Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 29 novembre 2016

Un truc marrant qui montre que je suis neuneu.

Un truc marrant. Quand je fais des chroniques, je fais un brouillon, je laisse une nuit, je le retouche, puis je l'enregistre, et en général je le retouche encore un peu, et puis voilà. Après, je fais un peu de montage, j'exporte, puis je crée l'article sur le blog. Et au moment de le publier, la plateforme (blogspot, en l'occurrence) me propose d'en faire la promotion sur Google+. J'oublie à chaque fois qu'il y a ce truc à écrire,(oui, je sais, si je publiais plus souvent...) et je rédige à chaud ce que je crois être un petit résumé. Qui en général n'a rien à voir avec la chronique, est plus naturel, plus simple, plus juste. Je me dis alors que ma chronique est sur-écrite, merdique, pédante, et que je devrais écrire comme pour ces petits résumés, qui ne cherchent pas à être malins et tout. 

Et puis je vais me coucher parce que je suis crevé, et à la chronique suivante, ça recommence. 

Que vivre te soit bonheur ! Omar Khayyâm

Que vivre te soit bonheur est un recueil de 101 poèmes d'Omar Khayyâm choisis pour la collection Folio Sagesses. Sagesses vraiment ? Omar Khayyâm fait l'apologie du vin, des femmes, d'un hédonisme qu'on peine à croire sorti de la Perse du onzième siècle. 

Je ne sais pas si mon âme par celui qui m'a pétri
Est abandonnées aux flammes ou promise au paradis
Un verre, une belle, un luth dans quelque jardin : à moi
Ces trois bonheurs au comptant, à toi, le paradis, mais à crédit. 

Ne vous fiez pas à l'apparente légèreté de la forme. Quatre siècles avant Ronsard, le même détachement, la même métaphore pour nous rappeler que le temps passe. Ces roses dont le zéphyr froisse la robe de soie… Les belles, l'alcool, la musique… Seulement ? Non, les belles, l'alcool, la musique pour supporter l'absurde. L'absurde tient en deux vers :

Avant notre venue, rien ne manquait à  l'univers ;
Après notre heure dernière, rien non plus ne manquera. 

Ce désespoir lui fait voir le ciel comme un bol, posé à l'envers sur les hommes, qui, aussi sages soient-ils, ne sont qu'agonisants. Les exégètes me jetteront la pierre, mais il me semble qu'une partie de la douce noirceur de Khayyâm a les couleurs du lendemain d'ivresse… Pourtant, au fil du recueil, le libertin avant l'heure, armé du bon sens d'un savant de son temps, délivre une leçon d'humanisme simple :

Laisse toutes dévotions dues ou surérogatoires :
Mais de ta bouchée de pain, ne sois ni jaloux, ni avare,
À nul cœur ne cause de peine, ni par ta langue ni par ton fait,
Et de ton salut je fais mon affaire. Verse à boire !

La Sagesse, alors, de Khayyâm a sans doute été de ne jamais publier ses poèmes. Ils n'ont émergé que plusieurs décennies après sa mort. Pourtant, certains vers laissent penser que sa discrétion devait être relative :

Khayyâm est un gibier d'enfer, paraît-il, mais qui le dit ?
Qui a vu le paradis, et qui  est revenu de l'enfer ? 

Soyons comme lui hédonistes et prudents et conscients, écoutons le conseil du sage Omar Khayyâm :

Si tu t'enivres, que l'ivresse te soit bonheur
Si tu étreins une femme, que cet amour te soit bonheur !
Toute chose de ce monde s'achève dans le néant :
Dis toi que tu es néant, et que vivre te soit bonheur. 

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que les docteurs de tous les cultes s'abreuvent à la sagesse d'Omar Khayyâm et nous disent, paraphrasant le titre de ce recueil, disponible chez Folio Sagesse Que lire te soit bonheur.  


La version audio utilise le merveilleux morceau Astrakhan Cafe d'Anouar Brahem. Et oui, il est tunisien, rien à voir avec l'Iran, mais je suis peu calé en musique Perse du 11ème siècle, bande de gros malins. Et oui, j'ai laissé des espaces dans le nom de fichier du mp3, je suis crevé. 



dimanche 20 novembre 2016

Juste un (750) mot(s) sur les brouillons merdiques, la foi, la piété filiale

Ce week-end, j'ai joué à l'écrivain. J'ai renoncé à la grande fête d'anniversaire organisée en l'honneur de ma mère, j'ai décliné la proposition d'aller plonger dans une piscine profonde que j'aime énormément, j'ai laissé passer un concert de Rebetiko en Bretagne,  j'ai coupé le téléphone, et j'ai dit à tout le monde : j'écris. 

J'ai si peu écrit samedi. Si peu. J'ai lu Bird by bird, un livre où Anne Lammott explique comment elle apprend à ses étudiants à écrire. Je n'en ai retenu qu'un seul chapitre : shitty first draft. Les premiers brouillons merdiques. Pour écrire, il faut renoncer à être bon, accepter d'écrire un premier jet minable et tenter de l'améliorer ensuite. C'est ce que je fais pour chacune des chroniques que je vous propose. Des premiers jets pourris, que je retouche ensuite, ou pas, quand je n'ai plus le temps. 

Mais pour un roman ? Savez vous que mon brouillon actuel est déjà plus long que Le Poisson pourrit par la tête ? C'est une question rhétorique, hein, puisque quand je vous le demande, vous n'avez aucun moyen de le savoir, mais à la fin de la question, vous n'avez aucun moyen de ne pas le savoir. Presque 70 000 mots, et presque autant de raisons de laisser tomber. 

Raison n°1 : j'ai commencé ce livre comme un exercice de style pour mettre en pratique les conseils d'écriture du podcast "writing excuses", un podcast d'écrivain anglo-saxons qui expliquent comment ils écrivent de la fantasy, de l'horreur, de la bande dessinée. J'aurais dû me contenter de mettre en pratique les petites consignes de chaque épisode, une à une. Je pensais les grouper dans un petit jeu qui devait durer deux mois...

Raison n°2 : écrire sur ce qu'on connaît. C'est un conseil de celui qui m'a fait croire que je pourrais un jour y arriver, et qu'on trouve dans son livre "Techniques du métier d'écrivain." Ok, je vais écrire sur Brest, cette belle cité ouvrière et militaire. Très bonne idée quand on a jamais bossé ailleurs que dans un bureau et qu'on n'a même pas fait son service militaire !

Raison N°3 : écrire ce qu'on lit le plus. Oui, mais moi, je pensais pas m'y impliquer, alors, pourquoi pas un thriller, puisque je n'en lis que deux ou trois par an ? 

Raison N°2365 : quitte à écrire sans en retirer de satisfaction pécuniaire ou de gloire littéraire (entendre par gloire littéraire la possibilité de trouver une lectrice riche et passionnée désireuse de m'entretenir pendant que je prends l'éternité qu'il me faudra pour devenir un bon écrivain), autant écrire sur ce qui me tient vraiment à cœur. 

Et pourtant. J'apprends. J'aprends tellement. D'abord, j'apprends que n'importe quel projet est sérieux quand on écrit, même un exercice de style, même un thriller dont l'intrigue ne sert que de support à la seule chose qui compte : regarder des personnages se débattre. Et puis j'apprends l'engagement. Même si c'est mauvais, maintenant, il faut aller au bout. J'apprends même la modestie : la publication du Poisson n'est peut-être, finalement, qu'un coup de chance isolé. Peut-être que le prochain ne sera lu par personne (comme celui que j'ai écrit entre les deux). 

Les gens avisés me diront : si tu nous as épargné 69996 raisons d'abandonner, pourquoi simplement ne pas céder au bon sens, et laisser ce projet mourir et se lancer dans autre chose ? 

La bonne raison, c'est que je ne peux plus laisser ces personnages sans résolution. 
La raison acceptable, c'est qu'il faut s'entraîner à aller au bout : après tout, une fois retravailler, ce shitty first draft deviendra peut-être un livre potable. 
La mauvaise raison, c'est que les trucs importants me font peur. Je ne me sens pas capable, encore, d'écrire ce qui m'importe et que ça importe à d'autres. La peur, l'impuissance acquise, etc. 

Ce shitty first draft de mauvais thriller m'aide à apprendre la fiction. Chaque nouveau livre que j'écris m'aide à apprendre la fiction. J'ai une passion pour le réel, et j'ai même forcé ma nature inapte aux mathématiques pour amadouer les outils qui me permettent d'explorer le réel. Mais quand vient l'écriture, la vraie réalité, la vaie vie, c'est l'imagination, la fiction. Parce que c'est ça qui raconte ce que nous pensons du temps que nous habitons. Le réel, les historiens, les scientifiques, plus rarement les journalistes s'en occupent. Mais comment nous vivons le réel est le domaine de la fiction. 

Le réel, c'est que j'ai honteusement dérogé à la piété filiale pour écrire. Mais ce que j'ai écrit me dira plus tard pourquoi je croyais devoir le faire. 


dimanche 13 novembre 2016

Shining, de Stephen King

On ne peut évoquer Shining, de Stephen King, disponible aux éditions du Livre de Poche, sans imaginer le visage de Jack Nicholson. Pourtant, dès qu'on ouvre les pages du livre on comprend que la patte de Kubrick, pour géniale qu'elle soit, n'a pas rendu l'ambiance exacte du roman originel Parce que l'auteur commence par créer une immense empathie pour chacun des personnages. Jack Torrance n'est pas simplement un professeur alcoolique expulsé de son université, c'est un écrivain qui se bat pour arriver à quelque chose, et ce poste de gardien d'hiver dans un grand hôtel coupé du monde par les neiges des sommets est sa dernière chance de recoller les morceaux, avec sa femme, son fils, avec la société toute entière.

Mais arrête ça, salopard de plumitif de mes deux, c'est de la mise en situation de série B.Stephen King, c'est bateau, toit même tu le sais.

Son fils, Danny Torrence, possède un don, le shining, qui lui permet de sentir ce qui se passe ailleurs dans le temps, ailleurs dans l'espace. Et ce qui fait qu'on accepte sans mal le dispositif fantastique de Stephen King, c'est que cet enfant est crédible, et donc attachant. Alors qu'il voit les catastrophe qui l'attendent à l'hôtel Overlook, c'est le divorce de ses parents qui le préoccupe, le manque d'amour.

Mais putain, un hôtel coupé du monde, un môme de cinq ans qui voit les fantômes, des meurtres, dans le passé, dans le futur, c'est de la merrrrde.

Il faut qu'il rencontre le cuisinier de l'hôtel, lui aussi capables de visions pour qu'il comprenne que son fardeau est aussi un don.

Un don mon cul, quand on a le shining on peut se faire attaquer par des buissons en forme d'animaux, c'est débile. Et après, tu vas nous parler de quoi ? la progression de la schizophrénie, des réalités parallèles, de la montée de la trouille ?

Jack Torrance saurait ce que vit son fils s'il ne prenait pas lui-même les manifestations de son don, moins marqué, pour les symptômes insupportables du sevrage alcoolique auquel il veut se tenir à tout prix. Pour son fils, auquel il a déjà fait du mal alors qu'il avait bu, pour sa femme, pour lui-même.

Mais de quoi elle se mêle, cette salope. Elle et le petit merdeux sont ils là pour nous apprendre à faire des chroniques ? C'est l'Overlook qui va s'emparer du lecteur avant que ce petit salopard de chroniqueur...


Les procédés de Stephen King, alternance des réalités, mises sous pression avec des sonneries d'horloge, des rêves récurrents, des doubles sens qu'on comprend deux-cents pages à l'avance sont aussi épais que les sourcils de Jack Nicholson, tant et si bien qu'on ressent moins de peur physique que dans l'adaptation cinématographique de Kubrick. Sans doute parce que la nature profonde de Stephen King est plus sympathique que celle de Kubrick. Mais l'attachement qu'on a pour Danny, pour sa mère, et même pour ce père tiraillé entre ses démons et ceux de l'hôtel pousse à tourner les pages. En ce sens Shining, de Stephen King, c'est de la saloperie, avec les coutures apparentes, c'est ça que tu veux lire, hein, c'est ça qui te plaît, te faire peur tout seul dans ton lit ? Shining, le roman mythique de Stephen King, tient ses promesses, c'est un livre de divertissement, qu'on prend plaisir à lire, ou à relire, même quarante ans plus tard, par exemple aux éditions du Livre de poche.




Merci à Joseph pour sa participation à la version audio de cette chronique, dont le traitement sonore autant que le fond assume la vulgarité de la littérature de genre.