Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger
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mardi 23 mai 2017

Le nouveau nom, Elena Ferrante (l'aime prodigieuse tome 2)

Le nouveau nom, d'Elena Ferrante,disponible en poche chez Folio,  et en audio book dans la collection Ecoutez Lire,  est la suite de L'amie prodigieuse, qui racontait l'enfance d'Elena Greco, la narratrice, et de son amie Lila Cerrulo, deux gamines d'un quartier pauvre de Naples au début des années cinquante. 

Lila, la fille du cordonnier, l'amie prodigieuse, on dirait aujourd'hui la surdouée, s'est mariée avec Stefano, le fils d'un mafieux qui terrorisait jadis le quartier. Elle vit dans un nouvel appartement, travaille dans une nouvelle boutique, se promène avec un nouveau nom. Mais elle a abandonné ce rêve qu'elle et Elena partageaient : écrire, devenir riche, oui, mais en écrivant. Elena, elle, est devenue une lycéenne modèle. En tous cas c'est le rôle qui lui permet de conquérir son autonomie, de sortir du quartier. 

Peut-on jamais sortir du quartier ? Sans se trahir ? Sans trahir ses amitiés d'enfance ? Elena Ferrante n'apporte pas de réponse, elle décrit des itinéraires, des mécanismes, et on comprend si bien les motivations de chacun qu'on ne peut s'empêcher de s'attacher à tout le monde. Stefano, qui croit pouvoir acheter Lila, qui la trahit, qui essaie de la soumettre, on devrait le détester. Les frères Solara, usuriers, affairistes, qui tiennent le quartier tout entier, on devrait les détester. Mais on n'y arrive pas. Parce qu'Elena Ferrante met en évidence les mécanismes qui les poussent à faire ce qu'ils font, ces mécanismes qui nous pousseraient à faire comme eux dans la même situation. Et cette narratrice, qui nous raconte ces vies incroyables, on devrait être, toujours, de son côté. Mais Elena Ferrante s'offre le luxe d'un personnage complexe, vraisemblable, dont le corps et les désirs sont des énigmes jusque pour elle-même. 
Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'il n'y ait pas une année entière entre chaque parution, parce qu'il faut parfois un effort pour se souvenir des alliances, des liens familiaux, des histoires de la myriade de personnages du livre… Mais n'est-ce pas aussi le cas dans nos vies réelles ? 

Dans la collection Écoutez lire, Marina Moncade prête sa voix à la narratrice avec une retenue parfaite, et On termine ce volume comme le précédent : enragé par la fin abrupte qui nous prive de la présence familière d'Elena, de Lila et de la langue à la fois classique et audacieuse avec laquelle Elena Ferrante nous décrit leur histoire. 

En attendant de lire celle qui fuit et celle qui reste, déjà paru chez Gallimard et qu'on peut espérer en poche l'an prochain, on ne peut que lire et relire le nouveau nom, le second tome de la saga d'Elena Ferrante, disponible en poche chez Folio. 

Pour l'audio, qui est ici, j'ai utilisé le même fond sonore que pour le premier tome, dont la critique est disponible ici.

lundi 13 juin 2016

Hédi Kaddour, Les Prépondérants

Les prépondérants, de Hédi Kaddour, disponible chez Folio ou en Audiobook dans la collection Écoutez lire de Gallimard, décrit l'arrivée d'une équipe de tournage américain dans une ville d'Afrique du Nord, Nahbès.

Le roman commence mal. La langue est assez morne. Les personnages un peu classiques. Raouf, d'abord, le fils du caïd, un jeune musulman éduqué, éclairé, se servant de sa connaissance des deux cultures pour contrer l'assurance morale dont se drapent les colons. Leur supériorité technique agricole, commerciale, et bien entendu militaire et policière, ils l'habillent du doux nom de Prépondérance.

Ganthier est le prototype du prépondérant. Mais son intelligence, sa sensibilité s’immiscent parfois dans sa volonté d'étendre son emprise sur une terre qu'il aime. Qu'il aime, vraiment. L'arrivée des américains, leur familiarité avec ceux que les colons appellent parfois les indigènes, leurs femmes bavardes et joyeuses, ce coup de vent inattendu, le choc des cultures, le risque de caricature était à chaque coin d'oasis. Mais non, Kaddour fait preuve d'une véritable finesse dans la description de cet autre espèce de dominations qu'ils transportent avec eux. Et on s'attache de plus en plus à ce livre parce que l'auteur contourne les obstacles avec une langue dont on finit par comprendre que le classicisme est une forme de douceur.

En ayant l'air de suivre les histoires d'amours des uns et des autres, en osant le pari d'un voyage en Europe où le jeune Raouf s'entendra dire par Ganthier : « vous m'emmerdez, jeune Raouf » chaque fois qu'il enfoncera un coin dans ses certitudes coloniales, Hedi Kadour prend encore le pari de situations casse-gueule dont il se tire toujours en suivant la logique interne de ses personnages. Kathryn, la belle actrice américaine, Gabrielle, la journaliste française engagée, Rania, la cousine de Raouf, en veuve qui refuse de vendre ses terres à Ganthier, Hédi Kadour fait la part belle aux femmes. Elles voient, elles se jouent des hommes, de leurs illusions de puissance, elles se servent de leurs désirs, y cèdent plus rarement.

Bien-sûr, le doute s'insinue parfois : ces personnages, si proches de nous, si modernes, est-ce qu'on a si peu changé depuis cent ans ou est-ce qu'Hédi Kaddour nous les rend un peu trop semblables pour qu'on s'y attache un peu plus ? On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, avoir la culture suffisante pour me faire une idée. Mais à vrai dire, on se laisse envahir par l'impression inexorable que ce monde est en train de craquer, que la guerre qui arrive ne sera qu'une violente interruption dans un processus inexorable de chute des empires, et on ne peut s'empêcher de se dire que si l'amour et le désir incontrôlable, la peur de manquer et la soif de justice, si la jeunesse et la désillusion luttent les unes contre les autres depuis si longtemps, alors, cette ambiance de fin de règne qui nous saisit à chaque nouveau scandale, à chaque nouveau sondage nauséabond, à chaque bateau qui sombre d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée annonce la remise en question des prépondérances sur lesquelles repose notre tranquillité.

Avec sa langue lisse, calme, un peu fade, Hédi Kadour nous fait ressentir, sans effet de manche, avec le cœur, qu'il faut se méfier de l'eau dans laquelle dorment trop de cadavres.


Et on se dit que peut-être, aujourd'hui, nous sommes ces Prépondérants, que décrit Heddi Kadour dans son roman disponible en Folio Poches ou en audiobook dans la collection Écoutez Lire chez Gallimard.


Note : la version audiobook est lue par un Pierre-François Garel qui prend son temps, mais dont la voix grave prononce avec délice les phrases des poèmes arabes. 

mercredi 18 mai 2016

L'amie prodigieuse, d'Elena Ferrante

J'aimerais bien lire plus souvent des bouquins comme L'amie prodigieuse, d'Elena Ferrante, disponible chez Folio ou en audiobook dans la collection Écoutez lire. La narratrice s'appelle aussi Elena, et on se demande s'il s'agit d'un roman, ou d'un récit. Enfin, on se demande une page ou deux, après quoi, ça n'a plus d'importance, parce que même si tout n'est peut-être pas vrai, tout sonne juste. Elena est une bonne élève. Elle travaille, elle est gentille, studieuse, et son institutrice ne s'y trompe pas. Elle la pousse à aller au collège, ce qui, à Naples, dans les années 50, est encore un privilège de riche. Mais Elena sait que c'est son amie Lila, qui est intelligente, bien plus qu'elle. D'une intelligence prodigieuse, acérée, tranchante jusqu'à la méchanceté, parfois jusqu'à la lisière de la folie. 

C'est tout le quartier qui est fou, avec ses mafieux, ses communistes, ses artisans, ses commerçants, ses traditions sous lesquelles on étouffe. Le prodige, c'est la façon dont Elena Ferrante parle de tout cela, sans nous perdre, sans trop en faire, sans hystérie, sans effet de manche. Le livre est impossible à résumer, parce qu'il parle autant des aspirations que des résignations, des respirations que des assignations, chacun à sa place, et chacun veut se hisser un petit peu au-dessus. 

Elena et Lila grandissent,  Elena apprend, Lila comprend, à l'école, dans la rue, ensemble, séparément, ensemble, le latin, l'amour, les règles et la façon de les transgresser. L'amie prodigieuse est de ces rares livres qui s'octroient une partie de votre cerveau dans laquelle les personnages vivent entre deux lectures ; ils y laissent leurs souvenirs comme si c'était les vôtres. On relit des passages sans jamais voir ce qui les rend admirables. Le style d'Elena Ferrante est sobre, calme. Implacable. Comme Lila lorsqu'elle jette la poupée de son amie dans la cave ce de Don Achille qui terrorise le quartier. Le quartier lui-même implacable, qu'une nouvelle génération veut dompter, bête ancestrale qui se nourrit des rancœurs, des règles tacites, de la reproduction du passé. 

Elena et Lila sont tout le quartier, et le quartier est tout pour elle. Elles seront adolescentes quand elles en dépasseront les limites pour la première fois, et plus tard, encore, jusqu'à la mer pourtant si proche. Toute l'étroitesse des vies est racontée par ces petites choses, et l'après-guerre souffle un air de changement. La modernité qu'il nous est si facile de décrier aujourd'hui chasse un ancien temps qui n'a rien d'un bon vieux temps. La misère, voilà ce qu'elle chasse. Et l'on a presque honte du confort d'aujourd'hui, des crises qui nous laissent nos voitures, nos penderies, nos téléphones intelligents. 

Au fil des heures, j'ai retrouvé cette injonction paradoxale de mon enfance : lire plus vite pour suivre Elena et Lila partout, les connaître mieux, plus, et lire plus lentement pour ne pas atteindre le dénouement et les quitter trop tôt. Et lorsqu'il arrive, c'est la colère, parce qu'on aurait aimé, oh oui, on aurait vraiment aimé, enfin, j'aurais vraiment aimé qu'il fut écrit quelque part que l'amie prodigieuse n'est que le premier volume d'une série qui en compte déjà quatre. Mais où sont les trois autres ? Ils ne sont même pas tous encore traduits en français, alors combien de temps encore avant qu'ils sortent en poche ? Pourquoi, pourquoi m'envoyer ça et me laisser pantelant, assommé par le génie d'Elena Ferrante, sans que je puisse lire la suite, tout en sachant qu'elle est écrite, là, qu'elle attend d'être lue ? Peut on savoir pourquoi Elsa Damien, qui a fait une excellente traduction de ce premier volume n'est pas en train de travailler à plein temps sur les suivants ? Que fait Gallimard, que fait la Police ? Que font les manifestants ? Il y a cinq kilomètres entre la place de la République et le siège de Gallimard, alors en passant, exigez que la suite de l'Amie prodigieuse, d'Elena Ferrante, soit publiée chez Folio au plus vite, sinon, je vais faire une bavure. 


L'audio de cette chronique est ici.  Avec une musique de Delphin, un zicos russe des années 2000. 

Il faut noter pour la version livre audio la lecture exceptionnelle de Marina Moncade. 

lundi 14 décembre 2015

Il faut lire La Nuit, d'Elie Wiesel.

Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel. On le trouve en poche dans la collection Double des éditions de minuit. On le trouve en livre audio dans la collection Écoutez lire de Gallimard, plutôt bien lu par Guila Clara Kessous. 

Elie est un adolescent juif né à la fin des années vingt. Sa foi est le point de convergence de son intelligence, de sa sensibilité et de sa fidélité à la tradition dont il est issu. Et les trois, l'intelligence, la sensibilité, la fidélité, seront autant d'amplificateurs de l'horreur qu'il décrit. Il faut lire le récit de cette horreur, avant tout parce qu'il est lisible. Le génie littéraire d'Elie Wiesel produit un témoignage assez précis pour nous faire effleurer, seulement effleurer, l'horreur absolue. L'horreur d'une extermination organisée par un appareil d'état. Mais la précision du récit est rendue supportable par l'écriture qui porte ce témoignage. L'écriture nous soutient dans l'exercice d'acceptation nécessaire. Parce que le risque du témoignage brut, c'est que l'horreur soit telle qu'on ne puisse aller au bout du récit. Le risque c'est que devant une horreur impossible à accepter le lecteur se dise, non, ce n'est pas possible, non, cela ne me concerne pas, non je n'y crois pas. Il y a parmi les révisionnistes, des gens qui ne peuvent simplement pas vivre, continuer à vivre, avec la conscience de ce que l'humanité a pu faire. Pas une humanité lointaine et différente de nous, mais l'humanité d'une société occidentale moderne, évoluée, capable de poésie, de science, notre humanité. 
Elie Wiesel nous guide à travers la nuit et nous cherchons sa main comme lui cherche celle de son père. Les sélections se succèdent, et Elie n'a pas seulement peur de mourir, il a peur de vivre et que son père soit poussé dans la mauvaise file. Car les juifs savent,  on leur a montré la cheminée, la lueur, la flamme, les chambres. Le témoignage, bien qu'écrit dix ans après la libération des camps, relate ces choses avec le caractère implacable du quotidien, la description sans fard de la chose vue, la sagacité d'un adolescent figée à jamais par le choc. Wiesel n'insiste jamais sur la souffrance, il suffit d'un détail pour qu'on la ressente, et qu'on ait envie de prendre tous ces gens dans ses bras, même si c'est idiot. La libération si proche nous fait espérer tout du long, alors que nous savons, oui, le père d'Elie Wiesel est mort là-bas, nous savons, aussi, par la quatrième de couverture qu'Elie Wiesel ne pourra se pardonner de ne pas l'avoir accompagné plus humainement. 

Alors il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, égoïstement, parce que le récit de celui qui a tout perdu donne
de la valeur a tout ce que nous avons. Chaque page nous hurle que nos vies, nos petites vies qui nous semblent sans intérêt sont des rivières de lait et de miel. Chaque page nous montre du doigt ceux qu'on aime : vite, les aimer,  les aimer bien, le pire peut arriver. Au fond du fond le pire c'est lorsque le manque de pain empêche de continuer à aimer les siens. Alors c'est idiot, et nous sommes ainsi fait que ça ne dure pas, mais pendant toute la lecture du livre, chaque repas me semblait luxueux, vraiment, et je profitais de la chaleur des douches que je prenais. Nous vivons, du moins la plupart d'entre nous, dans un luxe relatif que nous ne mesurons plus. Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, comme des égoïstes, pour voir à nouveau le luxe de nos vies. Il faut lire La nuit, d'Elie Wiesel, avec générosité aussi, pour se rappeler que l'humanité ne peut s'offrir le luxe de choisir parmi elle des boucs-émissaires, juifs, roms, pédés, qu'il faut faire l'effort, pénible, parce que sans cesse recommencé de chercher des solutions, pour ne pas croire à nouveau en une solution finale. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, me dire que tout ça est derrière nous, mais lorsque les temps son durs, lorsque les hommes ont peur, il faut relire la Nuit, d'Elie Wiesel, que ce soit en poche, chez Minuit ou en Audiobook dans la collection Écoutez Lire chez Gallimard.



L'audio sera mis en ligne dès que j'aurais eu le temps de le faire.

lundi 9 novembre 2015

Soumission, Michel Houellebecq

On a beaucoup parlé de Soumission, de Michel Houellebecq. Et on parle trop peu des livre audio, notamment de la collection Ecoutez Lire, chez Gallimard, dans laquelle j'ai écouté Soumission. 

En 2022, la Fraternité Musulmane arrive à la tête de l'état français, plus ou moins démocratiquement, et installe un régime islamiste modéré. François, le narrateur, est d'abord chassé de la Sorbonne, où il était professeur de lettres, spécialiste de Huysmans, avant de se rapprocher doucement du pouvoir, et, on peut l'évoquer sans rompre un suspens absent de tout le livre, de s'y soumettre. 

On a beaucoup parlé de Soumission, et pour de mauvaises raisons. Certains y ont vu un pamphlet islamophobe et une peinture un peu trop douce des identitaires français. D'autres y ont vu le ralliement de Houellebecq à un modèle de société patriarcal misogyne (rien de neuf). Les événements de Charlie Hebdo ont apporté une pesanteur, une gravité à la sortie du livre, encore exacerbée par le fait que Bernard Maris avait été le premier à prendre Houellebecq bien trop au sérieux, en lui consacrant un livre « Houellebcq économiste ». 
Soumission révèle plutôt un désespoir absolu. Houellebecq est perpétuellement dans la fausse ironie, le 1,5 ème degré. Oui, sa satire de l'universitaire pleutre et veule fait sourire, mais François ressemble un peu trop à Michel. Et se moquer de soi-même est, dans notre société de blasés cyniques, le meilleur moyen de ne pas changer de comportement tout en ayant l'air cool. 
Non, ce qui me semble intéressant, en filigrane, c'est la morale invisible du livre, qui fait écho à la trajectoire de Houellebecq. La morale c'est : si vous traitez des gens suffisamment mal, ils finiront par se trouver quelqu'un qui les traite à peine moins mal et qui pourra les dresser contre vous. Les musulmans passent de dominés à dominants. Et on ne peut s'empêcher de se demander si Houellebecq ne parle pas de lui. Il en a bavé, il a eu son lot de solitude, de rejets, de souffrance, il a eu son lot de boulot de merde, il a mérité sons succès par une constance, une présence. Mais maintenant, il a passé la barre, et il nous emmerde tous. Il ne prend pas la peine de mettre les formes, de faire semblant : Houellebecq n'aime pas grand-monde. On l'aurait aimé, enfin, je l'aurais aimé si j'avais pu trouver dans ce roman sombre et sans grand relief littéraire, un personnage dont on ait envie de suivre l'exemple. 

Parce que ce qui manque à Soumission, c'est l'imagination que demande le positif. Le négatif, le glauque, le désespéré : c'est plus facile, il suffit de regarder. Mais les gens qui tiennent, les gens qui disent « je veux trouver des façons de faire mieux », il faut énormément de talent, d'imagination pour les peindre et éviter le ridicule. Du coup, Soumission n'est pas un livre ridicule. Bien-sûr, il y a de la paresse des héros qui se rencontrent comme par hasard quand ça arrange l'intrigue, bien-sûr, le personnage le plus attachant disparaît avant le premier tiers, mais Houellebecq sait que la meilleure façon de ne pas mal écrire, est de tenter le moins de choses possibles. Le cynisme protège du ridicule. Il protège l'égo névrotique de la mauvaise conscience des occidentaux malheureux. 

Ce qui manque à Soumission, comme à ses personnages, c'est un souffle, le même que celui qui manque  à notre société, une envie, un enthousiasme. Tout ça manque d'amour, bordel. Tentative de psychosocioanalyse sauvage : Houellebecq manque d'amour, passe son temps à le dire, et tout le monde applaudit, comme on applaudit les artistes alcooliques, drogués, parce que leur souffrance nous donne des livres qui nous sortent de notre quotidien sécurisé, et on ne leur tend pas la main,  on ne les aide pas à terrasser les démons qui les empêchent de sortir leur véritable chef-d'oeuvre. On ne déteste pas le lire, mais on est content de sortir de Soumission, disponible en livre audio, dans une très agréable lecture de Eric Caravaca, dans la collection Ecoutez Lire chez Gallimard. 

lundi 27 avril 2015

Trône de fer, volume 3 (la bataille des rois), de Georges R.R. MArtin.

Alors que commençait la grève à Radio France, j'ai reçu le troisième volume du trône de Fer, de Georges R.R. Martin, dans la collection Écoutez Lire. Je ne l'ai jamais demandé. J'écoute les premières minutes. Et que je festoye, et que je guerroye avec mon épée qui porte un nom symbolique puissant. Derrière chaque phrase de dialogue, l'auteur ajoute un said-bookism, littéralement, un remplaçant "livresque" du verbe dire. « Cesse de me chercher querelle si tu ne veux pas que je dégaine Aiguille, répliqua Aria dans un mouvement de colère ». Je ne cite pas à la lettre, car il est difficile de prendre des notes en écoutant un livre audio sur le trajet du boulot, mais je ne dois pas être loin de l'esprit. Et puis quel sens ça peut bien avoir de commencer une série au troisième tome ? D'autant que dans le trône de fer, il y a au moins six ou sept maisons qui nouent des alliances ou fomentent des trahisons… Les Lanisters sont ils les ennemis ou les alliés des Barathéon ? et les Starks, de quel bord ? Sans compter que chaque clan retient en otage un membre d'un autre clan. Pire, chaque roi a laissé derrière lui une armée de bâtards dont il faut essayer de tenir le compte.

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé détester ce livre audio. J'aurais aimé pester contre Gallimard qui m'envoie sans que je le lui ai demandé ce que j'aurais aimé qualifier soupe médiévale-complotiste. Mais je me suis fait avoir comme un bleu. Happé par les description, certes caricaturales, certes déjà vues cent fois, mais tellement provocatrices d'images. Bien-sûr, je n'ai pas compris la moitié des liens qui unissaient les personnages, mais chacun d'entre eux s'impose par la cohérence de ses motivations, par la consistance de son acharnement. On les sent prisonniers d'une trajectoire qui les dépasse et désireux de reprendre le contrôle de leur vie. Et de celle des autres, dévoré par l'envie de prendre le contrôle de l'ensemble des sept royaumes. Car ce ne sont pas des enfants de chœur. Pire, plus ils sont méchants, machiavéliques, pervers, tyranniques, et plus on s'approche d'eux, jusqu'à se cacher derrière chaque bannière, chaque tenture, pour écouter leurs plans tordus, leurs histoires d'amour, de guerre, leurs histoires de famille brûlantes jusqu'à l'inceste.

La lecture de Bernard Métraux est en grande partie responsable de l'attention qu'on porte à ce volume pourtant souvent indigeste. L'ensemble de ce volume est tenu par pour son interprétation parfaite. Elle n'est pas plus subtile que l'écriture de Martin, elle est pourtant aussi juste. Chaque personnage a sa diction, son ton, son défaut de prononciation. Pour le lecteur qui n'a pas en tête tous les noms, c'est une aide précieuse qui permet d'être le moins perdu possible. Et surtout, les choix qu'il fait pour chaque personnage collent à l'idée qu'on s'en ferait en lisant le texte. Bernard Métraux est avant tout connu pour son travail de doubleur, assez proche de celui de l'audio book puisqu'il s'agit d'incarner des personnages non à l'écran, finalement, mais à l'oreille.


Finalement, j'aurais préféré, chaque jour, écouter le troisième volume de la série Trône de fer, de Georges R.R. Martin, intitulée La bataille des rois, disponible en audio book dans la collection Écoutez lire, plutôt que la play-list de Radio-France, qui est pourtant la seule chance d'écouter de la bonne musique sur la fréquence de France-Inter.

lundi 23 mars 2015

Emmanuel Carrère, Le Royaume

La voix du maître
Gallimard nous prévient que la version audio du Royaume a été abrégée par l'auteur afin, je suppose, de pouvoir tenir sur les deux CD que contient le coffret de la collection Ecoutez Lire. Pourtant quand Emmanuel Carrère nous fait la lecture de son dernier roman, on pourrait l'écouter indéfiniment. Son écriture limpide, fluide, nous emmène de sa crise mystique aux premières églises chrétiennes. Elle provoque des images, mieux des séquences entières dont le son et l'odeur de poussière restent longtemps après qu'on a terminé le livre. La voix posée, grave, mesurée d'Emmanuel Carrère donne l'impression que ce Paul, laid, colérique mais génial, visionnaire et radical, on l'a déjà rencontré. Plus qu'avec un documentaire télévisé, Carrère nous fait voir les apôtres, villageois juifs superstitieux et pêcheurs terre à terre, dont il rapporte avec amusement le bon sens pataud et un peu rétrograde. Comme toujours chez Carrère, il y a des mises en abyme : il nous parle de Luc, qui écrit sur Jean, ou Marc, parlant de Jésus en train de parler aux apôtres. Et tous écrivent des romans. Carrère est écrivain, est il vraiment romancier ?

L'intime et l'universel
Le récit de l'écriture de l'évangile se mêle, comme toujours chez Carrère au récit de sa propre vie, de sa crise mystique passée, aux questions qu'il se pose, essentiellement sur lui-même. Mais on découvre surtout les rapports troubles qu'il a entretenus avec sa marraine. C'est la partie la plus étonnante du livre. L'auteur ne semble ne pas réaliser à quel point il décrit une relation toxique pilotée par une marraine de conte de fée, à la fois bienveillante et tyrannique. 

La culpabilité, l'aveuglement, la domination
Comme tous ceux qui souffrent essentiellement de ne pas avoir eu à souffrir, Emmanuel Carrère souffre d'un manque de légitimité, qui l'entraîne dans des aventures spirituelles dont la vacuité proche de la folie nous étonne encore plus que lui-même. Cette articulation est la seule à rester dans son angle mort, trop proche pour qu'il puisse la traiter vraiment : le mécanisme par lequel il conjure sa culpabilité latente par la recherche d'idéal, chrétien ou bouddhiste qu'importe, tout plutôt que de renoncer à l'idéal, quand bien même le réel crierait partout au scandale. Lorsque la marraine illuminée et bigote tance son filleul qui se moque de Lourdes, on est proche de la sujétion. Elle lui reproche de se laisser dominer par son intelligence plutôt que d'écouter son cœur. On devrait se méfier des gens qui vous disent de dissocier l'intelligence et le cœur. 

Bien vivre le fait de ne pas vivre bien
La lecture du livre m'a suggéré cette hypothèse : le goût immodéré de Carrère pour le confort, la reconnaissance, la caution qu'il apporte à la grande industrie de la pornographie (il en parle àç chaque livre en disant que ça ne lui pose aucun problème, à tel point qu'il en parle à chaque livre) entrent en dissonance avec le soi idéal inatteignable que lui imposent son talent, son physique avantageux, sa culture générale immense. Cette dissonance, il lui faut l'amoindrir. L'astreinte religieuse, mais aussi le travail, qu'on devine permanent, énorme deviennent des moyens d'atténuer une culpabilité dont il parle à demi-mot. Mais il semble plus supportable pour Carrère de subir le délire chrétien de sa marraine que de payer des charges quand il emploie une jeune fille au pair. 

Les maîtres ne se situent que dans les jeux vidéos*
Alors on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, conserver cet attachement déraisonnable que j'ai eu pour l'auteur de l'Adversaire, j'aurais aimé qu'en plus d'un modèle littéraire Carrère soit une sorte de modèle humain, le type à qui on envoie son livre en disant « regardez, j'essaie de devenir vous », le maître dont on voudrait devenir le disciple. Mais non. Chaque jour, à chaque pas qu'on fait pour atteindre notre Royaume, on doit choisir : vivre bien, bien écrire. Comme si, toujours autant depuis Proust, il existait deux royaumes en guerre, inconciliables, deux camps entre lesquels on est sommé de choisir, chaque jour, à chaque pas : la bonne littérature ou la vie bonne. Emmanuel Carrère a choisi, son Royaume, disponible chez Gallimard et en collection Écoutez Lire, c'est sûr, c'est la bonne littérature. 


* : "Les maîtres ne se situent pas que dans les jeux vidéos" est une citation du morceau "labyrinthe", présent sur l'album 3 fois plus efficace du collectif 2bal 2neg. La phrase est à 2'17

lundi 23 février 2015

Les Souvenirs, de David Foenkinos

De David Foenkinos, l'auteur des Souvenirs, disponibles dans la collection Ecoutez lire de Gallimard, je ne connaissais presque rien. Et j'ai presque aimé ce livre, plutôt doux, bienveillant. On aimerait souvent, enfin, j'aimerais souvent, avoir la bienveillance de ce narrateur qui tente de voir plutôt les difficultés de chacun que leurs dysfonctionnements. La tendresse dont il fait preuve est contagieuse, et on mesure la difficulté d'être père, d'être époux, d'être fils, et combien cette difficulté, au lieu de se résorber avec l'âge, augmente, devient envahissante.
Après la mort de son grand-père, on assiste, aussi impuissants que lui, au départ forcé de sa grand-mère pour la maison de retraite. Puis à sa fugue. Le narrateur part à sa recherche. Le lien qui les units, entre complicité et bougonnerie est parfois touchant, souvent, un peu attendu. C'est de là que vient le presque, j'ai presque aimé. Trois jours après avoir fini le livre, Les souvenirs s'effacent déjà. C'est pourtant une des habiletés de David Foenkinos, il intercale entre les chapitres écrits à la première personne les souvenirs des différents protagonistes rencontrés au fil de l'histoire, ce qui donne aux autres chapitreune vraisemblance, une impression d'autobiographie. Le patron de l'hôtel où il travaille, son père, sa mère, un homme célèbre à qui on a fait référence. Lequel, déjà ?

En fait, on entre tellement facilement dans ce livre qu'on en sort sans s'en rendre compte. Comme s'il ne s'était rien passé. C'est déroutant. Un livre facile à lire, une histoire de transmission entre les générations, une histoire d'amour, un récit de plusieurs vies, et qu'on lit sans trop d'ennui, trop d'effort, ce devrait être le livre idéal. Mais on le ferme, et, tout de suite, l'oubli gagne du terrain.

Ce n'est pas forcément grave. Un peu dommage. C'est un livre doux, qui fait passer le temps, qui laisse le lecteur plutôt plus heureux après qu'avant, mais qui ne laisse pas de trace.

En fait, ce qui manque, c'est la langue, la voix. Pas le timbre, car la lecture que Loïc Corbery fait dans cette version audio est parfaite, mais la voix, l'écriture . On sent l'amour que David Foenkinos a pour ses personnages, jusqu'à peiner à s'en séparer dans les longueurs de la fin du livre, un amour qui reflète probablement son amour sidérant pour une humanité qu'il décrit pourtant avec une certain justesse. Mais on ne sent pas l'amour de la langue, de la phrase juste, originale, cette phrase qu'il n'écrit jamais et qui aurait fait naître l'image exacte, la vision, au sens presque médiumnique. Lorsqu'il veut décrire l'isolement de sa grand-mère, il parle de la « carapace de la souffrance. » Et on ne ressent rien. Ses bleus sont « limpides », et on ne voit rien. Il manque ce petit effort qu'exigent les amoureux du verbe, celui qui nous muscle un peu le cœur, celui qui fait qu'on ressort un peu transformé, cet effort qui fait qu'on a l'impression d'avoir fait un voyage plutôt qu'une promenade.

Mais parfois, c'est une promenade qu'on a besoin de faire, et pour ces soirées là, Les souvenirs, de David Foenkinos, disponible dans la collection Ecoutez lire, chez Gallimard, est un itinéraire sans risque, balisé et agréable, et en le parcourant on se dit que David Foenkinos mérite son statut d'auteur à succès, populaire et bobo, rassurant et sympathique.

lundi 26 janvier 2015

Gagnez La garçonnière d'Hélène Gremillon, en livre Audio chez Gallimard !

La garçonnière d'Hélène Gremillon est disponible en livre audio dans la collection Écoutez Lire, chez Gallimard. 


On distingue toujours, dans un roman, le fond et la forme, et dans le livre audio, il y a deux formes. Le style, les mots, mais encore la lecture à haute voix, qui court-circuite la vue et notre propre voix intérieure. Faut-il un comédien unique, ou, comme dans le cas présent,  plusieurs personnalités sonores ? La garçonnière se prête à cette succession de comédiens car on y découvre un à un les possibles suspects d'un meurtre. Lisandra Puig, la femme du psychanalyste argentin Vittorio Puig est retrouvée morte, défenestrée. Son mari est arrêté, et sa plus fidèle patiente, Eva Maria, va tenter de le disculper en cherchant le véritable coupable. 


Hélène Grémillon nous entraîne du parloir, où l'analyste et sa patiente élaborent leur stratégie d'enquête, aux salles de tango ou parfois de torture. Le portrait d'une Argentine qui tente de se remettre de la dictature passe par les portraits de ceux qui l'ont subie, de ceux qui l'ont soutenue. Mais une galerie de portraits ne fait pas un roman. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'Hélène Grémillon s'attache plus à l'histoire qu'à l'intrigue. Après trois ou quatre suspects potentiels, l'intérêt qu'on a pour la résolution du meurtre s'émousse. La régularité des rebondissements nous frustre car elle se fait aux dépends des rapports entre les personnages. On finit même par se demander pourquoi Hélène Grémillon se sert du prétexte policier au lieu d'écrire le vrai livre sensible sur les mères de la place de mai ou sur la difficulté d'une société à se réconcilier avec elle-même. La douleur d'Eva Maria à qui la dictature a volé sa fille, celle qui lui fait négliger le fils qui lui reste, l'histoire de ce musicien que la junte a brisé, et qui sait reconnaître ses bourreaux au simple son de leur voix, Hélène Grémillon nous donne envie de les connaître autrement que comme les fausses pistes d'une enquête qui n'en finit plus. 

L'empathie qu'elle a pour ses personnages permet d'éviter que l'agacement prenne le dessus, et la qualité de l'interprétation des comédiens, notamment Elsa Le Poivre et Thierry Frémont prolonge le plaisir de l'écoute, mais on n'est plus impliqué dans la recherche du coupable. On repère la fausse piste qui mènera bien plus tard à la résolution finale, Deus ex machina à la fois prévisible et invraisemblable. Ceux qui aiment les coups de théâtre apprécieront la mécanique, mais les autres trouveront peut-être que la volonté d'intelligence qui remplace la sensibilité du début du livre n'a pas tout à fait les moyens de ses ambitions.  Pour ma part, il m'a semblé un peu léger, presque inconvenant d'invoquer dans le dernier chapitre un sujet si lourd pour justifier les rouages qui mènent à la défenestration. 

On devrait donc rester sur une impression décevante, mais on finit La garçonnière avec la sensation pas désagréable d'avoir regardé un policier du dimanche soir. Certes, l'écriture, les personnages, auraient mérité le courage d'un livre plus risqué, c'est à dire plus sensible sur l'Argentine, mais on a passé à l'écoute du roman d'Hélène Grémillon, un agréable moment, et pour ma part, un agréable trajet, puisque la collection Écoutez lire, de Gallimard  permet de transformer les heures perdues de la route en d'agréables promenades auditives. 

La chronique audio est ici. 

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