Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 27 janvier 2015

A l'étal du poissonnier


Le rendez-vous de kiné était à 19h30. Une heure à tuer. Je passe à la fnac. Sur la table, parmi les nouveautés francophones, le Poisson côtoie Guenassia. Je l'avais interviewé, une fois, pour une radio locale, dans une ambiance un peu tendue. Tendue à cause du libraire avec qui on avait un partenariat, qui était arrivé avec 3 heures de retard. Il n'a pas dû oublier non plus : chez lui, pas de place à l'étal du poissonnier.  La libraire de la fnac, au contraire, est tout à fait sympathique. Nous savons tous deux que les séances de dédicaces pour les primo-romanciers se résument à de longues heures gênantes et solitaires, alors je me contente de la remercier. 



Je dis presque personne parce que quelques tous petits échos nous parviennent. Pas vraiment du monde de la culture, puisque le seul journal qui ait consacré un article au Poisson c'est celui de la CGT, la Nouvelle Vie Ouvrière. L'article, très sympathique, est titré "à la dérive". C'est amusant, pour un poisson. 


Je dis presque, aussi, parce qu'un blog, Encres Vagabondes lui a consacré un long article, et on peut le lire ici. De manière générale ce "site littéraire pour lecteurs curieux" mérite un clic de souris. Le hasard, ces temps-ci, me veut du bien. L'article de la NVO côtoyait celui sur le dernier livre de Virginie Despentes et la critique des encres vagabondes fait encore référence à l'auteure de Vernon Subutex. C'est assez flatteur. Pour le rest, il s'agit d'une lecture précise du Poisson, et c'est agréable de se rendre compte que certains des messages passent aussi auprès de gens qui ne me connaissent pas. 

Et je dis presque personne, aussi, surtout, à cause des autres, ceux qui me connaissent. Au départ les tout proches, pour qui la question est "où commence le roman" ? Parce qu'ils n'osent pas demander "où s'arrête l'autobiographie ?" Ça fait un peu peur, d'imaginer un type qu'on connaît accroupi en chaussettes sur la cuvette des toilettes pour handicapés. 

Et puis, par des chemins que je ne connais pas, ceux, moins proches, qui m'envoient des messages, pour le moment très positifs. Je suis agréablement surpris de la bienveillance de ces premiers lecteurs, et de la pertinence de leur lecture. Quand on écrit, on travaille tout seul, pendant des mois, sur des aspects de construction, de rythme, et quand on est à peu près content on se dit que jamais personne ne se rendra compte de la différence. Et finalement, si. Et ça fait chaud au cœur.   


Bon, bien-sûr, même si les visites sur le blog augmentent rapidement, même si les piles avaient diminué de quelques exemplaires à Rennes, à Brest, à Betton, à Quimper, aussi, m'a-t-on dit, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, bénéficier de la couverture média de l'autre Michel (en haut à droite, sur la photo, un petit gars qui monte, paraît-il), mais chaque petit message que je reçois me fait me dire que je n'ai pas écrit pour rien. Un lecteur tellement différent de moi se retrouve dans la peau du narrateur, et je suis rassuré : tout le monde peut s'y retrouver. Une lectrice, aussi, m'a remercié d'avoir parlé des "petites mains", d'avoir souligné qui fait le boulot dans une boîte, et ça m'a suffit à me dire : "Finalement, même si maintenant je suis chômeur en fin de droits, ça valait le coup."

Bon, je m'étale, je me répands, on dirait une Miss France alors qu'un simple merci suffirait. 


Merci. 


lundi 26 janvier 2015

Gagnez La garçonnière d'Hélène Gremillon, en livre Audio chez Gallimard !

La garçonnière d'Hélène Gremillon est disponible en livre audio dans la collection Écoutez Lire, chez Gallimard. 


On distingue toujours, dans un roman, le fond et la forme, et dans le livre audio, il y a deux formes. Le style, les mots, mais encore la lecture à haute voix, qui court-circuite la vue et notre propre voix intérieure. Faut-il un comédien unique, ou, comme dans le cas présent,  plusieurs personnalités sonores ? La garçonnière se prête à cette succession de comédiens car on y découvre un à un les possibles suspects d'un meurtre. Lisandra Puig, la femme du psychanalyste argentin Vittorio Puig est retrouvée morte, défenestrée. Son mari est arrêté, et sa plus fidèle patiente, Eva Maria, va tenter de le disculper en cherchant le véritable coupable. 


Hélène Grémillon nous entraîne du parloir, où l'analyste et sa patiente élaborent leur stratégie d'enquête, aux salles de tango ou parfois de torture. Le portrait d'une Argentine qui tente de se remettre de la dictature passe par les portraits de ceux qui l'ont subie, de ceux qui l'ont soutenue. Mais une galerie de portraits ne fait pas un roman. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'Hélène Grémillon s'attache plus à l'histoire qu'à l'intrigue. Après trois ou quatre suspects potentiels, l'intérêt qu'on a pour la résolution du meurtre s'émousse. La régularité des rebondissements nous frustre car elle se fait aux dépends des rapports entre les personnages. On finit même par se demander pourquoi Hélène Grémillon se sert du prétexte policier au lieu d'écrire le vrai livre sensible sur les mères de la place de mai ou sur la difficulté d'une société à se réconcilier avec elle-même. La douleur d'Eva Maria à qui la dictature a volé sa fille, celle qui lui fait négliger le fils qui lui reste, l'histoire de ce musicien que la junte a brisé, et qui sait reconnaître ses bourreaux au simple son de leur voix, Hélène Grémillon nous donne envie de les connaître autrement que comme les fausses pistes d'une enquête qui n'en finit plus. 

L'empathie qu'elle a pour ses personnages permet d'éviter que l'agacement prenne le dessus, et la qualité de l'interprétation des comédiens, notamment Elsa Le Poivre et Thierry Frémont prolonge le plaisir de l'écoute, mais on n'est plus impliqué dans la recherche du coupable. On repère la fausse piste qui mènera bien plus tard à la résolution finale, Deus ex machina à la fois prévisible et invraisemblable. Ceux qui aiment les coups de théâtre apprécieront la mécanique, mais les autres trouveront peut-être que la volonté d'intelligence qui remplace la sensibilité du début du livre n'a pas tout à fait les moyens de ses ambitions.  Pour ma part, il m'a semblé un peu léger, presque inconvenant d'invoquer dans le dernier chapitre un sujet si lourd pour justifier les rouages qui mènent à la défenestration. 

On devrait donc rester sur une impression décevante, mais on finit La garçonnière avec la sensation pas désagréable d'avoir regardé un policier du dimanche soir. Certes, l'écriture, les personnages, auraient mérité le courage d'un livre plus risqué, c'est à dire plus sensible sur l'Argentine, mais on a passé à l'écoute du roman d'Hélène Grémillon, un agréable moment, et pour ma part, un agréable trajet, puisque la collection Écoutez lire, de Gallimard  permet de transformer les heures perdues de la route en d'agréables promenades auditives. 

La chronique audio est ici. 

Vous me trouvez un peu critique sur le livre ? Faites-vous votre avis : le livre audio de la Garçonnière est à gagner sur mon blog grâce à la générosité de Gallimard. Laissez un commentaire, et j'effectuerai un tirage au sort pour vous envoyer le livre audio. 


mardi 20 janvier 2015

Vers Le Sud, de Juan Gelman, Gallimard

Sous le titre Vers le Sud, Gallimard  propose des poèmes que Juan Gelman a écrit en exil entre 78 et 84. Vers le Sud, comme un voyage. Pas un voyage dans l'espace, ni le temps. Un voyage de l'intérieur vers l'extérieur. Qu'est ce qui pousse à la poésie ? L'excès. L'excès de beauté, qu'on ne peut garder pour soi, l'excès d'amour, qui nous submerge, et, dans le cas de Juan Gelman, l'excès d'horreur. Dès le début de Notes, le premier recueil, on comprend qu'il n'écrit pas pour nous, ni même pour être lu. Il écrit à peine pour lui, pour tenir, pour survivre. Non, il n'écrit pas pour il écrit à. Il écrit à ceux que la junte militaire des années 70-80 lui a arrachés.

Le lecteur peut se sentir exclu par ces noms qu'il ne connaît pas. Et puis encore, freiné par les retours à la ligne, les barres obliques. Parfois même par la traduction, qui peine à rendre la transformation des verbes en substantifs, ou l'inverse, les échos des répétitions, l'espièglerie des mots valises. En plus de quelques maladresse du traducteur, le français, du moins le français dans lequel je me lis ces vers, a perdu ses roulements, ses frottements, la musique aride qu'on retrouve quand on va lire ces notes en espagnol. Une fois qu'on y a renoncé, qu'on assume une lecture francophone, on peut faire le choix de ne jamais freiner, ni aux sauts de ligne, ni aux barres obliques, et on découvre alors une poésie subtile, profonde, et on avance dans ces Notes comme on s'enfonce dans les souvenirs meurtris du poète. Jusqu'à saturation, parfois, parce que l'horreur centre le poète sur deux choses : sur l'horreur, et sur le poète. On me pardonnera d'avoir dû prendre mon élan, d'avoir dû sauter quelques Commentaires et quelques Citations. Les feux, les peines, les brûlures, les plaies, les blessures épuisent, et il fallait aller au-delà de cette poésie là. 

Celle de la résistance à la mort, celle de tenir, celle de ne pas sombrer, qui cède peu à peu sa place à la poésie de la renaissance. Pas de résurrection en trois jour, mais un lent retour à la vie, presque végétal, comme une forêt brûlée laisse place à des bosquets épars. Juan Gelman s'invente d'autres identités, des hétéronymes aux mêmes initiales, Jose Galvan, Julian Grecco, qui lui permettent d'explorer timidement la vie que la dictature ne peut pas empêcher tout à fait. L'horreur reste présente, mais elle ne prend plus toute la place. La poésie, qui a porté le poète à bout de bras, exige de reprendre un peu de liberté, de fantaisie. Dans le poème Moi aussi j'écris des contes, on retrouve l'absurde, le réalisme magique latino-américain, juste un peu plus timide qu'à l'accoutumée. 

Le volume s'achève dans la douceur. Une douceur triste, 
parfois, mais d'une tristesse apaisante, qui vient éteindre la furie. Juan Gelman écrit Sur la poésie : « il y aurait deux ou trois choses choses à dire/ 
Que personne ne la lit beaucoup/ 
Que ce personne, c'est très peu de gens/ 
que tout le monde ne pense qu'à la crise mondiale. » 

On comprend, comme aujourd'hui, que la crise mondiale n'est que la banale toile de fond sur laquelle l'humanité parvient toujours à dessiner bien pire. 

Devant l'horreur, la vraie, celle des dictatures, celle des tortionnaires, ou celle aujourd'hui des assassinats terroristes, il reste l'humour des couvertures, et, à couvert, la poésie, qui nous protège depuis toujours de l'excès, de l'excès de laideur aussi. Juan Gelman conclut que « personne ne sait si ça se passe comme ça parce qu'il n'y a plus de filles/d'épiciers/de guerriers/de rois/ ou simplement de poètes. Ou les deux choses à la fois et il est inutile de se casser la tête à penser au problème. 
Ce qui est bon c'est de savoir qu'on peut chanter cui-cui dans les plus étranges circonstances/ l'oncle Juan après sa mort/moi à présent pour que tu m'aimes/ »

Parcourons Vers le Sud, de Juan Gelman, en Poésie Gallimard, ne cessons pas de rire, ne cessons pas de chanter cui-cui, ni de lire de la poésie. 

L'audio est ici, avec un fond de Marin Marais, me demandez pas pourquoi, il est minuit, j'suis crevé, moi. 

lundi 12 janvier 2015

Les infirmières d'Orange, de Roger Rudigoz, aux éditions Le Tout sur le Tout

Les infirmières d'Orange est l'avant-dernier livre de Roger Rudigoz, paru en 1985 aux éditions Le tout sur le Tout. 

Son journal d'écrivain, 20 ans plus tôt, se terminait par ces mots : « Le temps de l'impasse est fini. » Il ne faisait que commencer. On l'avait laissé aux côtés d'une ancienne maîtresse affublée de nouveaux amants, Victor, Titin et c'est dans la voiture de ce dernier qu'on le retrouve, ou plutôt, juste à côté, après l'accident qui lui vaut les soins des infirmières d'Orange. La convalescence devient l'occasion d'un « compte méticuleux des obsessions dans leur désordre. Un portrait découpés en tous petits morceaux. Et rassemblés à grands coups de griffe. »

L'accident a broyé la jambe de l'auteur, mais c'est le lecteur qui souffre. De voir Roger Rudigoz vaincu. Presque vaincu. L'homme est à terre et l'écrivain tente de rester debout. De raconter. Mais au moment de tout dire la clarté n'est plus au rendez-vous. Ou une clarté suspecte, celle de la reconstruction. Roger Rudigoz s'étend sur sa conception, « sans plaisir, selon [sa] mère », son embryogenèse, sa naissance, issue « d'une série d’hypothèses où manque simplement l'amour paternel. » 

Soudain, la cause de la révolte, c'est ce manque d'amour qu'on peut lire à chaque page. « Comme je les haïssais, mes parents, comme je me sentais étranger. » Et le jeune Roger qui monte au grenier, passe devant les portes grises, par ces « escaliers des pauvres [qui] semblent toujours faits pour les mener à l'échafaud. » Là, il se réfugie dans une malle d'osier dont l'intérieur est tendu de moleskine. Il referme le couvercle sur lui. « Il me semble que je m'y sentais moins seul qu'avec mes proches. » Et un enfant qui se sent seul est toujours à la merci de la pitié de ceux qui n'ont personne à qui donner leur amour. Comme ces deux demoiselles qui tiennent une ganterie et l'emmènent en cachette à l'église. Est-ce de là que date l'invasion de Dieu ? D'abord comme  pierre d'achoppement entre ses parents, puisque sa mère l'a fait baptiser. Ensuite, paradoxe des paradoxes, il faut combattre la foi par fidélité, fidélité à la longue lignée anticléricale paternelle. Enfin, Dieu comme ultime refus de l'absence de sens du monde dans lequel on vit.

On pourrait croire que le livre raconte comment des gendarmes sont venus chez Rudigoz pour y chercher de la drogue, après une dénonciation calomnieuse. Croire qu'il raconte que les gens du coin ont dénoncé un vieil écrivain parce qu'il couchait avec une jeune fille du pays. « C'est ça, le midi ? Quand tu n'en es pas, tu as juste le droit de la boucler. »

Mais je crois que ce que raconte, peut-être sans le vouloir, Roger Rudigoz, c'est l'invasion du sens. Il se dépeint claudiquant, refusant de s'appuyer d'un côté sur une canne, de l'autre sur une femme, préférant la pire des béquilles : le sens. Le sens, c'est le pourquoi. Pourquoi le soupçonne-t-on, lui, de trafic de drogue ? Pourquoi sa femme couche-t-elle avec lui plutôt qu'avec ce jeune homme qui lui fait du rentre dedans? Le sens est une impasse pour celui que sa sensibilité met à la merci du monde. 

Parce qu'il n'y a pas de pourquoi. 

Ce qui arrive à l'homme sensible arrive à tout le monde, mais tout le monde s'en fout. Lorsqu'un albinos bronze au soleil d'une plage de Sicile, lui seul  attrape un coup de soleil. Il regarde les autres peaux qui s'enivrent de lumière, et rient de sa rougeur, de sa douleur. S'il se demande pourquoi, à sa souffrance il ajoute du malheur. 

S'il renonce au pourquoi, le comment lui offre un refuge. Face à ce soleil absurde, face à cette sensibilité à fleur d'elle-même, il suffit d'une ombrelle, d'une place sous le feuillage dense d'un banian pour retrouver le plaisir, retrouver la bienveillance, pour gagner le respect, et, souvent, provoquer le désir de ces autres peaux, qui secrètement envient sa délicatesse, sa lumière si douce qu'il faut l'habiller d'un léger voile de ténèbres. 

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que cette chronique déjà trop longue s'arrête là, mais il faut aller jusqu'au bout du pourquoi. 

Parce que lorsque le pourquoi cherche un sens, qu'il butte, alors, il se tourne vers « Le Grand Parce Que », le grand sens, mais Dieu ne résout hélas pas grand-chose. 

Dieu surgit le plus souvent quand on n'arrive pas à expliquer ce qu'on ne parvient pas à accepter. 

Dieu plutôt que l'inutile méchanceté humaine, Dieu plutôt que l'injustice, que l'aveuglement des imbéciles, Dieu plutpot que le manque d'amour, partout, autour, plutôt que les œillères des idiots et cette excessive sensibilité qu'on ne choisit pas, Dieu plutôt que l'absurde de la guerre, des camps, et en bout de course, Dieu plutôt que le hasard. Mais Dieu n'est qu'une digue, le hasard continue à couler, la pression monte et dans le calme apparent du lac de rétention se cache la furie qui,  quelle que soit la religion, quel que soit le « grand parce que » que l'on s'est choisi, dévastera la vallée de tout l'absurde accumulé.

Du refus du hasard naît la question qui rend fou : « qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ? ». Elle décourage quand le percepteur, le propriétaire, le patron semblent s'acharner, mais pire, elle rend fou quand les bonheurs injustifiés nous tombent dessus :  « J'avais la mauvaise conscience des autres » 

Pour ce presque dernier roman Rudigoz retrouve son père dans la mauvaise conscience d'être revenu de la guerre quand les copains y sont restés, ce père pourtant honni mais qui lui confie : 
« ''A quoi tiennent les choses ? ''.  On était, lui et moi, en pleine clandestinité parmi les vivants, et moralement en plein crime. […] Il était mort depuis longtemps (il est toujours mort, ces choses ne s'arrangent guère, et je ne suis plus tellement vivant) mais la tranchée est toujours là, et le coquelicot, et le gourbi, et la droite et la gauche et les deux chiottes, et le hasard destitué. »

Le temps de l'impasse a-t-il fini par finir pour Roger Rudigoz ? Il évoquait avec un certain fatalisme n'avoir été qu'un auteur à trois ou quatre mille exemplaires. Mais dans toute recherche, l'impasse est un résultat. Handicapé par ma la même sensibilité excessive, devant l'inexplicable, devant l'inacceptable, je n'ai pas le talent qu'il faut pour écrire Les infirmières d'Orange, qu'on peut trouver, si on cherche bien, aux édition le Tout sur le Tout, ni la conviction pour écrire À tout prix (titre du second tome du journal aujourd'hui disponible chez Finitude). Mais le temps que j'ai sauté, celui que j'aurais dû passer à écrire, celui de la jeunesse, dans laquelle le talent ancre toujours ses racines, ce temps passé dans la recherche, je ne l'ai pas perdu : il aura servi à me faire du hasard un allié.  

samedi 10 janvier 2015

Merci pour ce Poisson (aux libraires, à ma représentante préférée, aux lecteurs du blog, et bientôt à ceux du roman)

Merci pour le Poisson. 

À la librairie Dialogues, Brest
Mon humeur était aussi grise que le ciel de ce samedi matin : pour une fois, j'étais en phase. Le guichet automatique n'a pas réussi à charger sur ma carte de transport les douze euro soixante qu'il est pourtant parvenu à débiter de ma carte bancaire. Je prends donc un ticket de métro pour pouvoir aller au syndicat des transports me faire rembourser d'autres tickets de métro. En sortant de la station République, la pluie était toujours là mais je n'étais déjà plus du tout en phase. Les soldes. Des gens partout, des sacs, pressés (les gens, pas les sacs, ou alors sur le cœur à cause du joli blouson
en daim qui m'aidera dans les moments durs), des pousse-toi-de-là-que j'm'achète-un-slip.
Au guichet, une dame très gentille me fait une nouvelle carte de transport : « Ah, mais vous avez des lunettes, maintenant, je vais vous refaire une photo. » Elle sort sa webcam, « souriez », puis me montre : c'est donc ça ma gueule ? Les quarante ans sont arrivés avec un peu d'avance. 

Pourtant je me suis appliqué à sourire, et ce sourire reste sur mes lèvres pendant que je remonte la rue : je vais voir si ce livre, mon livre, est dans les librairies. Ça peut paraître dingue, mais je n'ai pas eu l'idée tout seul. Hier, entre les échanges catastrophés, un SMS orphelin est arrivé sur mon portable, pas un mot, juste une photo du Poisson, bien en vue sur une table. Le message vient de Brest, je n'ose pas croire qu'il s'agisse vraiment de l'étalage de la librairie Dialogues. Pourtant, le SMS qui suit le confirme. Mais alors, à Rennes ? 

Chez Lefailler, à Rennes
Chez Lefailler, je ne peux pas me plaindre. Le Poisson est en rayon. J'aime l'alphabet qui fait se succéder Goussu et Gracq. Le Poisson côtoie En lisant, en écrivant et c'est un hasard qui me fait rougir. 

Au Forum des livres, c'est carrément le luxe. Trois exemplaires du Poisson sur la table littérature, à côté de Jérôme Garcin, et de Jean-Michel Guénassia. 

Il faut savoir que passer à table, dans un commissariat comme à la rentrée littéraire, c'est la clé d'une sortie réussie. Cinq cent romans débarquent dans les librairies en janvier. Vous êtes dans les rayons, personne ne vous remarque, à part les lecteurs de Julien Gracq. Vous êtes sur la table, tout le monde peut vous voir et pas seulement les fans de Jérôme Garcin ou de Guénassia, surtout avec la superbe couverture que Marc Taraskoff a faite. Merci, Marc. 

Au Forum du Livre, Rennes
Et Merci à Solène, du Forum du livre, merci à Caroline, de Dialogues à Brest, merci à tous les libraires qui ont envie de soutenir ce bouquin, merci à Carole, l'excellente représentante Bretagne,  qui est allée les voir pour leur présenter le Poisson. Car internet ou pas, il faut le dire, le répéter : LES AUTEURS NE SONT RIEN SANS LE SOUTIEN DES LIBRAIRES.

Bien-sûr, les journalistes littéraires orientent, conseillent, bien-sûr c'est parmi les blogueurs qu'éclosent les avis les plus fouillés et les plus sincères, mais les libraires prennent un risque en soutenant un livre. Pour avoir un ouvrage en rayon ou sur une table, ils achètent des exemplaires du livre. C'est se qu'on appelle l'office. Les livres invendus peuvent en général être renvoyés, ce sont les retours, et le libraire est alors remboursé. Mais entre les deux, c'est bien la librairie qui avance la trésorerie. C'est pourquoi, si l'envie vous prenait de vous procurer Le poisson pourrit par la tête, je vous serais encore plus reconnaissant de le faire auprès de votre libraire préféré. 

Mais comme c'est les soldes, je vous suis déjà reconnaissant. En effet, le mois dernier, le blog a dépassé les mille vues par mois. Sur le net, c'est totalement lilliputien, mais pour moi, c'est énorme. Si on divise par le nombre de chroniques et qu'on retranche nos amis robots, en pondérant par les statistiques corrigées de l'inflation, ça veut dire qu'on est au moins plusieurs à se retrouver le lundi pour parler de littérature. Merci à vous qui prenez le temps de lire mes trop longues chroniques.  

Si vous voulez n'en rater aucune, vous pouvez d'ailleurs rentrer votre adresse dans le petit formulaire en haut à droite « être informé par mail » (je ne vois pas les adresses moi-même, le site génère les envois de façon anonyme). Vous pouvez aussi aller sur la page facebook du blog car j'y annonce la publication des chroniques. Mais vous pouvez surtout passer quand vous voulez, parce que l'important, c'est que ça fasse plaisir. 

J'avais le cafard en commençant cette chronique. Je finis ma tasse de tisane, ma chronique, je relève la tête, il a disparu. Merci.

jeudi 8 janvier 2015

J = J+1, les humains aussi pourrissent par la tête.


Aujourd'hui ce devait être le jour J. Je l'ai espéré pendant des années, au point de ne plus y croire, puis j'y ai cru parce qu'on l'avait programmé, signature à l'appui. Hier, c'était J-1. Et aujourd'hui, on se réveille tous à J+1, avec la gueule de bois du millénaire. Aujourd'hui, ce devait être le jour J, la sortie de mon premier roman, et c'est l'absurde lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. 

Ne parler que de la sortie du Poisson, ça aurait été bizarre, déplacé. Mais ne pas
en parler du tout, ce serait une victoire de plus, une toute petite nano-victoire de plus pour les terroristes.
À la radio, déjà, on ne parle que d'eux. Ou des policiers qui les traquent. Ou des musulmans qui vont subir la double peine de la stigmatisation et de l'amalgame, et faut-il qu'ils soient en tête de cortège, dimanche, pour montrer qu'ils se désolidarisent, et faut-il qu'ils portent des petits panneaux #NotInMyName ? On ne parle que des partis politiques qui organisent la grande conciliation républicaine : avec ou sans le FN ?

On parle de religion et on parle de politique, c'est ça la vraie défaite. Depuis deux jours, j'entends en boucle les représentants de tous les cultes, de tous les partis, et je pense aux victimes, une femme et des hommes qui sont morts ces anars, à ces athées, ces bouffeurs de curé, qu'on devrait célébrer en levant le majeur bien haut ou en montrant son cul. Et aux flics qui défendaient des anars, comme ça se fait en démocratie.
Photo : Drawoua 
J'entends des journalistes dire « de là où ils nous regardent, ils voudraient que... ». D'où nous regardent-ils, bande de cons ? Ils sont morts ! Leurs dépouilles sont probablement en train de subir des examens balistiques sur une table en inox de l'institut médico-légal de Paris. « Ils voudraient que... » ils voudraient que quoi ? Qu'on ne parle pas à leur place ? Qu'on ne parle pas en leur nom ? Ils ont déjà dit ce qu'ils avaient envie de dire : la preuve, ils en sont morts. 


CITIZENSIDE / MANON THAUST / AFP
J'étais au rassemblement sur la place de la mairie, hier, à Rennes. J'ai eu la chance d'arriver trop tard pour les prises de parole, et j'ai aimé ce silence, ce calme un peu désemparé, ces quelques jeunes qui tendaient des stylos vers le ciel, ou des pancartes « Je suis Charlie », partagés entre une peine sincère, un choc qui ressemble à la trouille et l'exaltation inavouée de faire partie de quelque chose qui les dépasse, d'une cause qui vaille la peine. La liberté d'expression vaut la peine. Mais à Rennes, personne ne criait de slogan (pas même « nous sommes Charlie »), personne ne se mettait en avant. Putain, j'étais ému de voir des gens la fermer pour défendre la liberté d'expression. C'était beau. Et puis il a fallu rentrer, les gens se sont remis à parler, et les machines à lieux communs ont repris du service, dans la rue comme sur les ondes. Mais quoi ? Fallait-il s'attendre à ce que, parce que des terroristes ont massacré la rédaction d'un journal satirique, la France se réveille pleine de gens de bonne foi, de bonne volonté, prêts à renoncer à se partager le gâteau que représentent toutes ces consciences qui s'éveillent ? 

Et c'est presque tant mieux, que nous ne changions pas tout de suite. Tant mieux que les terroristes ne changent pas nos habitudes. Il faut un peu de temps pour changer en bien, le temps de la sédimentation, de la réflexion, loin des copains et des attitudes. Je me souviens des londoniens, le lendemain des attentats dans le métro : « Nous ne laisserons pas un petit groupe de terroristes changer la manière dont nous vivons. »
Charlie Spirit (pardon maman)
Alors merde, bite, couille, aujourd'hui, c'est officiellement le jour J : en attendant d'aller acheter Charlie mercredi prochain, il vous est possible dès aujourd'hui d'aller chez votre libraire acheter Le poisson pourrit par la tête, pendant que son auteur se marre en pensant que le premier jour de vente de son premier livre est aussi le dernier jour de son dernier demi-mois d'allocation chômage !




Le poisson pourrit par la tête, de Michel Goussu, au Castor Astral, 17€.


lundi 5 janvier 2015

À tout prix, de Roger Rudigoz, chez Finitudes

À tout prix est le second tome du journal d'écrivain que Roger Rudigoz  publia aux éditions Juillard en 1963 et que les éditions Finitude ont eu la bonne idée de republier en 2014. 

Il était impossible de ne pas se sentir proche de l'auteur du premier tome, Saute le temps. Il est possible de ne pas suivre celui d'À tout prix jusqu'où il veut aller.  Et pourtant, c'est le même homme, surtout quand il écrit : « J'ai toujours eu la passion de m'embrigader, malgré tous mes goûts d'indépendance. Je commence seulement à comprendre la raison de cette contradiction : j'étais à la recherche d'une fraternité nouvelle dans cette société sans âme... » Tu m'étonnes. 

On sent encore cette tension entre l'envie d'aimer le monde et l'incapacité de l'accepter tel qu'il est. «  En voyant très peu de gens, tous triés sur le volet, et mis longtemps à l'épreuve, on doit finir par devenir l'ami du genre humain. » !

Mais ce qui éloigne, ce qui sépare, c'est l'ampleur du destin de Rudigoz, de ce qu'il a enduré, subi, l'ampleur de ce qu'il a vécu, et dans quoi s'ancre sa radicalité. Pourtant, lui qui fanfaronne quand il s'agit de ses conflits avec le percepteur, le propriétaire, le patron n'écrit sur les camps de prisonniers qu'avec la pudeur d'un homme qui a failli se briser. Pire, d'un homme qu'on a forcé à plier. Quelques pages, mais qui n'éludent rien. Le chef de camp ? «  Sans la guerre, nul doute qu'il eût été un parfait honnête homme. Chaque fois que je suis en présence d'un parfait honnête homme je ne peux m'empêcher de l'imaginer chef de camp. Et chaque fois, je suis obligé de me rendre à l'évidence. Ça colle, c'est plausible. Toutes mes bagarres avec les patrons viennent de là. […] Je suis toujours prisonnier dans la mesure où je continue, comme il était bien fondé de le faire là-bas, de prêter à mes semblables d'épouvantables desseins. Et comme il m'arrive de voir que ce n'est pas sans raison, le mal ne guérit pas. »

On comprend alors la rage qui le saisit quand le percepteur, le propriétaire, le patron viennent lui mettre des bâtons dans les roues. « À vingt ans,je faisais la guerre des autres, et maintenant, la mienne. » Et sa guerre c'est la littérature. Qu'on l'empêche de la mener et il grogne,  il regrette de ne pas avoir plus souvent encore cogné les premiers de la classe quand il était enfant, eux qui deviendraient percepteurs, propriétaires, patrons. Pire il fuit. Le voilà dans le Sud. Il y cherche la vie, donc l'écriture. Et voilà qu'il retrouve sa vie, celle qu'il a menée enfant. Stupeur quand son ancien instituteur lui montre son bulletin. «  Quelle déception. […] J'étais premier ou second en presque tout ! Un bon élève ! […] Mais alors, pourquoi mes parents me traitaient-ils sans arrêt de cancre et de propre à rien ? » 

Rudigoz, le sensible, le bon élève, conditionné à se voir en cancre, en cogneur, cela donne :  « Les ratés sont fascinants. » Non, Rudigoz, les ratés sont des ratés, ils te tireront vers le bas. Et le voilà qui renoue avec Cricri, « la môme S.O.S., une fille catastrophique dont il faudra bien que je parle un jour quand je ferai le récit complet de tous mes malheurs. » Fuis ! On a envie de crier : Fuis, Rudigoz ! Surtout les admiratrices, celle-ci qui te donne de quoi tenir assez pour te faire piéger par celle-là. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, revenir un demi-siècle en arrière, lui dire, n'y vas pas, pense à elles,  « La grande Annie, la Bavaroise, la blonde enfant des forêts. Puis la belle Aude, la Rudigotte, mon héritière, ma dauphine. » Il les retrouve, les emmène dans le Sud et... Que se passe-t-il après ? Son éditeur est mort : il n'y aura pas de troisième tome au journal. À quoi tient le destin d'un écrivain ?  Cinq ans plus tard, deux autres romans. Et plus de dix ans de silence. Et des contes pour enfants. Ensuite, il reste encore deux livres, Les infirmières d'Orange, en 1985 et le Fauteuil vert, en 1987. Et pour moi, la trouille de les lire, de voir dans quelle gueule du loup il est allé se jeter lorsqu'il disait, à la fin d'À tout prix, disponible aujourd'hui chez Finitude : le temps de l'impasse est fini.



TL ; DR : La suite du journal de Rudigoz, émouvant, effrayant.

Pas de chronique audio car pas un livre de poche, et le temps, bon sang, le temps.