Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 20 juin 2016

Un amour Impossible, Christine Angot.

Un amour impossible, de ChristineAngot, raconte l'histoire de ses parents. Si on a vécu dans une diète médiatique pendant les 15 dernières années et qu'on refuse de lire la quatrième de couverture, on peut encore ignorer que le père de Christine Angot l'a violée. On peut aussi ignorer que Christine Angot en a parlé dans plusieurs livres précédents. Et même si on n'ignore rien de tout cela, on peut quand même tomber dans l'hystérie qui entoure Christine Angot. Hystérie qui prend racine dans l'apparition d'Un amour impossible sur la liste du Goncourt. L'auteure et son livre ne méritent ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.

Christine Angot est insupportable, c'est acquis, et c'est encore plus vrai si on découvre son livre dans la collection Ecoutez Lire chez Gallimard, car, malgré son habitude des lectures publiques, son écriture et sa diction entrent dans une résonance qui rendrait sympathique Charlotte Gainsbourg dans l'effrontée. Il y a notamment une répétition de j'en ai marre, j'en ai marre ou encore une page de mémé, mémé, qui sont proprement insupportables. Alors quoi ? Dans un monde ou silence vaut critique, pourquoi parler d'un amour impossible ? Pourquoi parler d'un livre qui imite parfois Duras jusqu'à la platitude, ou montre une absence totale d'inhibition jusqu'à virer au dialogue de mélo nouvelle vague ?
Il y a une mauvaise raison. La raison morale. Qui consiste à se dire, face aux railleurs, aux critiques, il faut être du côté de la victime, qui raconte, l'horreur, lente, progressive, qui mène au viol. Et une bonne raison : Un amour impossible est un récit admirablement construit, on l'inéluctable est palpable dès les premières minutes de la relation entre sa mère et son père. Tout du long, on est tendu, derrière Rachel Schwartz, et on a envie de lui dire : « va-t-en ! ». Non, on a envie de lui hurler « barre-toi ! » Tout du long, ou presque, car dans sa sincérité hargneuse, Christine Angot ne parvient pas, ou ne souhaite pas cacher le caractère pathologique de son père. Pas seulement pathologique parce que violeur, mais violeur parce que pathologique. Elle fait ressentir son intelligence, sa sensibilité qui contribue à l'ordure qu'il devient, et aussi l'écrasement total, l'incapacité à refuser les valeurs familiales d'un autre siècle. Plus atroce encore, on sent comme au final c'est une image de soi bousillée qui le rend odieux, donc odieux à lui-même dans une spirale lente, insupportable, dégueulasse. Un amour impossible décrit moins le viol de Christine Angot que l'émergence d'un salopard, et l'incapacité d'une mère complexée, naïve, et, pire, amoureuse à se sortir du piège, puis à voir le drame, puis à le reconnaître, à le reconnaître face à sa fille.
Alors, oui, il y a de l'exhibitionnisme chez Christine Angot, comme il y en a chez Virginie Despentes, peut-être aussi chez Edouard Louis, et chez toutes celles et tous ceux qui se sont sentis rabaissés par le mal qu'on leur a fait et qui ont besoin du regard des autres, pour que chaque lecture, chaque apparition leur permettent de se dire : je ne suis pas ce que j'ai subi. Oui, il y a des outrances, des paresses, parfois, chez Angot, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'elle résiste à la tentation de faire de sa souffrance une marchandise littéraire. Mais Un amour impossible, disponible dans la collection Écoutez lire chez Gallimard est un livre qui dévoile, et qui, en montrant la voie à ne pas suivre, donne sans doute des pistes pour s'échapper de l'emprise de ce profil hideux que prend parfois le visage de l'humain.  


Pas encore sorti en poche, donc pas d'audio. 

lundi 13 juin 2016

Hédi Kaddour, Les Prépondérants

Les prépondérants, de Hédi Kaddour, disponible chez Folio ou en Audiobook dans la collection Écoutez lire de Gallimard, décrit l'arrivée d'une équipe de tournage américain dans une ville d'Afrique du Nord, Nahbès.

Le roman commence mal. La langue est assez morne. Les personnages un peu classiques. Raouf, d'abord, le fils du caïd, un jeune musulman éduqué, éclairé, se servant de sa connaissance des deux cultures pour contrer l'assurance morale dont se drapent les colons. Leur supériorité technique agricole, commerciale, et bien entendu militaire et policière, ils l'habillent du doux nom de Prépondérance.

Ganthier est le prototype du prépondérant. Mais son intelligence, sa sensibilité s’immiscent parfois dans sa volonté d'étendre son emprise sur une terre qu'il aime. Qu'il aime, vraiment. L'arrivée des américains, leur familiarité avec ceux que les colons appellent parfois les indigènes, leurs femmes bavardes et joyeuses, ce coup de vent inattendu, le choc des cultures, le risque de caricature était à chaque coin d'oasis. Mais non, Kaddour fait preuve d'une véritable finesse dans la description de cet autre espèce de dominations qu'ils transportent avec eux. Et on s'attache de plus en plus à ce livre parce que l'auteur contourne les obstacles avec une langue dont on finit par comprendre que le classicisme est une forme de douceur.

En ayant l'air de suivre les histoires d'amours des uns et des autres, en osant le pari d'un voyage en Europe où le jeune Raouf s'entendra dire par Ganthier : « vous m'emmerdez, jeune Raouf » chaque fois qu'il enfoncera un coin dans ses certitudes coloniales, Hedi Kadour prend encore le pari de situations casse-gueule dont il se tire toujours en suivant la logique interne de ses personnages. Kathryn, la belle actrice américaine, Gabrielle, la journaliste française engagée, Rania, la cousine de Raouf, en veuve qui refuse de vendre ses terres à Ganthier, Hédi Kadour fait la part belle aux femmes. Elles voient, elles se jouent des hommes, de leurs illusions de puissance, elles se servent de leurs désirs, y cèdent plus rarement.

Bien-sûr, le doute s'insinue parfois : ces personnages, si proches de nous, si modernes, est-ce qu'on a si peu changé depuis cent ans ou est-ce qu'Hédi Kaddour nous les rend un peu trop semblables pour qu'on s'y attache un peu plus ? On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, avoir la culture suffisante pour me faire une idée. Mais à vrai dire, on se laisse envahir par l'impression inexorable que ce monde est en train de craquer, que la guerre qui arrive ne sera qu'une violente interruption dans un processus inexorable de chute des empires, et on ne peut s'empêcher de se dire que si l'amour et le désir incontrôlable, la peur de manquer et la soif de justice, si la jeunesse et la désillusion luttent les unes contre les autres depuis si longtemps, alors, cette ambiance de fin de règne qui nous saisit à chaque nouveau scandale, à chaque nouveau sondage nauséabond, à chaque bateau qui sombre d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée annonce la remise en question des prépondérances sur lesquelles repose notre tranquillité.

Avec sa langue lisse, calme, un peu fade, Hédi Kadour nous fait ressentir, sans effet de manche, avec le cœur, qu'il faut se méfier de l'eau dans laquelle dorment trop de cadavres.


Et on se dit que peut-être, aujourd'hui, nous sommes ces Prépondérants, que décrit Heddi Kadour dans son roman disponible en Folio Poches ou en audiobook dans la collection Écoutez Lire chez Gallimard.


Note : la version audiobook est lue par un Pierre-François Garel qui prend son temps, mais dont la voix grave prononce avec délice les phrases des poèmes arabes.