Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 9 novembre 2015

Soumission, Michel Houellebecq

On a beaucoup parlé de Soumission, de Michel Houellebecq. Et on parle trop peu des livre audio, notamment de la collection Ecoutez Lire, chez Gallimard, dans laquelle j'ai écouté Soumission. 

En 2022, la Fraternité Musulmane arrive à la tête de l'état français, plus ou moins démocratiquement, et installe un régime islamiste modéré. François, le narrateur, est d'abord chassé de la Sorbonne, où il était professeur de lettres, spécialiste de Huysmans, avant de se rapprocher doucement du pouvoir, et, on peut l'évoquer sans rompre un suspens absent de tout le livre, de s'y soumettre. 

On a beaucoup parlé de Soumission, et pour de mauvaises raisons. Certains y ont vu un pamphlet islamophobe et une peinture un peu trop douce des identitaires français. D'autres y ont vu le ralliement de Houellebecq à un modèle de société patriarcal misogyne (rien de neuf). Les événements de Charlie Hebdo ont apporté une pesanteur, une gravité à la sortie du livre, encore exacerbée par le fait que Bernard Maris avait été le premier à prendre Houellebecq bien trop au sérieux, en lui consacrant un livre « Houellebcq économiste ». 
Soumission révèle plutôt un désespoir absolu. Houellebecq est perpétuellement dans la fausse ironie, le 1,5 ème degré. Oui, sa satire de l'universitaire pleutre et veule fait sourire, mais François ressemble un peu trop à Michel. Et se moquer de soi-même est, dans notre société de blasés cyniques, le meilleur moyen de ne pas changer de comportement tout en ayant l'air cool. 
Non, ce qui me semble intéressant, en filigrane, c'est la morale invisible du livre, qui fait écho à la trajectoire de Houellebecq. La morale c'est : si vous traitez des gens suffisamment mal, ils finiront par se trouver quelqu'un qui les traite à peine moins mal et qui pourra les dresser contre vous. Les musulmans passent de dominés à dominants. Et on ne peut s'empêcher de se demander si Houellebecq ne parle pas de lui. Il en a bavé, il a eu son lot de solitude, de rejets, de souffrance, il a eu son lot de boulot de merde, il a mérité sons succès par une constance, une présence. Mais maintenant, il a passé la barre, et il nous emmerde tous. Il ne prend pas la peine de mettre les formes, de faire semblant : Houellebecq n'aime pas grand-monde. On l'aurait aimé, enfin, je l'aurais aimé si j'avais pu trouver dans ce roman sombre et sans grand relief littéraire, un personnage dont on ait envie de suivre l'exemple. 

Parce que ce qui manque à Soumission, c'est l'imagination que demande le positif. Le négatif, le glauque, le désespéré : c'est plus facile, il suffit de regarder. Mais les gens qui tiennent, les gens qui disent « je veux trouver des façons de faire mieux », il faut énormément de talent, d'imagination pour les peindre et éviter le ridicule. Du coup, Soumission n'est pas un livre ridicule. Bien-sûr, il y a de la paresse des héros qui se rencontrent comme par hasard quand ça arrange l'intrigue, bien-sûr, le personnage le plus attachant disparaît avant le premier tiers, mais Houellebecq sait que la meilleure façon de ne pas mal écrire, est de tenter le moins de choses possibles. Le cynisme protège du ridicule. Il protège l'égo névrotique de la mauvaise conscience des occidentaux malheureux. 

Ce qui manque à Soumission, comme à ses personnages, c'est un souffle, le même que celui qui manque  à notre société, une envie, un enthousiasme. Tout ça manque d'amour, bordel. Tentative de psychosocioanalyse sauvage : Houellebecq manque d'amour, passe son temps à le dire, et tout le monde applaudit, comme on applaudit les artistes alcooliques, drogués, parce que leur souffrance nous donne des livres qui nous sortent de notre quotidien sécurisé, et on ne leur tend pas la main,  on ne les aide pas à terrasser les démons qui les empêchent de sortir leur véritable chef-d'oeuvre. On ne déteste pas le lire, mais on est content de sortir de Soumission, disponible en livre audio, dans une très agréable lecture de Eric Caravaca, dans la collection Ecoutez Lire chez Gallimard. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.