Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

dimanche 20 novembre 2016

Juste un (750) mot(s) sur les brouillons merdiques, la foi, la piété filiale

Ce week-end, j'ai joué à l'écrivain. J'ai renoncé à la grande fête d'anniversaire organisée en l'honneur de ma mère, j'ai décliné la proposition d'aller plonger dans une piscine profonde que j'aime énormément, j'ai laissé passer un concert de Rebetiko en Bretagne,  j'ai coupé le téléphone, et j'ai dit à tout le monde : j'écris. 

J'ai si peu écrit samedi. Si peu. J'ai lu Bird by bird, un livre où Anne Lammott explique comment elle apprend à ses étudiants à écrire. Je n'en ai retenu qu'un seul chapitre : shitty first draft. Les premiers brouillons merdiques. Pour écrire, il faut renoncer à être bon, accepter d'écrire un premier jet minable et tenter de l'améliorer ensuite. C'est ce que je fais pour chacune des chroniques que je vous propose. Des premiers jets pourris, que je retouche ensuite, ou pas, quand je n'ai plus le temps. 

Mais pour un roman ? Savez vous que mon brouillon actuel est déjà plus long que Le Poisson pourrit par la tête ? C'est une question rhétorique, hein, puisque quand je vous le demande, vous n'avez aucun moyen de le savoir, mais à la fin de la question, vous n'avez aucun moyen de ne pas le savoir. Presque 70 000 mots, et presque autant de raisons de laisser tomber. 

Raison n°1 : j'ai commencé ce livre comme un exercice de style pour mettre en pratique les conseils d'écriture du podcast "writing excuses", un podcast d'écrivain anglo-saxons qui expliquent comment ils écrivent de la fantasy, de l'horreur, de la bande dessinée. J'aurais dû me contenter de mettre en pratique les petites consignes de chaque épisode, une à une. Je pensais les grouper dans un petit jeu qui devait durer deux mois...

Raison n°2 : écrire sur ce qu'on connaît. C'est un conseil de celui qui m'a fait croire que je pourrais un jour y arriver, et qu'on trouve dans son livre "Techniques du métier d'écrivain." Ok, je vais écrire sur Brest, cette belle cité ouvrière et militaire. Très bonne idée quand on a jamais bossé ailleurs que dans un bureau et qu'on n'a même pas fait son service militaire !

Raison N°3 : écrire ce qu'on lit le plus. Oui, mais moi, je pensais pas m'y impliquer, alors, pourquoi pas un thriller, puisque je n'en lis que deux ou trois par an ? 

Raison N°2365 : quitte à écrire sans en retirer de satisfaction pécuniaire ou de gloire littéraire (entendre par gloire littéraire la possibilité de trouver une lectrice riche et passionnée désireuse de m'entretenir pendant que je prends l'éternité qu'il me faudra pour devenir un bon écrivain), autant écrire sur ce qui me tient vraiment à cœur. 

Et pourtant. J'apprends. J'aprends tellement. D'abord, j'apprends que n'importe quel projet est sérieux quand on écrit, même un exercice de style, même un thriller dont l'intrigue ne sert que de support à la seule chose qui compte : regarder des personnages se débattre. Et puis j'apprends l'engagement. Même si c'est mauvais, maintenant, il faut aller au bout. J'apprends même la modestie : la publication du Poisson n'est peut-être, finalement, qu'un coup de chance isolé. Peut-être que le prochain ne sera lu par personne (comme celui que j'ai écrit entre les deux). 

Les gens avisés me diront : si tu nous as épargné 69996 raisons d'abandonner, pourquoi simplement ne pas céder au bon sens, et laisser ce projet mourir et se lancer dans autre chose ? 

La bonne raison, c'est que je ne peux plus laisser ces personnages sans résolution. 
La raison acceptable, c'est qu'il faut s'entraîner à aller au bout : après tout, une fois retravailler, ce shitty first draft deviendra peut-être un livre potable. 
La mauvaise raison, c'est que les trucs importants me font peur. Je ne me sens pas capable, encore, d'écrire ce qui m'importe et que ça importe à d'autres. La peur, l'impuissance acquise, etc. 

Ce shitty first draft de mauvais thriller m'aide à apprendre la fiction. Chaque nouveau livre que j'écris m'aide à apprendre la fiction. J'ai une passion pour le réel, et j'ai même forcé ma nature inapte aux mathématiques pour amadouer les outils qui me permettent d'explorer le réel. Mais quand vient l'écriture, la vraie réalité, la vaie vie, c'est l'imagination, la fiction. Parce que c'est ça qui raconte ce que nous pensons du temps que nous habitons. Le réel, les historiens, les scientifiques, plus rarement les journalistes s'en occupent. Mais comment nous vivons le réel est le domaine de la fiction. 

Le réel, c'est que j'ai honteusement dérogé à la piété filiale pour écrire. Mais ce que j'ai écrit me dira plus tard pourquoi je croyais devoir le faire. 


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