Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 24 juin 2013

Théorie du crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia,

Théorie du crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia, est le penchant sociologique du Harcèlement Moral, La violence perverse au quotidien, de Marie-France Hirigoyen,  paru chez Pocket.


Là où Marie-France Hirigoyen analysait le phénomène sous l'angle individuel du pervers narcissique et de sa victime, Jil de Rauc parle de maladie sociale dans laquelle la démocratie " thénardière " laisse prospérer des " usuriers du droit ", qui profitent de ce que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé.

La violence morale est en ce sens le crime parfait : "un crime dont l'auteur et sa victime sont les seuls témoins". La formule est pertinente et montre bien que la violence morale est un frôlement des limites et jamais une agression frontale facile à qualifier. Mais l'amour des formules fait pâtir le livre de Jil de Rauc d'un excès de verbiage. Les définitions se succèdent, le raisonnement tente d'englober la violence morale du harcèlement définie comme usure du droit et la violence morale du terrorisme, définie comme usure de la liberté d'expression.
Malgré la brièveté de l'ouvrage, on finit par se demander où l'auteur veut en venir. On retrouve de l'intérêt lorsque l'auteur met en évidence que c'est parce que "la peur du désordre devance, de loin, celle de l'injustice" que le crime parfait est toléré par la société. Ainsi, la volonté des démocraties de se libérer de l'ordre moral aurait mené à une " génération sociocentrique dont nous aurions moins à redouter l'insurrection qui vient que le culte de l'autorité et de l'idolâtrie de la loi. "

Le livre de Marie-France Hirigoyen faisait sentir l'expérience de la praticienne, et si on pouvait parfois trouver que sa volonté de défendre les victimes amoindrissait l'analyse du psychisme des bureaux, la puissance des implications pratiques faisait pardonner les maladresses du livre.


Ici l'impression est inverse. La réflexion semble très théorique, et la volonté de se parer d'une objectivité pseudo-scientifique toute sociologique produit du vocabulaire abscons.  Théorie du crime parfait échoue à donner un pendant politique à la problématique individuelle du harcèlement. Le livre laisse une impression d'autosatisfaction devant une construction intellectuelle un peu branchouille (références à Cyrulnik, et Taxi Driver) mais on se sent assez peu concerné car on ne lui voit aucune déclinaison pratique pour rendre le monde meilleur. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que l'auteur soit plus concerné par les implications d'une approche collective de la violence morale que par la joliesse des articulations de son raisonnement logicien. La théorie sociale du harcèlement moral reste encore à écrire. 


Théoriedu crime parfait, de Jil de Rauc, paru aux éditions Allia, 6,10 €

TL ; DR : un essai théorique sur la violence morale. Plus théorique qu'utile en tous cas, même si la notion d'usurier du droit est intéressante. 

mercredi 19 juin 2013

Joseph Anton, une autobiographie, de Salman Rushdie, chez Plon.

Ce que j'ai pensé de Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon.

Je suis étonné qu'on ait si peu parlé de Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie parue cette année chez Plon. C'est peut-être parce que ce genre de livre est le calvaire du chroniqueur. Plus de 700 pages, parfois lourdes, pesantes, parfois même ennuyeuses, mais dont il est impossible de sauter une seule tant ce livre est important, majeur.

Joseph Anton est le pseudonyme que Salman Rushdie se choisit lorsque Khomeyni proclame une fatwa qui va l'obliger à vivre caché pendant presque dix ans. Joseph, pour Conrad et Anton pour Tchekov. Pourtant, l'auteur russe auquel fait penser ce livre est plus lourd, plus poisseux, aussi cynique mais bien moins léger. Comme à la lecture d'un Dostoievski on peine et on se dit : « laisse moi tranquille, moi aussi j'ai des problèmes. » Mais comme à la lecture d'un Dostoievski, on tourne les pages jusque tard dans la nuit. Parce c'est vertigineux, d'un romanesque total et lesté de la véracité du récit.

Les quarante premières années de la vie de Salman Rushdie sont brossées en à peine plus de cent pages. Il nous dévoile à demi-mots la construction de son imaginaire : culture pop britannique et tradition indienne millénaire. On y lit l'auteur des Versets Sataniques se faire appeler India Man par des colocataires enfumés. « La conversation est morte, mec ». La suite passe très vite, le mariage, un enfant, le succès, le divorce.

Et la condamnation à mort.

Non, la fatwa de Khomeny est plus cruelle qu'une simple condamnation à mort. C'est une condamnation à être tué, sans que jamais ne soit précisé qui exécutera la sentence, ni quand, ni où. Une condamnation à être tué peut-être. 
L'horreur révèle la nature des gens et la fatwa se mue en parabole, elle sépare le bon grain de l'ivraie, les lâches des courageux, les hypocrites des amis sincères. C'est le paradoxe de la vie de fuyard de Joseph Anton : reclus la plupart du temps, il ne sort de chez lui que pour aller de soirées mondaines en événements littéraires. Il finit par ne vivre de familiarité domestique qu'avec les policiers chargés de sa protection. Étrangement, l'agaçant name-dropping d'écrivains célèbres nous rapproche de Rushdie qu'on suit comme un ami dans la foule. Il nous rend ainsi proche de lui, sans pour autant se peindre sous un jour sympathique. S'il s'était contenté de nous donner l'illusion de le comprendre, la nostalgie de la dernière page serait supportable, mais son absence de pitié pour le lecteur et son abondance de talent nous inoculent l'illusion de le connaître. Alors on se demande comment il ne devient pas fou quand des gens en tuent d'autre à cause de son livre, un roman. Un roman écrit pour déchiffrer un peu plus l'imaginaire humain, pour défricher un peu plus le territoire toujours vierge de la littérature.

Il faut ces sept cent pages pour montrer l'alternance délétère de périodes de détente et de vociférations, réitérées par les islamistes de Téhéran, du Cachemire ou de Trafalgar Square. Il faut ces sept-cent pages pour laisser se développer, autour, les histoires d'amour, les illusions, et le combat non seulement pour la vie mais pour l'écriture. Car on n'écrit pas, ou mal, ou trop peu sous les projecteurs et la protection policière, sous la pression politique ou sous la paralysie de la peur. Alors, chaque jour, Salman Rushdie tente de se débarrasser de Joseph Anton, et tente d'écrire.


Bien sûr, le livre est parfois long, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le génie littéraire de Salman Rushdie soit toujours aussi apparent que lorsqu'il raconte à quel reniement atroce le mène le piège de son désir d'être aimé. Ce reniement duquel il se relève en écrivant ce livre, est celui auquel notre société succombe, peut-être à force de se contenter de livres faciles qu'on referme dans un soupir de satisfaction : « Ah, j'ai lu un bon livre ». Non, on referme Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie, Paru chez Feux croisés Plon en se disant  : « Putain, je viens de livre un grand livre. »   

 Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon, 24 €.

La chronique audio est disponible ici  (sur un son d'Asian Dub Fondation).

TL ; DR : La biographie de Salman Rushdie, avec un focus particulier sur les longues années de Fatwa. Un livre parfois ardu, mais qu'il faut lire pour se rappeler la complexité, la diversité de l'âme humaine. Des lâches, des héros, des gens normaux. C'est beau. C'est parfois long, mais c'est beau. 

samedi 15 juin 2013

Liebster Award

Liebster award, quoi ça il est ?
Une façon pour les blogs ayant moins de 200 abonnés de faire connaître d'autres blogs ayant moins de 200 abonnés. En fait, c'est un genre de chaîne de mails pour les blogs. Si on y répond, alors plein de gens vont venir voir votre blog, un éditeur va vous remarquer, vous recommander à un mass-média qui vous suppliera de travailler pour eux. À genoux. Et pour un gros salaires et plein d'avantages en nature (jet privé, détartrage dentaire offert chaque année, ticket restaurant de 7€50, réduction pour le concert de Raphaël). En revanche, si vous ne répondez pas, votre blog ne sera plus jamais consulté, à part par Par-is Hilton (c'était pour faire Part par par).

Donc une fois que quelqu'un qui vous veut du bien (et qui a compris la méthodologie de com sur les réseaux sociaux) vous a taggué vous devez :

- il faut écrire 11 faits sur son blog et/ou sur soi
- répondre aux questions des personnes qui vous ont tagué
- poser 11 questions à 11 blogueurs à taguer. Et les en informer sur leur page.

Je ne sais pas s'ils ont plus de 200 abonnés, mais voici qui je vais tagguer :

http://www.marclefrancois.net/ Un écrivain qui publie un billet quasi quotidien. Beaucoup d'anecdotes sur les écrivains, et qui parfois aussi livre un peu de ses méthodes d'écriture.

http://www.lalettrine.com/ Le blog d'Anne Sophie Demonchy. Une fois de plus je ne sais pas si elle est en dessous de 200 abonnés, mais je n'ai pas vu de nouvelle chronique depuis mars, alors je la tague.

http://lioneldavoust.com/ Lionel Davoust écrit de la fantasy. Pas ma tasse de thé a priori, mais on a de bonnes discussions sur la littérature, et il est très fort sur la construction de ses livres.

http://agirlcalledgeorges.blogspot.fr/ Il y a un côté un peu arty cynique qui peut agacer, mais a girl call Georges propose des textes souvent bien écrits.

http://antigonehc.canalblog.com/ Une maman qui fait des chroniques littéraires. Je l'ai découvert à travers sa chronique des Lisières d'Olivier Adam,

http://blog.pourquoijecris.fr/ Toujours le même format : un extrait de livre, un commentaire personnel, des liens. Les chroniques sont parfois un peu longues (pas plus que les miennes) donc je ne les je ne lis pas toujours tout, mais quand je lis, souvent j'aime bien.

http://paf-le-paf.tumblr.com/ On a commencé une guéguerre Mac / Android, alors qu'on ne se connaissait pas. Et après deux commentaires j'ai tendu une perche d'apaisement (c'est quand même le combat le moins intéressant possible), qu'il a prise. Depuis, parfois je lis son blog.

Ah ouais, ça fait pas onze ? t'es comptable ? T'es de la police ? Je débute dans la blogosphère, j'ai un nombre d'amis sur facebook à seulement deux chiffres, et je n'ai toujours pas compris comment marche l'interface de cette bête, pas plus que de Google+. Alors 8 blogs, c'est énorme. C'est trop, même. Nettement trop.(en fait il n'y en a que 7 mais j'ai fait le pari que personne ne recompterai)


Il faut écrire 11 faits sur son blog et/ou sur soi

  1. Je suis mal à l'aise avec cette démarche qui ne sert qu'à faire de la pub et générer du traffic.
  2. J'ai lancé ce blog pour mettre en ligne mes chroniques afin de pouvoir envoyer des liens et convaincre les maisons d'éditions de m'envoyer des livres.
  3. Cela me permet aussi d'écrire tous les jours (même si mon rythme de publication ne le reflète pas), ce qui est une hygiène de vie pour moi, comme se laver les dents.
  4. Je me lave les dents tous les jours.
  5. Ce n'est pas un blog "de journaliste". Je suis incapable d'écrire une bonne chronique au rythme auquel écrivent certains. Donc je n'écris pas sur ce blog tous les jours. 
  6. Je me lave pourtant vraiment les dents tous les jours. 
  7. J'ai écrit deux livres, je n'ai pas encore réussi à en faire publier un (mais j'y travaille encore pour le deuxième).
  8. J'ai donc du respect pour tous les auteurs qui publient sans bosser dans les médias, la politique... même si je n'aime pas ce qu'ils écrivent. 
  9. Je suis dérouté par les réseaux sociaux. C'est de la communication sans mémoire, sans classement, tout venant.
  10. Je n'ai pas la télévision, sinon je la regarderai comme un débile.
  11. J'ai quand même compris qu'il ne faut pas livrer de choses trop intimes. 

Les 11 questions que Maman Baobab me pose :

  1. Pourquoi t'es-tu lancé dans la blogosphère ?
    J'ai commencé le blog pour me créer une attente fictive. "Mince je n'ai rien publié cette semaine" est aussi un moteur pour écrire. Et écrire chaque jour est une hygiène de vie, comme se laver les dents.
  1. Quels sont tes tics (écrits) de langage ? Quels mots utilises-tu le plus dans tes chroniques ?
    Il y a un gimmick, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que vous le remarquâtes pas vous même.
  1. Quel livre devrais - je selon toi impérativement lire (voire chroniquer)
    Je crois que toute personne qui veut écrire gagne à lire "Technique du métier d'écrivain" de Viktor Chklovski (Techniques qu'il ne s’applique pas à lui-même quand il écrit, bien entendu). Ce livre a changé ma vie. Je l'ai rencontré par hasard dans une librairie d'occasion à Bécherelle il y a dix ans, je l'ai acheté à l'instinct. Je le relis tous les six mois. Malheureusement épuisé en français, on le trouve d'occase. 
  1. Ton dernier coup de cœur ?
    Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman, m'a vraiment donné une leçon de littérature.
  1. Un coup de gueule à pousser ?
    Ouais : la guerre c'est nul. L'homophobie : c'est méchant. Marre des inégalités. Bref, les coups de gueule, c'est toujours des portes ouvertes dont l'enfoncement ne sert qu'à se faire mousser. Coup de gueule littéraire ? L'homme joie de Christian Bobin. Le lire a été une vraie violence de niaiserie. 
  1. Une recette immanquable à partager ?
    La recette de la lose. Changer de travail tous les deux ans, déménager tous les deux ans, de femme tous les 7ans, puis 2, puis tous les six mois. Perso, moi, j'arrête.
    Perso, je saupoudre de cacao après chaque couche, pas seulement la dernière. 
  1. Quelle est ta meilleure chronique publiée ?
    Difficile de juger. Pas mal de mes chroniques sont ensuite enregistrées pour la radio, il y a donc la façon de la lire et le choix musical qui l'accompagne. Franchement, je ne sais pas quelle est la meilleure. J'ai un faible pour celle de (contre) "14" d'Échenoz, car elle m'a permis d'entrer chez Des Poches Sous Les Yeux.
  1. Où pars-tu en vacances cet été ?
    Je n'ai pas de vacances cet été : après 2 ans passés à écrire un livre, j'ai retrouvé un CDD de 4 mois à Rennes. J'espère réussir à faire quand même un aller retour pour du tourisme industriel avec mon fils (genre Airbus à St Nazaire)
  1. Quel(s) blog(s) suis-tu régulièrement ?
    Maman Baobab.http://maman-baobab.blogspot.fr/ C'est elle qui m'a fait aborder la blogosphère.
    Et Marc Lefrançois. http://www.marclefrancois.net/ par pur hasard et grand plaisir depuis plusieurs semaines.
  1. Quel(s) auteur(s) / illustrateur(s) ?
    Auteur. Marcel Proust a été le choc stylistique. La baffe. Mon seul petit regret quant à mon activité de chroniqueur littéraire pour Canal B et Radio Béton, c'est que je suis prisonnier de  La Prisonnière » et qu'il ne me resterait plus ensuite qu'Albertine Disparue et Le Temps retrouvé, et que je crève de ne pas finir ce... comment qualifier ça. Vas-y, Bâtard, Marcel Proust, c'est un truc de ouf, c'est chanmé.
  1. Prépares-tu tes billets à l'avance ?
    Je mets beaucoup de temps, trop, à écrire mes chroniques. Je ne suis pas journaliste, je suis incapable d'écrire plus d'une chronique correcte par semaine. Je n'écris jamais dans l'interface du blog, je le fais toujours sur un fichier puis je copie-colle.   



    Mes 11 questions :

    1. Que retires-tu de l'écriture de ton blog ?
    2. Les plus important, le fond ou la forme ?
    3. Quel est selon toi le format idéal pour un post de blog ?
    4. Grâce à ce blog, tu échanges avec combien de personnes ?
    5. Combien de personnes as tu rencontrée dans la vraie vie grâce à ton blog ?
    6. Combien de temps passes-tu chaque semaine à la rédaction de ton blog ?
    7. Combien de blogs suis-tu réellement ?
    8. Si c'est plus de onze, comment trouves-tu le temps ?
    9. Que voudrais-tu faire quand tu seras grand ?
    10. Un livre qui t'a ému aux larmes ?
    11. Qu'espère tu de ton blog et qu'il ne t'aurait pas encore donné ?

lundi 10 juin 2013

Super triste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru Chez L'olivier puis en poche chez Points.

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru chez L'olivier puis en poche chez Points.

Qu'est ce que c'est que ce titre pour midinette ? Et cette couverture rose d'un New-York de pacotille posé sur une tablette tactile ? C'est tout simplement que Gary Shteyngart, dans Super Triste histoire d'amour, imagine l'avenir proche comme le prolongement logique de ce que notre époque a de pire. L'adolescence est devenue la norme de l'âge adulte, le smartphone a muté pour devenir un äppärät, cette petite extension de l'humain qui distille les données personnelles comme on distribue des cachets et qui permet à chacun d'attribuer à tous une note de personnalité, de masculinité, de baisabilité, des poteaux de crédit permettent à chacun de s'endetter en pleine rue sans prononcer un mot. Réseaux sociaux, tyrannie de la mode, pornographie en libre accès, privatisation de la puissance publique, à la lecture de Super triste histoire d'amour, on finit par voir notre quotidien comme la graine d'un monde à venir, un monde où tout se déroule en direct, en public, où tout peut-être chiffré, et donc exprimé avec un minimum de mots. Super triste histoire d'amour. Il faut du courage pour dénoncer l'appauvrissement du langage avec ce langage déjà appauvri. Il faut du talent pour nous amuser de la tristesse de ce futur si plausible. Il faut de la finesse pour nous faire ressentir de l'empathie pour des personnages qui sont les fruits trop mûrs de ce que nous acceptons de vivre aujourd'hui. Lenny Abramov revient du vieux monde où il a échoué à convaincre des individus à capitaux propres élevés d'adhérer à son programme de jeunesse éternelle. Il ramène dans ses bagages un amour déraisonnable pour une toute jeune américaine d'origine coréenne, Eunice Park. Elle ne s'intéresse qu'aux nouveaux jeans translucides, il est un des derniers new yorkais à lire des livres papiers. Super triste histoire d'amour, c'est un peu de Lolita, un peu de Fight Club et un peu de Bridget Jones dans un emballage de « creative writing » à la John Irving.

L'intelligence de l'auteur est de ne se servir de la décrépitude de l'empire occidental que comme d'un décor pour une histoire, pour des histoires, humaines, autonomes, suffisantes. Il nous parle d'immigration, de famille, de fossé entre les générations. Des mères juives new-yorkaises qui couvrent leur fils de gentils mots russes pendant que des pères coréens désorientés conjurent la violence dans le christianisme évangélique. Il nous parle d'économie bancale, d'obsession de la transparence et de perte des repères dans ce monde où rien n'est interdit mais où plus rien n'est possible. Comme Orwell et tous les grands de l'anticipation, il nous parle de nous, et ça fiche la trouille.


On pourrait se dire que c'est un peu trop. Et c'est parfois un peu trop. Mais ce trop est le biotope de scènes décalées et magnifiques, de fulgurances inattendues, de phrases de quelques mots à la fois cyniques, drôles et politiquement incorrectes : Chère maman, personne n'a tiré sur notre immeuble qui est juif. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces pépites ne soient pas noyées dans un roman de presque cinq cents pages, dont la fin est un peu poussive. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, un livre plus resserré, plus percutant, mais les longueurs d'atelier d'écriture donnent paradoxalement au texte son caractère artisanal, attachant. Nourrissant comme un sucre roux non raffiné. Super triste histoire d'amour de Gary Shteyngart est un super bon livre de poche, disponible chez Points.  


L'audio est ici en attendant de trouver sa place sur le site Des Poches Sous Les Yeux

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, 8 € chez Points.

TL ; DR : un roman d'anticipation qui part de notre vie hyper connectée pour en prévoir la dérive autoritaire, pornographique et, pire, appauvrie du langage. Pafois un peu lourd, mais vraiment bien fichu. 

mardi 4 juin 2013

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Il y a vingt ans, Jérôme Garcin expliquait chez Ardisson qu'il préférait écrire de bons papiers que de mauvais livres. Il ne voulait pas être à la fois juge et partie, à la fois écrivain et journaliste culturel. On serait tenté de le lui rappeler si Olivier, paru aux éditions Folio, était un de ces romans que les hommes de médias écrivent trop vite pour tenter de faire croire qu'ils sont aussi des auteurs. Mais l'évidence s'impose au fil de ce troisième récit autobiographique : il s'agit d'un acte de nécessité, sincère, indispensable. Une façon de déposer un fardeau trop longtemps chéri : la mémoire de son jumeau fauché par un chauffard à la veille de ses six ans. Les premières pages évoquent l'époque qui suit immédiatement le drame, et l'impression de réel est terrifiante. Il ne reste plus de détails épisodiques, mais des souvenirs émotionnels, des sensations confuses et envahissantes. La gémellité perdue comme une vie bancale.

On poursuit le livre parce que l'écriture de Jérôme Garcin est élégante et intemporelle. Ils ne sont pas nombreux les auteurs qui osent aujourd'hui faire une phrase de plus de dix lignes. Moins nombreux encore ceux qui parviennent à y mêler la grâce et la précision d'un portrait. Par exemple celui d'un père dont l'amour pour le jumeau survivant peut prendre la forme d'une gifle chargée d'angoisse.

« Je pris conscience, ce jour-là, des efforts démesurés, inhumains qu'il déployait pour ne rien laisser paraître de sa détresse, pour garder l'air impassible, le port hiératique, l'allure barrésienne, que lui ont souvent reprochés ceux qui, ne le connaissant pas, ne cherchant même pas à le comprendre, et sans doute trop occupés d'eux-mêmes, prenaient pour de la forfanterie une épouvante sans cesse réprimée et pour de la vanité son goût cassant de l'isolement, son goût croissant de la fuite en avant. »

Olivier est mort si jeune qu'il n'est finalement presque question que de Jérôme dans ce livre. C'est à la fois inévitable et gênant. Lorsque l'auteur reconstruit ce qu'aurait pu être leur vie, on consent à entrer en empathie avec sa démarche, même si elle est claudicante et qu'on ne voit pas bien où elle le mène. Mais lorsqu'il y mêle des considérations littéraires, médicales et surtout spirituelles, le cerveau prend le pas sur le cœur, l'émotion fait place à un ennui embarrassé. Les idées générales sur la gémellité sont d'une banalité qui détonne avec la force du récit. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre fût encore plus court mais qu'il nous épargne ces considérations théoriques : elles nous éloignent du fantôme qui nous devenait familier. Ce sont les gens qu'il rencontre qui nous y ramènent. Pas les écrivains ou les gens célèbres, ces passages sont plutôt ennuyeux, mais la nounou de son enfance, de leur enfance, ou ce cousin... mais il ne faut pas trop en dire, le livre réserve quelques surprises. Lorsque Jérôme Garcin cesse de chercher à comprendre, lorsqu'il cesse d'intellectualiser, de faire du lien à tout prix, avec des outils aussi boiteux que la religion ou la psychanalyse, lorsqu'il laisse la mort déployer toute son atroce absurdité, il touche du doigt ce dont la vie est faite. Il nous parle de ses proches, de cette famille scandaleusement épanouie et c'est un formidable pied de nez que la joie oppose au destin, aussi morbide soit-il. Olivier, le récit de de Jérôme Garcin, paru aux éditions Folio, est tout sauf un mausolée, c'est une déclaration de gratitude de l'auteur à ceux qui l'accompagnent, morts ou vivants.

La chronique en audio est disponible ici. Et bientôt diffusée dans la rubrique Des Poches Sous les Yeux, de Radio béton. 

TL ; DR : Jérôme Garcin parle de son jumeau mort dans leur jeunesse. Un livre parfois touchant, mais parfois agaçant par sa contamination psychanalytique un peu religieuse.