sur moi
Ce dont nous n'avons pas besoin
Et qu'on me publicise
Chaque jour
Il faut se rendre sourd

Quand le cœur est trop lourd
Se souvenir qu'on pense
Aussi

Mais putain
Il doit bien y avoir
Pour mon fils et le tien
Assez d'espoir
Assez de paix, de pain
Assez d'idées, et assez d'hommes de bien
Contre les piles de bulletins qui promettent
La sécurité pour demain
Et dès aujourd'hui
L'étincelle qui mène toujours à la nuit
Naïf, abruti
Les autres ? Tous pourris !
Les comptes en Suisse
À Singapour
Et c'est vrai
Et je sais leurs discours
Mais
Je veux me rendre sourd

Car mon cœur trop lourd me supplie
Pense, je n'en peux plus, moi
Pense,
Dis moi qu'on pense aussi

On choisit
Alors

Contre la mort
La vie
Le jour
Contre la nuit
Contre la peur
Si plus d'amour
Au moins
L'esprit

lundi 30 novembre 2015

NaNoWrimo ! Fuck Yeah !

Fuck Yeah, it's over !











- Putain, c'est fini !
- Quoi ?
- Le NaNoWriMo pardi ! 
- Le quoi ?
- NaNoWriMo, le National Novel Writing Month !
- Hein ?
- Ben ouais, en novembre, on écrit un roman de 50 000 mots, tu savais pas ?

Oh pinaise, Marge, c'est enfin fini ! Je ne sais toujours pas trop quoi en penser. Je viens de finir, là, à l'instant. Cinquante mille mots, en un mois. Mille six cents mots par jour, grosso modo. Mille six cent soixante six et soixante six virgule six six six... centièmes de mots chaque jour. Soit beaucoup plus les jours où on peut écrire. Parce qu'il y a toujours les jours où on ne peut pas. Travail, fatigue, parti. 

Et pourtant, mon entourage a été si compréhensif. Au jour le jour, personne ne m'a laissé autant de temps pour écrire que ma copine. Peut-être parce que j'en ai plus ! Mon fils, aussi, au quotidien, qui en rentrant de l'école a bien voulu ne pas me déranger pendant que j'écrivais. Peut-être parce que je n'ai la chance de l'avoir près de moi que pendant les week-ends. 


Alors je devrais remercier mon patron, mais je crois que s'il avait su pourquoi j'étais parfois crevé au point de chialer dans mon bureau, il n'aurait pas sponsorisé le NaNoWriMo avec un tel enthousiasme. 


Chialer ? 

Physiquement, à cause du manque de sommeil, ça n'a pas été facile. Psychologiquement, arrêter les chroniques pendant un mois, avoir le sentiment très fort d'écrire de la merde pendant un mois… 

- De la merde ?  Tu n'en rajoutes pas dans la fausse modestie ? Laisse tomber, ça ne te va pas.

Sauf que si. Parce que j'avais décidé de ne pas boucler le roman sur lequel je travaille depuis deux ans. Simplement parce que ce n'est pas la règle du jeu. Il s'agit d'écrire un premier jet en un mois. Éventuellement à partir d'un plan, d'un travail préliminaire, mais pas d'un truc à moitié écrit. 
Et puis aussi parce que pour la première fois j'ai écrit en anglais. 
- En anglais ? T'es masochiste ou mégalomane ?
- Les deux Mon Capitaine.

Les stats d'écriture : en dessous de la courbe jusqu'au dernier jour. Procrastinateur for ever. 
En fait, au départ, comme c'est un événement américain, je croyais que c'était nécessairement en anglais. En fait, le site n'enregistre même pas le texte, ne le stocke pas. Tout ce qu'il fait, c'est compter les mots. À tel point que pour les alphabets non latins, il recommande aux participant de générer un texte aléatoire comportant le même nombre de mots que leur roman. 
Et finalement, je ne regrette pas. J'ai intégré cette contrainte à l'histoire, si bien que ce brouillon de livre s'appelle : Broken english, the day I ruined the world. 

Il y est question de statistiques, de Russie, de cerveau, d'amour et de famille. Mais vous devez me croire sur parole car le plus probable, c'est que personne ne le lira jamais !

Alors bien-sûr, on amie éditrice me dit : autant de temps de perdu pour les vrais livres, et le blog me dit : pas de chronique pendant un mois, moins de lecteurs fidèles pendant un an. Mais un sportif s'entraîne, un musicien fait ses gammes, et j'ai énormément appris. Sur ce qu'il est possible de faire, sur les idées que je vais pouvoir réutiliser. Sur les astuces pour délayer un peu pour atteindre le nombre de mots, et dont je vais devoir me défaire vu que cette chronique est déjà trop longue. 

Fuck yeah, I NaNoWriMoed ! 


lundi 9 novembre 2015

Soumission, Michel Houellebecq

On a beaucoup parlé de Soumission, de Michel Houellebecq. Et on parle trop peu des livre audio, notamment de la collection Ecoutez Lire, chez Gallimard, dans laquelle j'ai écouté Soumission. 

En 2022, la Fraternité Musulmane arrive à la tête de l'état français, plus ou moins démocratiquement, et installe un régime islamiste modéré. François, le narrateur, est d'abord chassé de la Sorbonne, où il était professeur de lettres, spécialiste de Huysmans, avant de se rapprocher doucement du pouvoir, et, on peut l'évoquer sans rompre un suspens absent de tout le livre, de s'y soumettre. 

On a beaucoup parlé de Soumission, et pour de mauvaises raisons. Certains y ont vu un pamphlet islamophobe et une peinture un peu trop douce des identitaires français. D'autres y ont vu le ralliement de Houellebecq à un modèle de société patriarcal misogyne (rien de neuf). Les événements de Charlie Hebdo ont apporté une pesanteur, une gravité à la sortie du livre, encore exacerbée par le fait que Bernard Maris avait été le premier à prendre Houellebecq bien trop au sérieux, en lui consacrant un livre « Houellebcq économiste ». 
Soumission révèle plutôt un désespoir absolu. Houellebecq est perpétuellement dans la fausse ironie, le 1,5 ème degré. Oui, sa satire de l'universitaire pleutre et veule fait sourire, mais François ressemble un peu trop à Michel. Et se moquer de soi-même est, dans notre société de blasés cyniques, le meilleur moyen de ne pas changer de comportement tout en ayant l'air cool. 
Non, ce qui me semble intéressant, en filigrane, c'est la morale invisible du livre, qui fait écho à la trajectoire de Houellebecq. La morale c'est : si vous traitez des gens suffisamment mal, ils finiront par se trouver quelqu'un qui les traite à peine moins mal et qui pourra les dresser contre vous. Les musulmans passent de dominés à dominants. Et on ne peut s'empêcher de se demander si Houellebecq ne parle pas de lui. Il en a bavé, il a eu son lot de solitude, de rejets, de souffrance, il a eu son lot de boulot de merde, il a mérité sons succès par une constance, une présence. Mais maintenant, il a passé la barre, et il nous emmerde tous. Il ne prend pas la peine de mettre les formes, de faire semblant : Houellebecq n'aime pas grand-monde. On l'aurait aimé, enfin, je l'aurais aimé si j'avais pu trouver dans ce roman sombre et sans grand relief littéraire, un personnage dont on ait envie de suivre l'exemple. 

Parce que ce qui manque à Soumission, c'est l'imagination que demande le positif. Le négatif, le glauque, le désespéré : c'est plus facile, il suffit de regarder. Mais les gens qui tiennent, les gens qui disent « je veux trouver des façons de faire mieux », il faut énormément de talent, d'imagination pour les peindre et éviter le ridicule. Du coup, Soumission n'est pas un livre ridicule. Bien-sûr, il y a de la paresse des héros qui se rencontrent comme par hasard quand ça arrange l'intrigue, bien-sûr, le personnage le plus attachant disparaît avant le premier tiers, mais Houellebecq sait que la meilleure façon de ne pas mal écrire, est de tenter le moins de choses possibles. Le cynisme protège du ridicule. Il protège l'égo névrotique de la mauvaise conscience des occidentaux malheureux. 

Ce qui manque à Soumission, comme à ses personnages, c'est un souffle, le même que celui qui manque  à notre société, une envie, un enthousiasme. Tout ça manque d'amour, bordel. Tentative de psychosocioanalyse sauvage : Houellebecq manque d'amour, passe son temps à le dire, et tout le monde applaudit, comme on applaudit les artistes alcooliques, drogués, parce que leur souffrance nous donne des livres qui nous sortent de notre quotidien sécurisé, et on ne leur tend pas la main,  on ne les aide pas à terrasser les démons qui les empêchent de sortir leur véritable chef-d'oeuvre. On ne déteste pas le lire, mais on est content de sortir de Soumission, disponible en livre audio, dans une très agréable lecture de Eric Caravaca, dans la collection Ecoutez Lire chez Gallimard. 

mercredi 4 novembre 2015

Nanowrimo


Mais qu'est ce qu'il fait ? se demande l'attachée de presse qui m'a envoyé soumission, de Michel Houellebecq, en livre audio. 


Mais qu'est ce qu'il fait, se demandent les gens des Poches sous les yeux, à qui j'ai piqué une étagère entière de livres à chroniquer, dont un petit recueil de nouvelles dans la collection du masque qui s'appelle les lumières de la ville ne s'éteignent jamais, de José Louis Bocquet. 
Mais qu'est ce qu'il fait, vous demandez-vous peut-être alors que vous attendez avec impatience de savoir s'il faut lire ou non les femmes du braconnier de Claude Pujade Renault, dans la magnifique édition Babel. 

Eh ben, j'ai lu tout ça, mais j'avions point l'temps, comme aurait dit ma grand-mère si elle n'avait pas été si distinguée (peu importe laquelle). 

J'avions point le temps parce qu'en plus de gagner ma croûte, j'ai décidé ce mois ci de participer au NaNoWriMo. Qu'est ce que c'étions que ce bordel, aurait pu demander mon fils s'il ne recevait pas une punition coroporelle à chaque faut de grammaire ? 


L'idée est décrire un livre de 50 000 mots en 30 jours. Bon, c'est pas vraiment à ma portée cette année, mais j'avais envie d'essayer, un peu comme on se lancerait dans un marathon trois jours après qu'on vous a retiré un plâtre (this one's for you, son). Et même un ultra trail, puisue la petite parenthèse en anglais était pour prévenir que les 6800 mots écrits en trois jours l'ont été en anglais. Bon, je ne ferai jamais lire le résultat à personne, que j'arrive à 50 000 mots ou pas, mais je sais que ça fera un bon entrainement, un gros défi, et une aventure rigolote. 

Il est encore temps de vous lancer, et même en français, car il y a des sous-régions. Trois jours de retard, ça se rattrape facile, vous êtes laaaarge. 

lundi 26 octobre 2015

Dale Carnegie 1 : Comment dominer le stress et les soucis

Dale Carnegie, Comment dominer le stress et les soucis, chez Flammarion

l'immonde couverture française

Vous l'attendiez depuis sa sortie des rotatives américaines en 1944, How to stop worrying and start living est enfin disponible chez Flammarion sous le titre imparfaitement traduit Comment dominer le stress et les soucis. Les méthodes mises au point par Dale Carnegie, des méthodes qui ont su faire leur preuve pendant sept décennies marquées par la taylorisation du travail et des esprits, ces méthodes sont enfin à portée de votre lecture enthousiaste. 


Longtemps je me suis demandé pourquoi les auteurs de développement personnel écrivaient si mal. La réponse m'a été donnée par le blog de l'un d'entre eux : ils n'ont pas passé leur temps à apprendre à bien écrire mais à maîtriser la discipline qu'ils se proposent de nous transmettre. Il y a en réalité une autre raison, pédagogique, que Dale Carnegie applique jusqu'à l'usure du concept : la perfection n'est atteignable que par la répétition. Chaque partie annonce le nombre de sous-chapitres, comme pour  préparer les tiroirs qu'on remplira par la suite. Puis chaque chapitre commence par une historiette édifiante, où l'auteur décrit la situation qui l'a amené à formuler un principe, petit ou grand. Ce principe est ensuite illustré par des exemples impliquant un homme célèbre, si possible un président des États-Unis d'Amérique, ou un milliardaire, ou un homme d'affaire dont le nom est aujourd'hui oublié. Un exemple met enfin en scène une femme ou un homme de la vie de tous les jours, et pourquoi pas issu du public de ses
séminaires,  et il cite de temps à autre des courriers qu'il aurait reçu. Personnalisation, argument d'autorité, identification.

La version anglaise, pas chère, plus lisible
C'est insupportable. Si vous lisez l'anglais, préférez la version originale dont le niveau de langage un peu désuet et les personnalités datées de l'après guerre apportent un certain cachet. C'est insupportable, mais pas inefficace, parce que répétitif. Dale Carnegie conseille d'ailleurs de relire le livre une fois par moi, même en diagonale, pour se remémorer les astuces qu'il propose. 

Mais enfin : est-ce que ça marche ? Non. Oui. Je ne sais pas. Sur le moment, oui. Ça apporte de l'espoir. Ça montre des pistes. Et très sincèrement, si on suit ces pistes, ça marche plutôt pas mal. Mais moi, je n'ai pas réussi à tenir la distance, à relire le livre assez souvent pour que les bonnes réactions au stress deviennent des routines. Et c'est le reproche que lui feront des auteurs plus tardifs. Dale Carnegie propose des recettes, des trucs, des astuces, mais on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces martingales plongent leurs racines dans un tout, dans une vision de la vie. Et c'est ce qui fait que non, le message ne tient pas sur la distance. Petit à petit, on oublie de vivre dans des jours compartimentés, on oublie l'importance de rester occupé, on oublie que le pire est peu probable, l'importance de faire des siestes, de... Oui, la liste est longue et c'est pour ça qu'on ne retient pas tout. 
Et pourtant, oui, je crois qu'on peut lire How to stop worrying and start living avec intérêt. Parce que les histoires que racontent Dale Carnegie montrent un degré de pauvreté que nous ne rencontrons que rarement dans notre quotidien, mais dans une Amérique encore possible, et de ce contraste se dégage
un optimisme vintage qui nous met dans de bonnes dispositions pour au moins quelques semaines. Lisez comment dominer le stress et les soucis, disponible chez Flammarion, et devenez l'acteur de la construction de votre avenir radieux. Dale Carnegie, Tellement mieux !

lundi 12 octobre 2015

La Classe de neige, Emmanuel Carrère

La classe de neige est un des tous premiers romans d'Emmanuel Carrère, et on peut se le procurer chez Folio. Il parle d'un enfant qui a peur. Son père le dépose là où les autres enfants sont déjà arrivés en autocar. C'est déjà un petite pointe de honte, parce que les enfants détestent être différents des autres. Surtout Nicolas, qui fait encore, parfois, pipi au lit. Surtout Nicolas, qui en plus, a oublié son sac dans le coffre de son père. En quelques lignes, le malaise est déjà bien installé. Il ne fera que croître. D'abord à cause de l'histoire, qui prend petit à petit la piste (classe de neige, piste, humour malvenu) d'un fait divers sordide. Ensuite, parce qu'on voit la fin se profiler, et que jusqu'au bout on espère un virage sévère pour éviter la chute. Mais non. 

Bien-sûr, l'écriture de Carrère est déjà là, visuelle, limpide, classique, mais est-ce que ça méritait vraiment le prix Femina ? Finalement, le dénouement manque de surprise, et surtout, d'espoir. 
Emmanuel Carrère est un auteur important pour moi, majeur, mais il partage avec Houellebecq, un désenchantement revendiqué comme un signe de leur supérieure lucidité. 

Mais non, les gars. Vous n'avez pas découvert l'absurde de l'existence. Il y a eu Camus, Dostoievsky, et notre putain de vie de tous les jours. Bien-sûr, Carrère n'est pas Houellebecq, et il y a une retenue, une délicatesse, et même de l'affection pour les personnages. Mais dans le fond, ce que fait Carrère, dans La classe de neige, La Moustache, et même dans l'Adversaire et après, c'est de nous faire porter à nous ses angoisses à lui. Ses angoisses de type brillant qui n'a pas de problème de fin de mois, pas de problème de vocation, pas de problèmes de carrière. 

Mais quoi ? Est ce qu'on aurait aimé, enfin, est-ce que j'aurais aimé que la classe de neige se termine par un happy-end, qui nous fasse croire qu'il n'y a pas de pervers autour des cours d'école, pas de terreurs nocturnes dans le cœurs des enfants, pas de désarroi dans celui des adultes ? Sans doute pas. Mais je crois qu'il ne sert à rien de désespérer. Je crois que quand on a le talent de Carrère, son intelligence, son style, on peut s'offrir le luxe de l'espoir, et on peut l'offrir à ses lecteurs. Il ébauche ce pas de côté, avec le personnage du moniteur bienveillant. Et c'est là qu'on l'aime le plus. Comme on l'avait plus aimé dans d'autres vies que les nôtres. Parce que l'espoir, messieurs-dames, je ne parle pas de la foi imbécile, mais l'espoir, c'est ce qui fait qu'on continue de chercher, c'est ce qui fait qu'on continue de lutter. A la fin de la lecture de la Classe de neige, je me croyais fâché avec Emmanuel Carrère, trop écrivain, pas assez romancier, se contentant de nous déverser ses angoisses au lieu de les régler. Mais il faut lire la classe de neige en se rappelant qu'il a déjà vingt ans, et que depuis, Carrère a fait du chemin, et nous avec lui, et qu'il vaut mieux l'espoir un peu irritant du Royaume que la blancheur glaciale et sombre de cette Classe de Neige, parue  quand nous avions de l'espoir à revendre, et toujours disponible chez Folio. 

La chronique audio est disponible ici. 
La musique que vous entendez, là, derrière, c'est français, pas mal, non ? C'est Cry, de Rogers Moll, dont je dois la découverte à mon frangin, qu'il en soit ici remercié, poil au pied, de nez

lundi 5 octobre 2015

Seeker, de Jack McDevitt

Je tourne la dernière page de Seeker, de Jack McDevitt, chez Folio SF et je suis envahi par un sentiment de reconnaissance. Quand on lit un ou deux livres par semaine, parfois, c'est l'indigestion. Il y a cette étagère entière, avec des Poches français, étrangers, récents, contemporains, classiques réédités, mais rien ne va. Tout est soit trop réel, soit trop mal écrit, soit trop glauque, soit trop lent, soit trop... STOP !

Ces périodes de livres abandonnés à la page dix sont frustrantes, mais souvent ce « non, je n'ai pas envie de lire « ça », et ça, non plus, et ça, pas plus » nous fait sortir de notre zone de confort, nous amène à des livres inattendus. Je ne lis presque pas de science fiction. Souvent trop contente de ses trouvailles technologiques, pourtant vues mille fois, la science fiction néglige trop souvent l'épaisseur des personnages, elle mise tout sur le monde, l'idée, l'intelligence un peu bébête. Mais Jack Mc Devitt ne fait rien de tout ça dans Seeker. Quand il rappelle habilement que pour les protagonistes l'anglais est une langue morte, on réalise que ces humains si proches évoluent dans un futur qui n'aura jamais lieu. Seeker, c'est le nom d'un vaisseau, utilisé par des terriens déçus de leur civilisation, pour aller coloniser un autre monde habitable, ou prétendu tel. Neuf mille ans plus tard, Alex Benedict, antiquaire, pilleur de sites archéologiques, et sa pilote Chase Kolpath se retrouvent par hasard sur la trace du Seeker. 

Bon, on a le droit aux sauts quantiques, à la vitesse supraliminique, les téléphones portables s'appellent des linkers,  pour les armes, ce sera des brouilleurs : on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, un peu plus d'originalité dans la vision du futur. Mais c'est plutôt bien écrit, et surtout, le couple Benedict-Kolpath est intéressant, crédible, attachant. Alors on continue. L'intrigue un peu policière qui s'y greffe n'apporte pas grand-chose, et j'ai même craint que le roman ne s'éteigne plutôt qu'il ne se termine. Mais il faut se méfier des astres qui s'endorment, comme la naine brune dont l'attraction fait pivoter le roman. La fin est vertigineuse, les échelles d'espace et de temps, s'étirent de façon astucieuse, et la réflexion philosophique qui se déploie ne tranche rien, elle nous ramène à nous. À cette myopie spatio-temporelle : nous croyons toujours être à un point culminant de l'histoire, mais la civilisation, l'évolution des sociétés humaines sont des battements de cœur, les contractions suivent les relâchements, les âges de fer suivent des âges d'or, comme des marées contre lesquelles on aimerait que la raison puisse lutter. En nous montrant sur quoi butte un futur qui aurait trouvé le moyen d'explorer d'autres mondes habitables, Jack McDevitt, nous rappelle que l'enjeu est toujours humain, il est toujours ici, toujours maintenant : comment être heureux les uns avec les autres ? Si on ne sait pas faire ça sur notre planète, on ne saura pas sur une autre. Bon, modestement, cette semaine, par exemple lisez  Seeker, de Jack McDevitt, paru chez Folio SF, pour découvrir un autre monde qui aide à être heureux dans celui-ci. 

Pour une fois, j'avais réservé l'exclusivite de la diffusion à Des poches sous les yeux, vous pouvez donc retrouver l'audio ici.

lundi 14 septembre 2015

On est foutus, on pense trop !

On est foutus, on pense trop ! C'est par ce livre de Serge Marquis que j'ai commencé ma série de lectures « bien-être et développement personnel ». J'étais dans ma voiture, sur le parking du supermarché. J'avais rendez-vous. Pour aller acheter une salade industrielle qu'on partagerait avec un ami, assis sur un banc en plastique en forme de canapé. Serge Marquis passait à la radio. Je ne voulais pas faire attendre mon pote, mais le discours : on est foutus, on pense trop, me paraissait bien intéressant. Sans gluten ni laitage il n'y avait pas grand-chose, alors au rayon salade, j'ai pris une salade de riz au thon et le livre de Serge Marquis en espérant que ce serait moins salade. 

Le sous-titre du livre est : Comment se libérer de Pensouillard le hamster. Sur la couverture, un hamster jovial court dans une roue. A l'intérieur, pour lui, c'était moins rose. Parce que ce hamster, c'est notre ego. Et il n'a que lui-même comme raison de vivre. De là découlent toutes nos frustrations, tous nos problèmes. On s'énerve parce que comme on écoute notre ego, on considère qu'on a droit à des choses. On s'inquiète parce que comme on écoute notre ego, on a peur de disparaître si on n'est plus aimé, remarqué, valorisé. « C'est la peur de notre Pensouillard qui fait naître ces tempêtes sous notre crâne. »

La pensée intéressante du livre, c'est de mettre en évidence la tendance qu'on a de s'identifier à notre ego. L'ego peut-être attaqué augmenté, diminué. Donc, si on s'identifie à lui, on est en danger. Serge Marquis nous rappelle que nous ne sommes pas notre ego. Et il nous propose d'apprendre à passer de l'activité mentale-ego à l'activité mentale conscience. Se défaire du jugement, de la personnalisation, de la réflexion automatique, être dans le ressenti, laisser venir. Rien de nouveau, on réinvente ça sans cesse, le Yoga, le Tai-Chi, le Qi Qong, plus récemment le Vittoz ou la méditation de pleine conscience. Le skateboard. Mais si on réinvente sans cesse ce truc-là, c'est sans doute qu'on l'oublie sans cesse alors qu'on en a besoin. Pour faire décroître l'ego, il faut respirer, prendre de la distance, pratiquer la méditation. 

Bien, mais quelque chose cloche. D'abord, parce que pour quelqu'un qui prône l'effacement de l'ego, la décroissance personnelle, Serge Marquis est assez présent, trop. Ensuite, c'est le ton qui pêche. Est-ce une différence culturelle avec nos cousins québecois ? J'avais une BD d'Achille Talon quand j'étais petit, où il se vantait après avoir gagné le concours du voisin le plus modeste. J'ai eu un peu la même impression. A force de taper sur Pensouillard, ses pensouillures, sur le gros-ego, le livre donne une impression un peu revancharde assez désagréable. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, un peu plus de détachement. 

Et surtout, quinze jours après avoir lu le livre, je l'avais oublié, il n'avait laissé aucune trace ni dans ma mémoire, ni dans mes comportements. En le relisant pour écrire cette chronique, je revois pleine de bonnes choses surlignées mais aussi plein de procédés de manipulation du lecteur, de simplifications, plein d'affirmations qui sont indiscutables, mais qui n'ont pas eu d'impact sur ma vie à la première lecture. C'est comme une chanson dont on aimerait les paroles sans pouvoir les retenir parce que la musique est désagréable. 

Ce qu'il faut en retenir, si on oublie la musique :

C'est le rongeur (l'ego) qui se sent menacé, non qui vous êtes vraiment. Celui-ci n'est jamais menacé.

La décroissance personnelle peut s'approcher par l'attention au sensible, l'usage des sens seuls. Pouvez-vous regarder un visage sans le commenter ?

La quatrième de couverture vante une approche à la fois divertissante et libératrice. En fait, à vouloir faire croire que tout est facile (pour vendre plus de livre?) on ne va pas bien profond, et pas grand-chose ne change. 


lundi 31 août 2015

Sheila Levine est morte et vit à New-York, de Gail Parent

SheilaLevine est morte et vit à New York. Le titre du roman de Gail Parent, paru chez Rivages poche, laisse croire à une fantaisie morbide, un truc un peu "Famille Adams". Mais dès les premières pages, on comprend que sera plus classique. Sheila Levine a décidé de mettre fin à ses jours. Vous allez voir que le livre, ça va être des flashbacks. Il faut un peu de persévérance pour entrer dans le roman, parce que Sheila n'est pas très sympathique. Petite juive new-yorkaise qui trouve son visage trop typé, ses cheveux trop frisés, et que sa mère a forcée à manger quand elle était enfant, Sheila Levine n'avait qu'un rêve dans la vie, et encore, même pas le sien. Celui de sa mère. Se marier avec un juif gentil et si possible ni laid ni pauvre. Sheila fait des études d'art pour ne pas se retrouver à taper à la machine dans un bureau où le cousin d'un ami d'un oncle l'aura envoyée. Elle échoue dans une maison de disques pour enfants, grâce à l'entremise du cousin d'un ami d'un oncle, et on lui demande surtout de taper à la machine. À la machine ? On s'attendait à Bridget Jones chez les juifs new-yorkais et on réalise que le livre est sorti pour la première fois en 1974, et qu'on en est déjà à la 4ème édition française. Malheureusement, l'écriture aussi a un peu vieilli. Plus que la réalité qu'elle dépeint d'ailleurs. Aujourd'hui encore, des copines trouvent des amoureux, les plaquent, en trouvent d'autres, aujourd'hui encore la copine moche déprime pendant que ses colocataires s'envoient en l'air, mais on l'emballerait dans une comédie romantique rythmée où Sheila Levine resterait positive et amusante. Elle n'y arrive pas, elle n'arrive même pas à se débarrasser de ce clampin mollasson, sale et triste, qui ne veut pas se marier. Elle ne croit pas à sa vie autrement parce qu'on ne lui a pas appris à l'imaginer. Il y a des bons mots, on sourit parfois, mais on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'on s'ennuie un peu moins. Mais c'est peut-être aussi parce que le public cible est plutôt féminin ?

Et pourtant. Plus je lis, et plus je suis convaincu qu'il y a beaucoup de livres imparfaits qui méritent d'être lus et beaucoup de bons livres qui ne nous apprennent rien. J'ai sauté un paragraphe ou deux. Ou trois. Et pourtant. Il m'a fallu cet ennui, il m'a fallu pester à voir Sheila Levine faire tous les mauvais choix pour comprendre à quel point il est douloureux de ne pas être jolie. Douloureux de ne pas être désirée.

Et Pourtant. Ce que montre le livre, et à mon avis de façon plutôt involontaire, c'est qu'il n'est pas question d'être ou de ne pas être désirée, mais de se faire ou de ne pas se faire désirer, tel(le) qu'on est. Sheila se trompe de désir. Elle veut être blonde, fine, grande, et elle veut le désir des autres, elle veut être ce qu'elle n'est pas, au lieu de vouloir être heureuse telle qu'elle est, telle qu'on pourrait la désirer si elle cessait de se plaindre, de se cacher, de se vouloir autre. C'est là que la forme du livre prend son sens : une lettre de suicide, c'est toujours, plus ou moins, une lettre aux parents. Ah vous vouliez que je vive, que je mange et que je me marie, et parce que vous m'avez fait trop manger je ne me marierai pas et je vais me tuer. Et ça fiche la trouille, en tant que parent, de se demander comment on fait pour donner aux enfants les moyens de se connaître, de consentir à ce qu'on est et de chercher de toutes ses forces la joie avec ce qu'on est. Bref, lire Sheila Levine est morte et vit à New-York, de Gail Parent, aux éditions Rivages Poches, donne envie de faire non comme son héroïne mais bien comme son lecteur : ne pas attendre la fin du livre pour apprendre à en profiter.  

EDIT : l'audio est , uploadé du portable. Victoire de la 3G. 

lundi 6 juillet 2015

Interview brestoise

Pas de chronique ce lundi. 

Ce n'est pas faute de lire. Mais trop de  changements. D'appartement (pas encore un nouveau mais déjà presque plus d'ancien). De ville. De vie : d'amoureuse mais un nouveau job. Ce qui ne change pas : de la route, de la route...

A la place, voici une interview, qui fait suite à une lecture-débat au Mouton à cinq pattes.
Bien-sûr on aurait aimé, enfin j'aurais aimé, vous raconter par le détail l'accueil merveilleux de Claire et Virginie. Mais aussi comment parfois, le brestois, comme le gremlin, se transforme après une certaine heure. A cette différence près qu'il faut éviter de donner de l'eau aux gremlins alors que la transformation au comptoir, si elle venait bien d 'un excès de verres ne venait pas d'un excès d'eau... Mon fiston qui colorie pendant que papa joue les vedettes, les amis, qui vident leur porte-monnaie pour que la pile de livres commandés par La petite librairie

Et l'angoisse de l'auteur inexpérimenté (ça y est, je parle de moi à la 3ème) qui doit trouver la dédicace personnelle en moins de six secondes pendant que le lecteur, avec qui il avait fait ses études il y a 15 ans,  le regarde attentivement : " vas-y, t'es écrivain, vas-y trouve des phrases, et pas du tout cuit, hein, trouve la dédicace, parce que sinon, hein, la prochaine fois, je mets mes 17 euros dans le dernier Amélie Nothomb..."

Mais hélas, 50 pages à lire pour demain. Et si vous pensiez après avoir lu Dostoievski (chronique bientôt, je l'ai relu... Aïe, bobo la tête) que vous aviez atteint le summum du profond, du tordu, de l'incompréhensible, croyez moi, c'est pire. 

Merci donc, au Mouton à cinq pattes, à Claire et Virginie, à celles et ceux qui sont venus me soutenir, qui m'ont logé, ont partagé le barbecue, et à Nathalie qui a préparé l'interview pour le poulailler. 

C'est !

lundi 22 juin 2015

J'ai tenté la traduction simultanée de la chronique de Sebastian Kovac, un critique littéraire yougoslave qui vit en Charente et qui est passé enregistrer chez nous. Le résultat audio est ici. Pour la version ci-dessous, une meilleure traduction a été rédigée après-coup.



The PR woman from Folio told me : " You will like Jonathan Coe, i'm sending you à bilingual edition of 9th and 13th, it's a collection of his short stories." I didn't read it right away. Maybe because i knew i'd had this stupid idea to write a bilingual chronicle. And as i'm hardly fluent myself, i was not eager to get ridiculous. But as soon as I opened it, I knew that Mrs PR had been right : i liked Jonthan Coe.

The first short story is all smoke and mirrors. The reader is tricked into believing it's all about ghosts, believing in them or not, and the writing respects the codes of the genre, a story within a story, distorded images, gigantic shadows, but at the very moment one would think it's been done before, it becomes clear that really it's all about childhood, disenchantment.

The same theme is the core of the second story, which begins with an elegant play on words. The crossing of numbered streets, namely the 9th and the 13th, refers to the eponymous jazz chords. Ambiguous ones, as they can lead to several harmonical resolution. The player keeps thinking to what would have happened if he chose another final chord...
The whole book became even more meta, when i read a short story called VO. An english composer attends a french horror film festival. And a girl with whom he might have an affair, or not, is translating to english the french subtitles of a german movie written by a woman with whom he has had an affair, or not.
Of course, one would have liked, well, I would have liked, the narrator and the writer to be both more straightforward. But this is precisely what it's all about. The fear of hurting, sometimes, hurts more than the intended intial behaviour. This over scrupulous trait reveals an obsessionnal personnality that leads the narrator of the last short story to seek for decades all the available details about The private life of Sherlock Holmes, an underrated movie of Billy wilder. And this hidden quest seems to have led him to what he is now : an art critic, a movie specialist, a writer, a novelist.

In 9th and 13th, available in Folio's bilingual edition (with a perfect translation, unlike this chronicle) that is precisely what Jonathan Coe tells us. Whichever choice you make, your obsessions will always lead you to the same path : your own.


L'attachée de presse de chez Folio m'avait dit : "Vous allez aimer Jonathan Coe. Je vous envoie une version bilingue de 9ème et 13ème,désaccords parfaits, c'est le recueil de ses nouvelles." Je ne l'ai pas lu tout de suite. Peut-être parce que je savais que j'aurai cette idée idiote d'en écrire une chronique bilingue. Comme je ne parle même pas vraiment couramment anglais, je n'avais pas hâte de me ridiculiser. Mais dès que j'ai ouvert le livre, j'ai su qu'elle avait raison : j'aimais Jonathan Coe.
La première nouvelle est un exercice de poudre aux yeux. On fait croire au lecteur qu'il s'agit de fantômes, et l'écriture respecte tous les canons du genre, une mise en abyme, des images distordues, des ombres gigantesques, et au moment précis où on se dit que tout cela a déjà été fait, il devient clair que ce dont on parle vraiment, c'est de l'enfance, c'est de désillusion.
Cette même thématique est au coeur de la deuxième nouvelle, qui commence avec un jeu de mot élégant. Le croisement de rues numérotées, en l'occurence, la 9ème et la 13ème, fait référence aux accords de jazz éponymes. Des accords ambigus, puiqu'ils peuvent aboutir à plusieurs résolutions harmoniques. Le musicien se demande sans cesse ce qu'aurait été sa vie s'il avait choisi un autre accord final...
A la lecture de la nouvelle suivante, intitulée Version originale, le livre atteint un niveau supérieur de mise en abyme. Un compositeur anglais assiste à un festival français dédié aux films d'horreur. Une jeune femme avec qui il a, ou pas, une liaison, lui traduit en anglais les sous-titres français d'un film en allemand écrit par une femme avec qui il a eu, ou pas, une liaison.
Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le narrateur comme l'écrivain fussent un peu plus directs. 
Mais c'est précisément de cela qu'il s'agit. La peur de faire mal, parfois, fait plus de mal que l'intention première. Et cette scrupulosité excessive révèle une personnalité obsessionnelle, celle qui pousse le narrateur de la dernière nouvelle à chercher, pendant des décennies, tous les détails disponibles sur La vie privée de Sherlock Holmes, le film de Billy Wilder. Et c'est cette quête secrète qui semble avoir fait de lui ce qu'il est aujourd'hui : un critique d'art, un spécialiste du cinema, un écrivain, un romancier.


Ce que nous dit Jonathan Coe dans 9ème et 13ème, désaccords parfaits, dont l'édition bilingue, au titre près, propose une traduction parfaite (contraitement à cette chronique) c'est que quelles que soient les décisions qu'on prenne, nos obsessions nous ramènent toujours sur le même chemin : le nôtre. 

lundi 8 juin 2015

Verlaine avant-centre, de Jean-Louis Crimon

Lorsque j'ai commencéVerlaine avant-centre, de Jean-Louis Crimon, disponible au Castor Astral, je savais que c'était un peu cruel de ma part. Un auteur a toujours envie qu'on lui parle de son dernier né, et pas du roman qu'il a écrit il y a dix ans (20 ans en l'occurence pour celui-ci). Mais voilà, lorsque je l'ai rencontré au salon Étonnants voyageurs, j'ai lu la première phrase de Verlaine avant centre, et je n'ai plus eu envie de le quitter.

« Aujourd'hui encore je me demande si ce qui me rend le plus malheureux, c'est de ne pas savoir qui de nous trois a eu le premier l'idée d'inventer la vache bleue, ou bien si c'est d'avoir seul pressenti que l'été de la vache bleue ne reviendrait plus jamais. »

S'il y a une chose difficile en littérature, c'est de faire parler les enfants. On leur prête souvent des langages trop simples, ou trop fantaisistes, et on passe à côté de leur logique implacable, pas encore usée dans les angles par l'érosion de la politesse, de la convention, par les implicites que l'habitude finit par installer.

Immédiatement, on a envie de prendre dans les bras ce petit narrateur à qui Crimon prête une voix si juste. Plutôt, on a envie de le rejoindre dans cet âge où l'amour circule encore, et avant tout l'amour entre le père et le fils. Chaque jour, ils rejouent un des buts marqués par leur héros lors de la dernière coupe du monde. Le petit garçon prend le rôle de Just Fontaine, le mythique buteur du stade de Reims. Le père et les arbres du vergers seront tous les autres joueurs. Ce père qui multiplie les heures pour faire bouillir la marmite, puise sa fierté dans les victoires de son club, de son joueur, plaisir de prolo que Crimon nous montre sans populisme ni condescendance, comme un souvenir d'une enfance où les choses, et les gens, étaient durs mais simples.

Enfin, pas si simple, les rapports avec les gamins de l'école. On se moque de son œil qui louche, mais surtout, on se déchaîne sur celui qui hésite entre devenir footballeur et devenir écrivain. Il suffit que son professeur le félicite pour une phrase, une simple phrase, pour que la haine des paysans taiseux se déploie. La méchanceté s'acharne toujours sur ceux qui sortent un peu du cadre.

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Crimon sorte de son propre cadre car la description des buts qui clôture chaque chapitre finit par être un peu répétitive, du moins pour qui n'a pas vécu la coupe du monde de foot de l'année 1958. Et pourtant. Cette scène 13 fois recommencée où les arbres prennent la place des attaquants adverses, la minutie avec laquelle le père et le fils se préparent, c'est un langage d'amour silencieux. Les mots, eux, sont réservés à sa mère, qui aimerait les coucher sur le papier mais que la vie cloue à sa lessiveuse, sa cuisine, à la pauvreté du ménage, ou à sa tante, qui aurait croisé Verlaine dans un café parisien et qui garde précieusement un exemplaire de Jadis et Naguère. Verlaine avant centre a les maladresses de son narrateur et c'est ce qui en fait non pas un produit, mais un livre. De ceux qui nous rappellent que le temps, en fait, n'atteint jamais vraiment l'enfant qui survit en nous, séquestré, ligoté, bâillonné, cet enfant qui voulait être, comme Jean-Louis Crimon, Verlaine avant centre, disponible au Castor Astral.


L'audio disponible ici, cache un petit clin d'œil au dernier paragraphe, issu d'un truc de Weber, Der Freischütz Overture. 


jeudi 4 juin 2015

Le Poisson reçoit le Prix de l'inaperçu 2015 !

JY Reuzeau s'inspirant de la classe du poisson selon Marc Taraskoff
Je suis en vélo. Je roule. Si tout se passe bien, dans quinze jours, je serai à nouveau dans un bureau, alors, il vaut mieux profiter du soleil, de la forêt, qu'on peut atteindre en une grosse demi-heure si on pédale bien. Dans dix jours, je refermerai une parenthèse. Depuis 3 ans, j'ai passé le plus clair de mon temps à m'occuper de mon roman, le Poisson pourrit par la tête. 

Il est sorti en janvier. Le lendemain du carnage. Autant dire qu'il est passé un peu…

Une sonnerie. Dans mon casque bluetooth, le livre audio (L'idiot, de Dostoievski, comment ai-je pu être fan de cette écriture à la truelle?) s'interrompt pour m'indiquer un appel. C'est Jean-Yvez Reuzeau, mon éditeur.

- Michel ?
- Euh, oui, qui…
- C'est Jean-Yves. Tu n'as eu personne du Castor ?
- Pas depuis Étonnants voyageurs...
- Tu as reçu un prix ! Le Poisson, un prix !

A lire si vous ne connaissez pas encore Ignatus Reilly
Le Prix de l'inaperçu ! Le poisson pourrit par la tête est le lauréat 2015 du Prix de l'inaperçu ! / Ignatus Reilly. Il récompense deux romans, récits ou recueils de nouvelles, l'un de langue française et l'autre, étranger, « qui, en dépit de leurs qualités de style et/ou de fond, n’ont pas reçu l’accueil médiatique qu’ils méritaient lors des ″rentrées littéraires″ ».

Aucun prix ne pouvait me rendre plus heureux, me donner plus de baume au cœur. C'est comme un parent qui se penche sur ton épaule et te dit : « Bon, personne ne t'a remarqué, mais moi, j'ai vu que tu avais bien écrit. »

C'est comme de l'arnica sur une bosse.

Il n'y a pas d'argent à la clef, pas de partenariat mirifique, pas d'invitation à la Grande Librairie ni au Petit Journal. Juste, et c'est ce qui compte le plus, des gens dont c'est le métier de lire -journalistes, auteurs, éditeurs (pluriel neutre car le jury est bien mixte)- qui te disent : « Bon, personne ne t'a remarqué, mais nous, on a aimé ce que tu as écrit. »

Alors que dans quinze jours il faudra retourner gagner sa croûte et recommencer à écrire dans les marges, dans les interstices, juste avant que la parenthèse ne se referme, comme un retour à la case départ (pas d'meuf, pas d'taff, c'est bien casse-gueule), c'est un clin d'œil de ceux qui sont du bon côté de la littérature, et qui te disent : « Tiens-bon. Et à la prochaine fois ! »


Merci, merci, merci. Merci au jury, merci à vous toutes et tous !

Après, je suis tellement content que je pédale dans tous les sens, un rayon de soleil tombe sur une grande mare que le bonheur me fait voir comme un petit lac secret, je descends de vélo, je danse, je rigole, je repars, j'appelle ma mère, je roule dans le bonheur et les allées forestières. Je me perds, il me faut deux heures pour rentrer chez moi, je finis sur le plat dans le plus petit braquet possible, vidé, mais heureux

lundi 1 juin 2015

Journal d'un écrivain en pyjama

Je n'ai jamais été attiré par Dany Laferrière, l'auteur du Journal d'un écrivain en pyjama, disponible aux éditions du Livre de poche, et je me retrouve comme un idiot à apprendre comment il écrit sans avoir jamais rien lu de ce qu'il a écrit. Mais ce n'est pas si bête, car le journal d'un écrivain donne envie d'aller goûter la littérature de Dany Laferrière comme on rêve de goûter ce fruit exotique bien mûr et qu'on laissera pourtant sur l'étal parce que ce mois-ci, pour la première fois depuis 15 ans, on n'a plus aucun revenu. 

Dany Laferrière raconte, à travers 182 petites chroniques, sa vie quotidienne d'écrivain. Il parle des années de vache enragée, et de la rage d'écrire des romans vachards et  enjoués.

À qui s'adresse-t-il ? À son neveu, qui se met à écrire et voudrait des conseil ? À sa mère ? Il le sait :  « On ne peut être bon écrivain tout en protégeant sa mère. »  À ses tantes, qui pestent de comment il les a dépeintes, se fâchent puis lui pardonnent. À tous, quand il raconte aussi son pays, Haïti et sa province, le Quebec ?

Chaque chronique se termine par une petite note en italique. Il nous prévient, c'est comme le petit message qu'on trouve en brisant les fortune coockies chinois : « Une fois, cela tombe juste ; la suivante, non. Comme la vie. On n'a qu'à attendre le prochain train. » 

Tout le livre est ainsi : imparfait et sincère. Tellement plus attachant que tant d'autres livres parfaits. 
Celui qui a écrit : Comment faire l'amour avec un grand nègre a mûri, et il s'adresse peut-être aussi à lui-même, il se sermonne : « je sais à quel point les jeunes écrivains veulent provoquer. À trop provoquer, on banalise la chose. » Dany Laferrière s'accorde le droit de se contredire, le droit d'être flou, inégal, et en apportant ce discours vrai, il nous montre comment on devient écrivain. Quelques recettes, bien-sûr, mais le processus ne peut pas être mécanique, lisse, linéaire. L'écriture est toujours une turbulence. Alors, on prend plaisir, en tant que lecteur à observer l'énergie sans jamais tout à fait comprendre la thermodynamique de l'écrivain. Pour Laferrière « le romancier est un magicien, qui fait apparaître et disparaître les choses, et non un pédagogue qui tente de les expliquer. » Il ne s'agit pas de dévoiler les tours de magie, mais de raconter la vie du magicien, de dévoiler son quotidien. 

Ce journal n’intéressera pas que ceux qui veulent devenir écrivains. Laferrière aime les lecteurs, il sait ce qu'il leur doit. « Les livres ne se font pas par hasard, mais parce qu'il y a des lecteurs qui, du fond de leur chambre, les réclament en silence. » Laferrière considère la lecture comme une discipline à part entière, un art, aussi nécessaire que l'écriture : « Lire et écrire sont deux choses différentes, et de bons lecteurs deviennent de mauvais écrivains parce qu'ils n'arrivent pas à accepter ce fait. » 

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Dany Laferrière ne tente pas de camoufler ce recueil en roman. Les incartades fictionnelles me rappellent pourquoi je ne l'avais pas lu avant. Son goût pour l'absurde un peu forcé, pour le réalisme magique latino-américain, toute cette fantaisie trop voulue me semble artificielle. Les chroniques qu'il y consacre sont rares, et heureusement. Mais elles permettent de sortir un instant du livre, sans quoi on resterait au lit toute la journée, à se régaler de ce Journal d'un écrivain en pyjama, de  Dany Laferrière, disponible au Livre de Poche. 


La bande son de la version audio que vous pouvez entendre ici est issue de l'album Breaking the ethers, de Tuatara. 

lundi 18 mai 2015

Trompettes de la renommée : Michel Goussu à Étonnants Voyageurs

J'ai mis une casquette pour faire voyageur.
Étonnant, non ?
Photo : Drawoua récréation
Je serai au festival " Étonnants voyageurs " à Saint Malo, dimanche prochain, 24 mai, avec le Castor Astral, pour dédicacer Le Poisson pourrit par la tête et prendre un peu de temps avec tous ceux qui auront envie de discuter. Ce sera au stand 169, de 15h00 à 17h00.

Le programme des signatures "éditeurs" pour le dimanche est disponible ici

Puisqu'on est dans l'autopromotion, j'en profite pour vous montrer combien l'interview est un exercice qui se travaille. 

J'ai "donné" ma première interview pour Radio Béton. J'adore l'équipe Des Poches Sous les Yeux, mais ils sont trop gentils : il faut me couper la parole quand je parle pendant 30 minutes ! C'est ici, et  au moins, on a le temps de parler un peu de hip-hop. 

Un mois après, une autre jolie rencontre. Roland Françoise s'occupe de littérature pour Radio Massabielle ( radio guadeloupéenne... Catholique, je crois). Il chronique un livre par jour UN LIVRE PAR JOUR. Le pire, c'est qu'il les lit vraiment. Une interview plus resserrée, que vous pouvez écouter

Les chroniques de Roland Françoise sont disponible sur ce site et notamment la très bienveillante lecture qu'il a faite du Poisson. 

Merci à tous ceux qui m'apportent leur soutien et leur amitié, j'espère vous rencontrer dimanche à Étonnants Voyageurs !

lundi 4 mai 2015

Truman Capote, de Lilianne Kerjan

Truman Capote, par Liliane Kerjan est disponible en Folio dans la collection Biographies.  Il y a deux pôles extrêmes pour la rédaction d'une biographie. Le travail universitaire et le roman d'une vie. Il faut un peu des deux. Du travail de recherche, de documentation, parce que le lecteur veut en savoir plus. Mais aussi un pari sur les sentiments de celui qu'on dépeint, parce qu'il faut passer de la personne au personnage, s'adresser au cœur du lecteur. L'écriture de Liliane Kerjan, malgré une décontraction un peu forcée, révèle l'universitaire à la fois sûre d'elle et un peu empruntée. On ne peut lui reprocher de choisir une biographie factuelle, c'est souvent ce que les biographies à l'américaine font de mieux, mais il manque une épaisseur, un élan dans le ton. L'identification, le rapport affectif avec le personnage sont sans cesse remis en cause, parce que Liliane Kerjan découpe le livre selon des perspectives thématiques. Elle impose au lecteur des aller-retours dans le temps  qui le ramènent à une compréhension intellectuelle plutôt que sensible de Truman Capote.

Et pourtant. Chacun des épisodes décrits par Liliane Kerjan révèle la sensibilité de Capote. Pas une sensiblerie pastel, mais une sensibilité d'écorché, exacerbée par une soif de revanche qui donnera à l'écrivain le carburant pour travailler comme un acharné et se faire dans le monde une place qui compenserait l'enfance chaotique, qui ferait oublier le doute existentiel , le doute qui taraude un enfant dont les parents ne semblent l'aimer que par intermittence.  Le père, moitié escroc, moitié aventurier, organise les haltes et les excursions des petites croisières fluviales qui vantent les charmes du Mississippi. Le petit Truman y participe parfois, il y croise Louis Armstrong, il y apprend à danser, à séduire.

Séduire, c'est ce que fait sa mère quand le père est absent, souvent, et qu'elle s'ennuie, midinette de vingt ans piégée trop tôt dans une vie de famille qui l'étouffe. Le petit Truman est mis en pension chez des tantes, et c'est là que la campagne du Sud sauvage l’imprégnera. Truman conjure la solitude en restituant les ambiances, il comprend, ou il décide, que l'écriture sera l'arme avec laquelle il se tracera un destin. Sa mère, elle, a trouvé le sien dans une aventure plus solide que les autres, avec un certain Joseph Garcia Capote. Truman, en prenant son nom, tuera sans remord apparent ce père qui n'a pas su prendre soin de lui.

On connaît mieux la suite. Joe Capote emmène sa conquête à New-York, et Truman finira par les y rejoindre. Truman s'y fraie un chemin avec ses armes favorites : le charme et l'écriture. Rapidement, ses romans charnels sur le sud lui apportent la reconnaissance. Mais il prend un tournant radical, celui qui mène à « De sang froid ». Deux marginaux ont exécuté une famille de fermiers. Capote remonte la piste, explore les âmes tourmentées des  meurtriers, celle aussi de l'Amérique profonde, injuste. Il invente le récit véridique, retarde le livre jusqu'à l'épilogue : l'exécution des deux accusés. Ce n'est pas de la fiction, mais c'est le succès. Celui auquel Capote aspire tant : critique, médiatique, planétaire. Mais le réel brûle l'écrivain comme la bougie le papillon de nuit. Celui qui a obtenu tout ce dont il rêvait s'inspire de la phrase de Thérèse d'Avila pour entamer un dernier roman qu'il n'achèvera jamais :  « Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas. » Ces prières exaucées, ce sont celles de ses amis riches et puissants, qu'il décrit avec minutie et sans pitié. A-t-il conscience de les trahir, d'abuser de leur confiance, de l'intimité dans laquelle il sait se glisser ? Sans doute. Mais l'écriture passe avant tout. Elle lui a tout offert. Elle lui reprendra tout. Capote est renvoyé à ce qu'il n'a jamais cessé d'être : un enfant du Sud, ambitieux, fragile, ambitieux parce que fragile. En refermant ce Truman Capote de Liliane Kerjan, chez Folio, on n'ose à peine prier, de peur d'être entendu, ou alors simplement pour demander la seule chose qui compte vraiment, au final : être heureux et entouré de ceux qu'on aime.


Pour la version audio, ici, j'ai découvert Mississippi Fred McDowell dont le morceau You gotta move sert de fonds sonore.

lundi 27 avril 2015

Trône de fer, volume 3 (la bataille des rois), de Georges R.R. MArtin.

Alors que commençait la grève à Radio France, j'ai reçu le troisième volume du trône de Fer, de Georges R.R. Martin, dans la collection Écoutez Lire. Je ne l'ai jamais demandé. J'écoute les premières minutes. Et que je festoye, et que je guerroye avec mon épée qui porte un nom symbolique puissant. Derrière chaque phrase de dialogue, l'auteur ajoute un said-bookism, littéralement, un remplaçant "livresque" du verbe dire. « Cesse de me chercher querelle si tu ne veux pas que je dégaine Aiguille, répliqua Aria dans un mouvement de colère ». Je ne cite pas à la lettre, car il est difficile de prendre des notes en écoutant un livre audio sur le trajet du boulot, mais je ne dois pas être loin de l'esprit. Et puis quel sens ça peut bien avoir de commencer une série au troisième tome ? D'autant que dans le trône de fer, il y a au moins six ou sept maisons qui nouent des alliances ou fomentent des trahisons… Les Lanisters sont ils les ennemis ou les alliés des Barathéon ? et les Starks, de quel bord ? Sans compter que chaque clan retient en otage un membre d'un autre clan. Pire, chaque roi a laissé derrière lui une armée de bâtards dont il faut essayer de tenir le compte.

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé détester ce livre audio. J'aurais aimé pester contre Gallimard qui m'envoie sans que je le lui ai demandé ce que j'aurais aimé qualifier soupe médiévale-complotiste. Mais je me suis fait avoir comme un bleu. Happé par les description, certes caricaturales, certes déjà vues cent fois, mais tellement provocatrices d'images. Bien-sûr, je n'ai pas compris la moitié des liens qui unissaient les personnages, mais chacun d'entre eux s'impose par la cohérence de ses motivations, par la consistance de son acharnement. On les sent prisonniers d'une trajectoire qui les dépasse et désireux de reprendre le contrôle de leur vie. Et de celle des autres, dévoré par l'envie de prendre le contrôle de l'ensemble des sept royaumes. Car ce ne sont pas des enfants de chœur. Pire, plus ils sont méchants, machiavéliques, pervers, tyranniques, et plus on s'approche d'eux, jusqu'à se cacher derrière chaque bannière, chaque tenture, pour écouter leurs plans tordus, leurs histoires d'amour, de guerre, leurs histoires de famille brûlantes jusqu'à l'inceste.

La lecture de Bernard Métraux est en grande partie responsable de l'attention qu'on porte à ce volume pourtant souvent indigeste. L'ensemble de ce volume est tenu par pour son interprétation parfaite. Elle n'est pas plus subtile que l'écriture de Martin, elle est pourtant aussi juste. Chaque personnage a sa diction, son ton, son défaut de prononciation. Pour le lecteur qui n'a pas en tête tous les noms, c'est une aide précieuse qui permet d'être le moins perdu possible. Et surtout, les choix qu'il fait pour chaque personnage collent à l'idée qu'on s'en ferait en lisant le texte. Bernard Métraux est avant tout connu pour son travail de doubleur, assez proche de celui de l'audio book puisqu'il s'agit d'incarner des personnages non à l'écran, finalement, mais à l'oreille.


Finalement, j'aurais préféré, chaque jour, écouter le troisième volume de la série Trône de fer, de Georges R.R. Martin, intitulée La bataille des rois, disponible en audio book dans la collection Écoutez lire, plutôt que la play-list de Radio-France, qui est pourtant la seule chance d'écouter de la bonne musique sur la fréquence de France-Inter.

lundi 13 avril 2015

Dans le café de la jeunesse perdue, de Patrick Modiano

Dans le café de la jeunesse perdue, de Patrick Modiano, que Gallimard propose en audiobook dans sa collection Ecoutez Lire, dans ce café, un soir, entre une jeune fille. Elle vient de temps en temps. Ce genre de jeunes filles mystérieuses qu'on croise à l'adolescence, et dont la passivité permet qu'on projette sur elles ce qu'on attend de l'éternel féminin. Le narrateur la décrit, elle, mais aussi la bande de jeunes un peu bohèmes qui traîne dans le café. Ils croisent l'art et la littérature sans effort, ils ne font d'effort pour rien, par romantisme ou à cause de l'ivresse. L'un d'entre eux baptise la jeune fille Louki. Elle ne proteste pas, comme si sa nouvelle identité lui permettait d'en oublier une autre. Tous imaginent les vies qu'elle a à oublier. Louki est comme un écran sur lequel tout ce qu'on projette devient flou, sur lequel par conséquent chacun peut voir ce qu'il veut.

L'écriture de Patrick Modiano reproduit le coup du rétroviseur central. Dans un embouteillage, parfois, on saisit le regard du conducteur qui nous précède. S'il est du sexe vers lequel va naturellement notre désir, on l'imagine alors plus séduisant qu'il n'est. On reconstruit autour de ce qu'on aperçoit – quoi ? les yeux ? au mieux un peu de front au-dessus des sourcils, la naissance du nez ?- on reconstruit le visage qui habillerait le mieux ce regard. Et puis arrive un rond-point, un croisement, la voiture tourne, avec un peu de chance elle repart en sens inverse et le visage auquel on est soudain confronté n'a rien à voir avec ce qu'on avait fantasmé. Il ne nous serait pas venu à l'idée d'ajouter un menton fuyant, une coiffure choucroute, une barbe négligée ou une bouche crispée et vulgaire.
Louki, bien-sûr, le narrateur la voit de face, mais il ne saisit jamais, ce qu'elle pense, d'où elle vient, ce qui la motive. On peut aimer ou non la voix de Denis Podalydès, entre banlieue ouest et rive gauche, mais son côté un peu traînant sied assez bien à l'écriture de Modiano, qui se dérobe, semble ne pas vouloir faire le moindre effort, comme Louki. Et comme Louki, on finit par s'ennuyer un peu, à force que rien ne se passe. Modiano n'est pas un canard de la dernière couvée, il change alors de narrateur. La même bande, les mêmes trajets, mais un nouveau point de vue, donc, de nouveaux fragments de la même intrigue. C'est comme de reconstruire un puzzle dont les pièces seraient découpées dans des matières différentes, et ne nous seraient apportées que par petits paquets. Louki.  Le café. La patronne. Les jeunes, leur désœuvrement, l'impasse qu'on devine. Les moins jeunes, menaces imprécises, prédateurs incertains. L'ambiance, le choix des noms, les quartiers, les parcours, les points fixes, les zones neutres, l'amitié féminine toujours un peu trouble, Modiano fait du Modiano. Je suppose que les amateurs joueront à faire semblant de se perdre, joueront à se faire peur avec la destinée de Louki, qu'on n'imagine pas alourdie de saines rigolades, de parties de sport collectif ou d'escapades campagnardes et charcutières. Reste le vin, qui noie non pas les sentiments trop forts, mais les sentiments absents, ou trop flous. Les moins conquis diraient trop mous, les afficionados diront trop délicats.

Ceux qui ont connu une Louki, qui ont tourné autour, étoiles dans l'orbite d'un trou noir, savent que le mystère c'est qu'il n'y a pas de mystère, juste l'absence de joie, et ce qu'on y projette. Le talent de Modiano c'est de montrer cette attraction de tous vers rien. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'arrive le rond-point où le regard du rétroviseur devient un visage, j'aurais aimé croiser une fois Louki de face, au moins de trois-quart, j'aurais aimé que Modiano lui laisse une chance. Dans le café de la jeunesse perdue, que Gallimard propose dans sa collection Écoutez Lire, les habitués, et Modiano avec eux, se laissent attirer par cette Louki vulnérable à ceux qui la désirent, dangereuse pour ceux qui l'aiment, ils se laissent attirer par eux-même, coincés dans l'illusion du rétroviseur central.