Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 12 août 2013

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit.

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit.

Si l'on s'en tient au titre, le livre est une réussite, un véritable manuel de survie en environnement littérairement hostile : soirée snob avec des gens trop cultivés, discussion avec un auteur dont on n'a pas lu le livre, tentative de séduction d'une prof de lettres charmante.

La première chose que nous apprend le livre, dont le style est fluide et d'une grande clarté, est de ne pas avoir honte. Ne pas avoir honte de ne pas avoir lu, ni de le dire ; ne pas se sentir interdit d'expression à propos d'une œuvre sous prétexte qu'on ne la connaît pas. Le fond du propos est celui-ci : la frontière entre les œuvres qu'on a lues et les autres n'est pas une muraille étanche, mais une membrane poreuse. Où placer les livres qu'on a parcourus ? Et ceux dont on a vu l'adaptation cinématographique, ceux dont on a entendu parler ?


Entre les livres qui ont été écrits et ceux dont on parle s'interposent toutes sortes de livres-écrans, façonnés par nos bibliothèques intérieures et qui font de la discussion littéraire un espace de fiction, avant tout, un lieu d'expression de soi.

Mais qui lit pour parler des livres ? Le lecteur malicieux pourrait croire que l'auteur de ces lignes ne fait pas autre chose. Pourtant il me semble que ceux qui parlent bien des livres sont ceux qui ne les lisent pas pour en parler. Ceux qui tirent de la lecture du plaisir plus que de l'érudition. Parler des livres, écouter les autres en parler, permet seulement d'ôter à la lecture le principal défaut que je lui connaisse : d'être une activité solitaire. Passer du plaisir solitaire à l'échange, avec ce que cela comporte d'exhibitionnisme, bien-sûr, de voyeurisme, aussi, mais surtout d'intérêt à l'étrangeté de la vision de l'autre, est en général une marche vers un plaisir plus élevé.

On ne peut pas reprocher à Pierre Bayard d'ignorer ce plaisir de la lecture puisqu'il prévient dès la première page qu'il lui est tout à fait étranger. Mais on peut lui reprocher de revendiquer une inculture décomplexée à l'aide d'exemples exclusivement littéraires. Comme si, avec une légère pointe de suffisance, il ne clamait qu'il n'a pas lu grand-chose que parce qu'il sait que personne ne le croira. Le livre ne dissipe jamais vraiment cette ambiguïté, et plus l'auteur conceptualise son propos, moins on y sent de sincérité. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'il tire moins sur ses pénibles ficelles psychanalytiques et qu'il assume plus sa roublardise, qu'il accentue sa désinvolture plutôt que la théorisation hypocrite de celui dont l'intelligence brillante s'est trompé d'objet lors de ses études.

Je laisse le lecteur juger si cette chronique repose sur une lecture assidue de ou sur une application rigoureuse des principes exposés dans Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard, aux Éditions de Minuit (15 €).

TM ; DR : un essai un peu démago sur la meilleure façon de paraître cultivé. Roublard, mais pas franc.