Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

vendredi 25 octobre 2013

Cyberpunk, de Mark Downham, chez Allia

Le présent ne ressemble jamais au futur tel qu'on le voyait dans le passé, l'article Cyberpunk, que Mark Downham a fait paraître en 1988 dans la revue Tom Vague, et qu'Allia ressort sous forme de petit livre rose, est là pour nous le rappeler.

Cyberpunk est truffé d'intuitions visionnaires, mais les termes ont mal vieilli. Mark Downham avait prédit ce déversement fascinant et effrayant d'images incontrôlables mais il avait appelé Youtube le vidéodrome et le terme évoque le ruban disparu de feues nos cassettes VHS. Bien-sûr, la lente dissolution du caractère subversif des réseaux informatiques dans le déterminisme technologique est une prophétie qui ne cesse de se réaliser. Mais Mark Downham lui donne le nom de métrophage, et on ne peut s'empêcher de sourire.

Bizarrement, plus que la technologie, c'est l'idéologie qui a vieilli. Les références aux tubes cathodiques et aux disquettes ont quelque chose de désuet, de touchant, alors que les allusions à Guy Debord ou à Jean Baudrillard virent à l'incantation post-marxiste à moitié hystérique. L'imprécation s'enferre dans un jargon de plus en plus touffu, de plus en plus opaque, au point qu'on se demande s'il ne faut pas arrêter la lecture lorsqu'on déchiffre la phrase suivante :

« Pour Debord, qui a donné au cyberpunk un sens théorico-critique de la praxis, l'aura et la virtualité du produit restaient liées à l'illusion de son absolue tangibilité. »

Mais la caricature est si forte qu'on finit par sentir sous le verbiage l'enfant qui se rassure en imitant les grands lorsqu'il rencontre une situation qu'il ne connaît pas, qui l'effraie, qui l' excite. Il ne comprend rien à ce qu'il dit, mais il le fait avec le plus grand sérieux. Et on le regardé, ému par la violence de sentiments qu'il pense être le premier à ressentir, attendri par le mélange de théorie mal digérée et de pop culture brandie comme un étendard. Debord côtoie Blade runner ; Baudrillard, Philipp K. Dick.


Bien-sûr on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, sentir un peu d'auto dérision, un peu de distance dans ce texte grandiloquent. Et elle vient. Mais à la toute fin du livre. Comme si Mark Downham n'avait finalement deviné qu'une chose, c'est que son article Cyberpunk, paru dans un vague Fanzine publié à la maison et distribué à l'arrache serait un jour ressorti par Allia, sans véritable travail éditorial, et vendu pour 6€50 sous une couverture rose vif. J'imagine Mark Downham se marrer en écrivant : « le cyberpunk est une analyse référentielle sur le pouvoir – l'identité – les psychologies- les futurs. Le cyberpunk est une vraie arnaque. »

En attendant l'acceptation par DesPochesSousLesYeux, le son est ici. 

TL ; DR : un article de MArk Downham à l'époque où le cyberpunk était un truc. Très vieilli, on le lira comme un témoignage de l'incapacité à prévoir l'évolution du monde, en particulier du monde numérique. 

mercredi 16 octobre 2013

Tête bêche, un roman de LIU Yichang paru chez Picquier Poche

On n'est pas si souvent dépaysé. Ni quand on voyage, ni quand on lit. Et comme je n'ai plus les moyens de voyager, j'attendais de Tête bêche, le roman de LIU Yichang paru chez Picquier Poche qu'il me dépayse.

Comme dans tous les voyages il faut d'abord dépasser la barrière de la langue. Celle de Liu Yichang, même traduite, laisse une impression étrange, un caractère direct, presque familier, qui rappelle les dialogues des films de Hong Kong, où se déroule d'ailleurs l'intrigue. Mais peut-on parler d'intrigue ? Ici pas de destin, pas de rebondissement, l'irruption du sens à l'occidentale est remplacée par l'éruption des sens. On entend crier au voleur, on voit un jeune homme aux cheveux longs s'enfuir dans la foule, on sent les odeurs de la rue, et la force de l'alcool nous fait parfois claquer la langue. Et toujours contre soi on sent le contact de la foule. Ou alors c'est parce que je lis debout, serré dans le bus ? Lorsque le mien pile, ceux de Hong Kong se rentrent dedans et ils sortent la jeune héroïne, A Xing, d'une rêverie où elle se voyait adulée par les foules, parfois actrice, parfois chanteuse, mais toujours au bras d'un mari auquel elle prête volontiers les traits d'Alain Delon. Malgré ses quinze ans, malgré la naïveté de ses rêveries de midinette, il y a déjà du cynisme chez cette adolescente Elle ne rêve pas d'amour, mais de porte de sortie. Le mariage est une alternative à l'usine, au travail en général, et la rêverie, un refus de l'avenir qui l'attend.

L'avenir, l'autre personnage de ce roman déambulatoire n'y pense plus. Le présent déjà, lui semble plus irréel qu'un passé qu'il n'a pas vu filer, comme il n'a pas vu la ville pousser si vite, si haut, si loin autour de son souvenir. Et l'oisiveté lui laisse tout le loisir de contempler l'ampleur de ses regrets. Sa femme qui n'a vu en lui qu'une alternative à l'usine, au travail en général, son fils qu'il n'a pas su connaître et qui n'enverra pas de carte pour Noël. L'ampleur de sa lâcheté quand il n'intervient pas face à ce père en deuil qui dilapide son chagrin en maltraitant son fils ; sans doute la plus simple des plus tristes scènes qu'il m'ait été donné de lire.

Et ce n'est qu'en refermant le livre que j'ai compris que c'est parce que le présent est trop dur à supporter que les héros se réfugient dans ce que la réalité leur laisse : pour la jeunesse, l'avenir, encore intact, encore possible, pour la vieillesse toute proche, le passé, qu'on contemple quand on tourne le dos à la mort.

Alors ce qui dépayse, ce ne sont pas les ingrédients, les même que chez nous finalement, c'est cette façon de ne pas les mélanger, de les superposer comme des matières non miscibles. Il en va de même de l'écriture. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que la phrase fut moins terre à terre, moins brute, mais c'est de l'agencement des séquences que naît une poésie de la construction, un mille-feuille délicat de douceur et de violence, de naïveté et de cynisme, d'espoirs et de regrets, une alternance subtile qu'on n'aperçoit qu'une fois qu'on a refermé le livre, comme on réalise qu'on a aimé un voyage seulement longtemps après, en lisant le journal qu'on tenait alors ou en regardant la photo d'une soirée qu'on avait oubliée.

Mais on n'oubliera pas Tête bêche, de LIU Yichang paru chez en poche chez Picquier Éditions, cette photo de Hong Kong, Hong Kong où je n'ai jamais mis les pieds mais dont il me semble maintenant que je l'ai connue, au début des années soixante-dix, quand je n'étais pas né.

La chronique audio, pour Des Poches Sous les Yeux, est disponible ici. 

TL ; DR : Itinéraire d'un vieil homme et d'une jeune femme dans un Hong Kong intemporel. C'est dépaysant, parfois magnifique, parfois trivial, parfois creux et parfois émouvant. 

samedi 5 octobre 2013

L'empreinte des choses Cassées, de Claire Gallois, paru au Livre de Poche

L'empreinte des choses cassées, de Claire Gallois, paru au Livre de Poche, c'est le discours d'une femme reçue à l'Académie Française. La quatrième de couverture nous le promet insolent, brusque et émouvant. Moi, en littérature, je suis prêt à tout accepter. Les enfants qui s'envolent après avoir mangé des limaces, les super-héros qui lancent des toiles d'araignée, et même le changement de sexe d'une héroïne élisabéthaine qui vit plus de quatre siècles. Mais un discours d'intronisation de 120 pages... Pour que ça marche, il faudrait vraiment une nécessité narrative impérieuse, ou alors qu'on ait envie d'y croire. Mais là, ça ne marche pas. Pas une seconde, pas une phrase à part la première.

« Mesdames, Messieurs... le protocole demande que ce discours en séance publique commence par un hommage au dernier mort en date, et l'usage voudrait que j'ajoute : ''dont j'ai scrupule à occuper la place''. »

Mais immédiatement, on comprend que Claire Gallois croit qu'il faut alourdir une phrase pour lui donner du poids. Et ça donne :

« Comme si, au cimetière, chacun n'ignorait pas son voisin, fût-il encore à clopiner loin de l'ambulance ou siégeant parmi vous. »

Je n'ai toujours pas compris ce qu'elle voulait dire.

D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris quelle était la motivation de la narratrice : se faire élire à l'Académie Française dans le seul but de dire qu'on préfère ne pas y siéger ? On n'y croit pas. Les personnages secondaires ? Mari bourgeois et amis bohèmes ? On n'y croit pas. Le dénouement grotesque qui tente de racheter par un paternalisme néo-colonial un inutile détour islamophobe ? On n'y croit pas. Pour paraphraser le titre d'un autre roman de Claire Gallois, c'est un livre cousu de fil blanc. Pourtant, la quatrième de couverture nous vantait la « liberté cinglante avec laquelle [Claire Gallois] assemble le réel et l'imaginaire. » Je me suis donc senti autorisé, après la lecture du livre, à aller chercher quelles distinctions Claire Gallois, membre du jury du prix Femina, avait refusé avec panache. Et je suis tombé sur un billet du blog qu'elle tient sur le site de Mediapart :

« Le 2 mai, j’ai reçu une belle lettre signée à la main « Nicolas Sarkozy ». C’était donc entre les deux tours de l’élection présidentielle, alors que nos deux candidats n’avaient pas une minute à eux dans la course aux meetings. Je la garde précieusement, comme un collector. Qui sait si je ne suis pas la dernière à avoir été nommée « officier dans l’Ordre national du Mérite » par le président ? […] J’ai aussitôt accepté cette distinction : pour mon petit-fils de six ans, voir grand-mère décorée, c’est aussi beau que si on lui remettait l’épée-laser de Spiderman. »


On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, pouvoir ajouter quelque chose de positif à cette chronique. Mais Spiderman n'a pas d'épée laser et Claire Gallois me prive de la posture de subjectivité distanciée et bienveillante derrière laquelle j'ai en général la lâcheté de m'abriter. Non, si quelqu'un mérite d'être décoré, aux éditions du livre de Poche, c'est l'auteur des quatrièmes de couverture dont le talent m'a donné envie de lire l'empreinte des choses cassées, le dernier, et on l'espère, ultime, livre de Claire Gallois.

La chronique audio est disponible ici. Je ne sais pas si Des Poches Sous les Yeux en voudra, car ils ont une vraie envie de surtout soutenir les livres qu'ils ont aimés, et ils ont raison.

TL ; DR : un vrai scandale, un livre sans aucun intérêt, moralement douteux. À jeter sans l'ouvrir, même si on vous l'offre.