Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mercredi 27 octobre 2021

Jean-Paul Dubois : Tous les auteurs n'habitent pas la littérature de la même façon.

 

J'ai découvert Jean-Paul Dubois sur l'étagère d'une médiathèque, avec le bandeau Goncourt 2019. Il y a pas mal de Goncourts qui m'ont rendu fou de rage. J'ai détesté Trois femmes puissantes, j'ai trouvé que La Carte et le Territoire était un des moins bons romans de Houellebecq, bref, j'ai cessé de lire les Goncourt. Et puis on préfère découvrir un auteur avant qu'il ait un prix, ça permet ensuite de se la jouer, de dire "Attends, c'est maintenant que tu m'en parles ? Mais j'ai lu tous ses livres précédents. Toi, il faut toujours que l'establishment te dise ce que tu dois lire, hein, blaireau ?" et cette fois, le blairau, c'est moi. 

Bref, j'étais dans un de ces marécages où tout ce qui vous tombe sous les mains vous semble mal écrit, souvent parce qu'on a relu un auteur adoré, Gary, Fante ou Roth, alors j'ai pris Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon et j'ai plaidé ma cause auprès de la médiathécaire parce que j'avais oublié ma carte de lecteur. Dès les premières phrases j'y ai trouvé ce que je viens chercher dans un livre : une voix, une façon d'écrire assez personnelle pour vous donner l'illusion que vous faites connaissance avec celui qui écrit en même temps qu'avec ses personnages. 

Je suis revenu deux jours après, et j'ai pris Vous plaisantez Monsieur Tanner, et j'ai été déçu. Répétitif, désespéré, désespérant, je me suis dit, ah mince, j'ai choisi le meilleur en premier, tout le reste va me sembler fade. Et puis j'ai lu Les accommodements raisonnables et Une vie française et la conversation a repris. 

Évidemment, il aurait fallu chroniquer ces livres au fur et à mesure que je les lisais, mais il y a une logique à rendre compte de l'ensemble. D'abord, parce qu'il y a des invariants chez Jean-Paul Dubois. Je ne parle pas seulement des tondeuses, de Toulouse ou du Canada. Il y a des figures qui reviennent. En premier lieu celle de la femme, Anna, toujours étrangère alors qu'elle devrait être intime, toujours ambitieuse alors que le narrateur contemplatif se laisse aller à vivre. Souvent, le père, qu'on croyait bien connaître et qui est toujours autre, et dont les trahisons, parfois minimes, parfois monumentales, révèlent le narrateur à lui-même.

On comprend avec Jean-Paul Dubois et ces répétitions pourquoi Kundera dit que chaque personnage est un ego expérimental. Lire tous les livres de Jean-Paul Dubois à la suite, c'est un peu comme regarder une série à la télévision. Dans chaque épisode, les personnages seraient les mêmes, joués par les mêmes acteurs, mais d'un épisode à l'autre, ils habiteraient une autre maison, auraient un autre métier, un autre passé, et ils vivraient une aventure complètement indépendante de celle de l'épisode précédent. Sauf qu'à chaque fois, ce serait le même ego expérimental, les mêmes règles affectives qui seraient soumis à des conditions différentes, comme des humains de laboratoire. 

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que chacun de ces romans soit de l'ampleur de Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, ou Une vie française, que chacun ait la même finesse que Les accommodements raisonnables, et on regrette les répétitions de Vous plaisantez, Monsieur Tanner, ou la fin un peu artificielle d'Hommes entre eux. Mais dans un paysage éditorial ou chaque écrivain semble vouloir faire un coup, ou "adresser une thématique d'actualité", il est si doux de s'abandonner à une voix particulière, de retrouver Jean-Paul Dubois comme on retrouve un copain qui vit aux antipodes, et qu'on ne voit qu'une ou deux fois par an pour se raconter nos vies, ni dramatiques, ni exemplaires, juste nos vies d'egos expérimentaux qui cherchent à habiter le monde, chacun à sa façon.
 
La majeure partie des livres de Jean-Paul Dubois est disponible en Poche, chez Points.

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