Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 9 décembre 2013

Trop tard

Trop tard pour faire de la pub. 
Mais ceux qui n'ont rien à faire demain soir peuvent se rendre au lancement dur ecueil "un dimanche à table" dans lequel sera publiée une de mes nouvelles. 

Les infos sont là !




dimanche 8 décembre 2013

Cent vies et des poussières, de Gisèle Pineau

Cent vies et des poussières, de Gisèle Pineau, paru chez Folio, ce sont les cent grossesses, les cent bébés auxquels Gina voudrait donner naissance. Naissance seulement, et puis encore quelques mois, au mieux quelques années. Parce qu'une fois que ses enfants tiennent debout, Gina s'en désintéresse, ils l'embarrassent, et elle pense déjà à la grossesse suivante. Ce qui rend cette jeune femme heureuse, ce n'est pas d'être mère c'est d'être enceinte.  

En fait, l'enchaînement des naissance et des abandons n'est qu'un prétexte dont Gisèle Pineau se sert pour décrire la vie d'un quartier défavorisé de Guadeloupe. Sa volonté de représenter les habitants de la Ravine Claire, représenter au sens démocratique, presque institutionnel du terme, encombre le livre de Gisèle Pineau. Cent vie et des poussières souffre d'une écriture parfois maladroite qui devrait nous agacer et d'une construction parfois répétitive qui devrait nous éloigner. Mais ces imperfections, au contraire, rendent le livre sympathique, tout comme on préfère un élu local un peu maladroit à la roublardise d'un politicien professionnel. Ce qu'on perd en style, on le gagne en véracité, en proximité. On entre dans les maisons, dans les cuisines, dans les chambres à coucher. Pas en voyeur, non, en voisin, en confident d'une jeune femme complètement dépassée par un désir animal, hormonal, violent, même. Une force issue des profondeurs de l'évolution : l'irrépressible désir de donner la vie. 

Les mauvaises langues disent qu'elle fait des enfants pour les allocations, que les grossesses sanctionnent des plaisirs illégitimes, mais c'est confondre les causes et les conséquences. C'est bien l'appel de la maternité qui pousse Gina à chercher des hommes. Quand leur travail, non de père mais de reproducteur est enfin accompli, elle les repousse et cherche comment assurer la subsistance de sa trop nombreuse descendance. 

En creux, parce qu'elle décrit les conséquences de l'absence des hommes, Gisèle Pineau milite pour la place du père, dans cette société dont le machisme cache mal le fonctionnement matriarcal. 

La lignée, ici, se dessine donc bien entre la grand-mère, Izora, matrone déclinante pour qui les morts sont moins absents que les vivants, Gina la mère téléguidée par son insatiable uterus, et Sharon, la petite fille, à travers les yeux de laquelle le récit nous est raconté.

Le dernier tiers du livre présente un défaut d'architecture évident, et le rappel de l'histoire des esclaves marrons n'apporte pas grand-chose. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Gisèle Pineau aie confiance en ce qui fait la grandeur de son projet : sa capacité à soulever des enjeux immenses sans grandiloquence ni discours théorique, juste en décrivant la vie d'un quartier pauvre de la lisière caribéenne de notre société. Parce que Gina n'est pas une métaphore de la Guadeloupe, elle est une métaphore de l'humanité toute entière. Elle évoque notre incapacité collective à maîtriser notre démographie, parce que chaque vie que nous donnons nous donne l'illusion que nous la vivrons. Sharon, elle, du haut de ses douze ans a bien mieux compris que la meilleure façon de vivre Cent vies et des poussières c'est de les lire, puis, de les écrire, comme l'a fait Gisèle Pineau dans son dernier roman disponible chez Folio.


Le fichier audio est maintenant chez mon hébergeur personnel, qu'est de l'or en barre, même que si j'étais Stéphane Eicher je chanterais "pas d'autre ami comme lui oh non non non", mais ça fait pas très hétérosexuel. Merci mec.

Donc c'est

TL ; DR : Un livre sur le désir d'être enceinte plus que d'être mère, assorti d'une description sans pitié de la Guadeloupe d'aujourd'hui. Cruel et parfois mal construit, mais pas si mal.