Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 10 juin 2013

Super triste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru Chez L'olivier puis en poche chez Points.

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, paru chez L'olivier puis en poche chez Points.

Qu'est ce que c'est que ce titre pour midinette ? Et cette couverture rose d'un New-York de pacotille posé sur une tablette tactile ? C'est tout simplement que Gary Shteyngart, dans Super Triste histoire d'amour, imagine l'avenir proche comme le prolongement logique de ce que notre époque a de pire. L'adolescence est devenue la norme de l'âge adulte, le smartphone a muté pour devenir un äppärät, cette petite extension de l'humain qui distille les données personnelles comme on distribue des cachets et qui permet à chacun d'attribuer à tous une note de personnalité, de masculinité, de baisabilité, des poteaux de crédit permettent à chacun de s'endetter en pleine rue sans prononcer un mot. Réseaux sociaux, tyrannie de la mode, pornographie en libre accès, privatisation de la puissance publique, à la lecture de Super triste histoire d'amour, on finit par voir notre quotidien comme la graine d'un monde à venir, un monde où tout se déroule en direct, en public, où tout peut-être chiffré, et donc exprimé avec un minimum de mots. Super triste histoire d'amour. Il faut du courage pour dénoncer l'appauvrissement du langage avec ce langage déjà appauvri. Il faut du talent pour nous amuser de la tristesse de ce futur si plausible. Il faut de la finesse pour nous faire ressentir de l'empathie pour des personnages qui sont les fruits trop mûrs de ce que nous acceptons de vivre aujourd'hui. Lenny Abramov revient du vieux monde où il a échoué à convaincre des individus à capitaux propres élevés d'adhérer à son programme de jeunesse éternelle. Il ramène dans ses bagages un amour déraisonnable pour une toute jeune américaine d'origine coréenne, Eunice Park. Elle ne s'intéresse qu'aux nouveaux jeans translucides, il est un des derniers new yorkais à lire des livres papiers. Super triste histoire d'amour, c'est un peu de Lolita, un peu de Fight Club et un peu de Bridget Jones dans un emballage de « creative writing » à la John Irving.

L'intelligence de l'auteur est de ne se servir de la décrépitude de l'empire occidental que comme d'un décor pour une histoire, pour des histoires, humaines, autonomes, suffisantes. Il nous parle d'immigration, de famille, de fossé entre les générations. Des mères juives new-yorkaises qui couvrent leur fils de gentils mots russes pendant que des pères coréens désorientés conjurent la violence dans le christianisme évangélique. Il nous parle d'économie bancale, d'obsession de la transparence et de perte des repères dans ce monde où rien n'est interdit mais où plus rien n'est possible. Comme Orwell et tous les grands de l'anticipation, il nous parle de nous, et ça fiche la trouille.


On pourrait se dire que c'est un peu trop. Et c'est parfois un peu trop. Mais ce trop est le biotope de scènes décalées et magnifiques, de fulgurances inattendues, de phrases de quelques mots à la fois cyniques, drôles et politiquement incorrectes : Chère maman, personne n'a tiré sur notre immeuble qui est juif. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces pépites ne soient pas noyées dans un roman de presque cinq cents pages, dont la fin est un peu poussive. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, un livre plus resserré, plus percutant, mais les longueurs d'atelier d'écriture donnent paradoxalement au texte son caractère artisanal, attachant. Nourrissant comme un sucre roux non raffiné. Super triste histoire d'amour de Gary Shteyngart est un super bon livre de poche, disponible chez Points.  


L'audio est ici en attendant de trouver sa place sur le site Des Poches Sous Les Yeux

Supertriste histoire d'amour, de Gary Shteyngart, 8 € chez Points.

TL ; DR : un roman d'anticipation qui part de notre vie hyper connectée pour en prévoir la dérive autoritaire, pornographique et, pire, appauvrie du langage. Pafois un peu lourd, mais vraiment bien fichu. 

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