Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 26 octobre 2015

Dale Carnegie 1 : Comment dominer le stress et les soucis

Dale Carnegie, Comment dominer le stress et les soucis, chez Flammarion

l'immonde couverture française

Vous l'attendiez depuis sa sortie des rotatives américaines en 1944, How to stop worrying and start living est enfin disponible chez Flammarion sous le titre imparfaitement traduit Comment dominer le stress et les soucis. Les méthodes mises au point par Dale Carnegie, des méthodes qui ont su faire leur preuve pendant sept décennies marquées par la taylorisation du travail et des esprits, ces méthodes sont enfin à portée de votre lecture enthousiaste. 


Longtemps je me suis demandé pourquoi les auteurs de développement personnel écrivaient si mal. La réponse m'a été donnée par le blog de l'un d'entre eux : ils n'ont pas passé leur temps à apprendre à bien écrire mais à maîtriser la discipline qu'ils se proposent de nous transmettre. Il y a en réalité une autre raison, pédagogique, que Dale Carnegie applique jusqu'à l'usure du concept : la perfection n'est atteignable que par la répétition. Chaque partie annonce le nombre de sous-chapitres, comme pour  préparer les tiroirs qu'on remplira par la suite. Puis chaque chapitre commence par une historiette édifiante, où l'auteur décrit la situation qui l'a amené à formuler un principe, petit ou grand. Ce principe est ensuite illustré par des exemples impliquant un homme célèbre, si possible un président des États-Unis d'Amérique, ou un milliardaire, ou un homme d'affaire dont le nom est aujourd'hui oublié. Un exemple met enfin en scène une femme ou un homme de la vie de tous les jours, et pourquoi pas issu du public de ses
séminaires,  et il cite de temps à autre des courriers qu'il aurait reçu. Personnalisation, argument d'autorité, identification.

La version anglaise, pas chère, plus lisible
C'est insupportable. Si vous lisez l'anglais, préférez la version originale dont le niveau de langage un peu désuet et les personnalités datées de l'après guerre apportent un certain cachet. C'est insupportable, mais pas inefficace, parce que répétitif. Dale Carnegie conseille d'ailleurs de relire le livre une fois par moi, même en diagonale, pour se remémorer les astuces qu'il propose. 

Mais enfin : est-ce que ça marche ? Non. Oui. Je ne sais pas. Sur le moment, oui. Ça apporte de l'espoir. Ça montre des pistes. Et très sincèrement, si on suit ces pistes, ça marche plutôt pas mal. Mais moi, je n'ai pas réussi à tenir la distance, à relire le livre assez souvent pour que les bonnes réactions au stress deviennent des routines. Et c'est le reproche que lui feront des auteurs plus tardifs. Dale Carnegie propose des recettes, des trucs, des astuces, mais on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces martingales plongent leurs racines dans un tout, dans une vision de la vie. Et c'est ce qui fait que non, le message ne tient pas sur la distance. Petit à petit, on oublie de vivre dans des jours compartimentés, on oublie l'importance de rester occupé, on oublie que le pire est peu probable, l'importance de faire des siestes, de... Oui, la liste est longue et c'est pour ça qu'on ne retient pas tout. 
Et pourtant, oui, je crois qu'on peut lire How to stop worrying and start living avec intérêt. Parce que les histoires que racontent Dale Carnegie montrent un degré de pauvreté que nous ne rencontrons que rarement dans notre quotidien, mais dans une Amérique encore possible, et de ce contraste se dégage
un optimisme vintage qui nous met dans de bonnes dispositions pour au moins quelques semaines. Lisez comment dominer le stress et les soucis, disponible chez Flammarion, et devenez l'acteur de la construction de votre avenir radieux. Dale Carnegie, Tellement mieux !

lundi 12 octobre 2015

La Classe de neige, Emmanuel Carrère

La classe de neige est un des tous premiers romans d'Emmanuel Carrère, et on peut se le procurer chez Folio. Il parle d'un enfant qui a peur. Son père le dépose là où les autres enfants sont déjà arrivés en autocar. C'est déjà un petite pointe de honte, parce que les enfants détestent être différents des autres. Surtout Nicolas, qui fait encore, parfois, pipi au lit. Surtout Nicolas, qui en plus, a oublié son sac dans le coffre de son père. En quelques lignes, le malaise est déjà bien installé. Il ne fera que croître. D'abord à cause de l'histoire, qui prend petit à petit la piste (classe de neige, piste, humour malvenu) d'un fait divers sordide. Ensuite, parce qu'on voit la fin se profiler, et que jusqu'au bout on espère un virage sévère pour éviter la chute. Mais non. 

Bien-sûr, l'écriture de Carrère est déjà là, visuelle, limpide, classique, mais est-ce que ça méritait vraiment le prix Femina ? Finalement, le dénouement manque de surprise, et surtout, d'espoir. 
Emmanuel Carrère est un auteur important pour moi, majeur, mais il partage avec Houellebecq, un désenchantement revendiqué comme un signe de leur supérieure lucidité. 

Mais non, les gars. Vous n'avez pas découvert l'absurde de l'existence. Il y a eu Camus, Dostoievsky, et notre putain de vie de tous les jours. Bien-sûr, Carrère n'est pas Houellebecq, et il y a une retenue, une délicatesse, et même de l'affection pour les personnages. Mais dans le fond, ce que fait Carrère, dans La classe de neige, La Moustache, et même dans l'Adversaire et après, c'est de nous faire porter à nous ses angoisses à lui. Ses angoisses de type brillant qui n'a pas de problème de fin de mois, pas de problème de vocation, pas de problèmes de carrière. 

Mais quoi ? Est ce qu'on aurait aimé, enfin, est-ce que j'aurais aimé que la classe de neige se termine par un happy-end, qui nous fasse croire qu'il n'y a pas de pervers autour des cours d'école, pas de terreurs nocturnes dans le cœurs des enfants, pas de désarroi dans celui des adultes ? Sans doute pas. Mais je crois qu'il ne sert à rien de désespérer. Je crois que quand on a le talent de Carrère, son intelligence, son style, on peut s'offrir le luxe de l'espoir, et on peut l'offrir à ses lecteurs. Il ébauche ce pas de côté, avec le personnage du moniteur bienveillant. Et c'est là qu'on l'aime le plus. Comme on l'avait plus aimé dans d'autres vies que les nôtres. Parce que l'espoir, messieurs-dames, je ne parle pas de la foi imbécile, mais l'espoir, c'est ce qui fait qu'on continue de chercher, c'est ce qui fait qu'on continue de lutter. A la fin de la lecture de la Classe de neige, je me croyais fâché avec Emmanuel Carrère, trop écrivain, pas assez romancier, se contentant de nous déverser ses angoisses au lieu de les régler. Mais il faut lire la classe de neige en se rappelant qu'il a déjà vingt ans, et que depuis, Carrère a fait du chemin, et nous avec lui, et qu'il vaut mieux l'espoir un peu irritant du Royaume que la blancheur glaciale et sombre de cette Classe de Neige, parue  quand nous avions de l'espoir à revendre, et toujours disponible chez Folio. 

La chronique audio est disponible ici. 
La musique que vous entendez, là, derrière, c'est français, pas mal, non ? C'est Cry, de Rogers Moll, dont je dois la découverte à mon frangin, qu'il en soit ici remercié, poil au pied, de nez

lundi 5 octobre 2015

Seeker, de Jack McDevitt

Je tourne la dernière page de Seeker, de Jack McDevitt, chez Folio SF et je suis envahi par un sentiment de reconnaissance. Quand on lit un ou deux livres par semaine, parfois, c'est l'indigestion. Il y a cette étagère entière, avec des Poches français, étrangers, récents, contemporains, classiques réédités, mais rien ne va. Tout est soit trop réel, soit trop mal écrit, soit trop glauque, soit trop lent, soit trop... STOP !

Ces périodes de livres abandonnés à la page dix sont frustrantes, mais souvent ce « non, je n'ai pas envie de lire « ça », et ça, non plus, et ça, pas plus » nous fait sortir de notre zone de confort, nous amène à des livres inattendus. Je ne lis presque pas de science fiction. Souvent trop contente de ses trouvailles technologiques, pourtant vues mille fois, la science fiction néglige trop souvent l'épaisseur des personnages, elle mise tout sur le monde, l'idée, l'intelligence un peu bébête. Mais Jack Mc Devitt ne fait rien de tout ça dans Seeker. Quand il rappelle habilement que pour les protagonistes l'anglais est une langue morte, on réalise que ces humains si proches évoluent dans un futur qui n'aura jamais lieu. Seeker, c'est le nom d'un vaisseau, utilisé par des terriens déçus de leur civilisation, pour aller coloniser un autre monde habitable, ou prétendu tel. Neuf mille ans plus tard, Alex Benedict, antiquaire, pilleur de sites archéologiques, et sa pilote Chase Kolpath se retrouvent par hasard sur la trace du Seeker. 

Bon, on a le droit aux sauts quantiques, à la vitesse supraliminique, les téléphones portables s'appellent des linkers,  pour les armes, ce sera des brouilleurs : on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, un peu plus d'originalité dans la vision du futur. Mais c'est plutôt bien écrit, et surtout, le couple Benedict-Kolpath est intéressant, crédible, attachant. Alors on continue. L'intrigue un peu policière qui s'y greffe n'apporte pas grand-chose, et j'ai même craint que le roman ne s'éteigne plutôt qu'il ne se termine. Mais il faut se méfier des astres qui s'endorment, comme la naine brune dont l'attraction fait pivoter le roman. La fin est vertigineuse, les échelles d'espace et de temps, s'étirent de façon astucieuse, et la réflexion philosophique qui se déploie ne tranche rien, elle nous ramène à nous. À cette myopie spatio-temporelle : nous croyons toujours être à un point culminant de l'histoire, mais la civilisation, l'évolution des sociétés humaines sont des battements de cœur, les contractions suivent les relâchements, les âges de fer suivent des âges d'or, comme des marées contre lesquelles on aimerait que la raison puisse lutter. En nous montrant sur quoi butte un futur qui aurait trouvé le moyen d'explorer d'autres mondes habitables, Jack McDevitt, nous rappelle que l'enjeu est toujours humain, il est toujours ici, toujours maintenant : comment être heureux les uns avec les autres ? Si on ne sait pas faire ça sur notre planète, on ne saura pas sur une autre. Bon, modestement, cette semaine, par exemple lisez  Seeker, de Jack McDevitt, paru chez Folio SF, pour découvrir un autre monde qui aide à être heureux dans celui-ci. 

Pour une fois, j'avais réservé l'exclusivite de la diffusion à Des poches sous les yeux, vous pouvez donc retrouver l'audio ici.