Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 23 février 2015

Les Souvenirs, de David Foenkinos

De David Foenkinos, l'auteur des Souvenirs, disponibles dans la collection Ecoutez lire de Gallimard, je ne connaissais presque rien. Et j'ai presque aimé ce livre, plutôt doux, bienveillant. On aimerait souvent, enfin, j'aimerais souvent, avoir la bienveillance de ce narrateur qui tente de voir plutôt les difficultés de chacun que leurs dysfonctionnements. La tendresse dont il fait preuve est contagieuse, et on mesure la difficulté d'être père, d'être époux, d'être fils, et combien cette difficulté, au lieu de se résorber avec l'âge, augmente, devient envahissante.
Après la mort de son grand-père, on assiste, aussi impuissants que lui, au départ forcé de sa grand-mère pour la maison de retraite. Puis à sa fugue. Le narrateur part à sa recherche. Le lien qui les units, entre complicité et bougonnerie est parfois touchant, souvent, un peu attendu. C'est de là que vient le presque, j'ai presque aimé. Trois jours après avoir fini le livre, Les souvenirs s'effacent déjà. C'est pourtant une des habiletés de David Foenkinos, il intercale entre les chapitres écrits à la première personne les souvenirs des différents protagonistes rencontrés au fil de l'histoire, ce qui donne aux autres chapitreune vraisemblance, une impression d'autobiographie. Le patron de l'hôtel où il travaille, son père, sa mère, un homme célèbre à qui on a fait référence. Lequel, déjà ?

En fait, on entre tellement facilement dans ce livre qu'on en sort sans s'en rendre compte. Comme s'il ne s'était rien passé. C'est déroutant. Un livre facile à lire, une histoire de transmission entre les générations, une histoire d'amour, un récit de plusieurs vies, et qu'on lit sans trop d'ennui, trop d'effort, ce devrait être le livre idéal. Mais on le ferme, et, tout de suite, l'oubli gagne du terrain.

Ce n'est pas forcément grave. Un peu dommage. C'est un livre doux, qui fait passer le temps, qui laisse le lecteur plutôt plus heureux après qu'avant, mais qui ne laisse pas de trace.

En fait, ce qui manque, c'est la langue, la voix. Pas le timbre, car la lecture que Loïc Corbery fait dans cette version audio est parfaite, mais la voix, l'écriture . On sent l'amour que David Foenkinos a pour ses personnages, jusqu'à peiner à s'en séparer dans les longueurs de la fin du livre, un amour qui reflète probablement son amour sidérant pour une humanité qu'il décrit pourtant avec une certain justesse. Mais on ne sent pas l'amour de la langue, de la phrase juste, originale, cette phrase qu'il n'écrit jamais et qui aurait fait naître l'image exacte, la vision, au sens presque médiumnique. Lorsqu'il veut décrire l'isolement de sa grand-mère, il parle de la « carapace de la souffrance. » Et on ne ressent rien. Ses bleus sont « limpides », et on ne voit rien. Il manque ce petit effort qu'exigent les amoureux du verbe, celui qui nous muscle un peu le cœur, celui qui fait qu'on ressort un peu transformé, cet effort qui fait qu'on a l'impression d'avoir fait un voyage plutôt qu'une promenade.

Mais parfois, c'est une promenade qu'on a besoin de faire, et pour ces soirées là, Les souvenirs, de David Foenkinos, disponible dans la collection Ecoutez lire, chez Gallimard, est un itinéraire sans risque, balisé et agréable, et en le parcourant on se dit que David Foenkinos mérite son statut d'auteur à succès, populaire et bobo, rassurant et sympathique.

lundi 16 février 2015

Du monde entier, poésie, Blaise Cendrars, chez Gallimard

Je ne sais pas si c'est moi ou si c'est lui, mais le courant ne passe pas très bien entre Blaise Cendrars et moi. Et pourtant, je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé Du monde entier, qui contient les poèmes qu'il a écrits entre 1912 et 1924, et qui est disponible en poche chez Gallimard. 

Déjà parce qu'on y voit naître la poésie moderne. Les Pâques à New-York tentent encore de faire coïncider une poésie en vers avec son appétit de modernité, mais dès la prose du transsibérien, c'est fini, il ne fait plus semblant. La langue suit le rythme du train, de ses chaos. Et on se laisse transporter. Mais du paysage russe, on ne verra rien, finalement. Une suite de noms de gares. Mais ce qu'il regarde, celle qu'il regarde, le poète l'a emmenée avec lui. La petite Jeanne, dans son wagon est une prostituée. Est-ce par tendresse ou par moquerie, par dérision, qu'il la nomme Jehanne la pucelle de France ?. Il y a un peu de jugement moral, dans mon incapacité à entrer dans leur compartiment, mais surtout un malaise, face à l'absence de sensibilité dans l'expression. Cendrars est un poète dur, un poète décidé, une sorte de poète de combat. 

Et puis la modernité se périme, la modernité volontaire finit par faire daté. On peine aujourd'hui à comprendre les débats que la prose du transsibérien a pu provoquer. Les histoires de simultanéisme de Sonia Delaunay, qui illustra l'édition originale laissent penser que le monde de l'art était déjà avide de polémiques creuses, de débats stériles. Tout ce petit monde aime faire du bruit. 

Voilà, Blaise Cendrars est un poète bruyant. Même si c'est pour moi un oxymore, c'est ce qu'il est je crois, à la fois poète, indéniablement, et à la fois bruyant, gueulard, presque ; je ne peux pas m'empêcher de l'imaginer brutal. Pas d'une brutalité intéressée, idéologique, mais comme la résultante d'une énergie trop sauvage. 

Je n'aime pas cette énergie de la dévoration, celle qui nous pousse à parcourir la terre en cherchant la castagne, l'ivresse, les femmes. Quand on n'est pas sensible il faut des sensations fortes . Il me semble que cette énergie toujours à l'œuvre aujourd'hui est celle du pétrole, qui ne sera bientôt plus qu'une fine couche de gaz dans l'atmosphère. Et alors, les poètes de la contemplation, ceux qui ne voulaient rien casser, rien prouver, les poètes de la caresse, de la tenue n'oseront pas dire qu'il aurait mieux valu apprendre à se contenter de peu, ou même seulement de moins. Parce que ceux qui crient fort n'attendent que cela pour leur casser la gueule. 

Mais c'est peut-être là qu'est le mérite de Cendrars, dans le fait de passer cette énergie dans la poésie, d'en faire un levier, une marche vers autre chose. Et ce que cela nous rappelle, à New-York, au Brésil, dans le Transsibérien, on ne voit les choses qu'en fonction de ce qu'on est. Du monde entier, Blaise Cendrars écrit toujours un peu la même poésie, disponible en poche chez Gallimard.

Pas de version audio pour le moment : je n'ai pas la possibilité d'enregistrer cette semaine. Demain, peut-être il y aura, comme disait Mme Marie avec l'accent de Concarneau. 

lundi 9 février 2015

Mensonges d'été, Bernard Schlink, chez Folio

Mensonges d'été, ce sont sept nouvelles de Bernhard Schlink, parues chez Folio, sept histoires de dissimulation, d'évitements, de petits arrangements avec la vérité.

Ne commencez pas le recueil par la première nouvelle, elle m'a semblé d'un ennui mortel. Ses protagonistes sont antipathiques, le format, trop long pour une nouvelle, trop court pour un roman, et l'histoire de ce musicien qui rencontre une femme trop riche à son goût se termine sans chute véritable. Mauvaise pioche ? La seconde nouvelle, une histoire d'adultère manqué, fonctionne un peu mieux, mais les personnages ne sont pas beaucoup plus attachants. Pourtant, il faut tenir, tenir ou passer aux nouvelles suivantes.

Les mensonges y deviennent plus énormes, leurs conséquences plus lourdes, et, paradoxalement, le recueil s'allège. On ne peut pas dire que la joie envahisse les pages, mais on décolle, juste assez pour ne plus toucher terre, juste assez pour que plus aucune friction ne permette de freiner les enchaînements et les engrenages. Plus les protagonistes se plantent, se ratent, plus on a envie de les aider, de les secourir, de les aimer.

Parce que celui-ci tente de sauver son amour, sa vie de famille ou que celui-là, escroc, voleur, peut-être même assassin est habité d'un charme délicat.

Quant aux trois dernières nouvelles, elles sont simplement bouleversantes.
On voit un homme devenir un homme juste à temps, être lui-même, enfin, juste avant de ne plus être du tout. Puis, un autre, et son père, à la fois si tristement conforme à l'image que son fils se fait, et autre, à jamais insaisissable. Le livre se termine par un voyage vers le sud, celui d'une vieille femme qui a bâti sa vie sur des souvenirs à double fond. Cette dernière nouvelle est la seule à finir sur un retournement de situation inattendu, comme si Bernhard Schlink voulait nous dire : « Bon, si je n'ai pas mis de chute spectaculaire aux précédentes nouvelles, c'est que j'ai choisi de ne pas le faire, de ne pas donner dans l’esbroufe. Mais quand je veux... »


Peut-être alors, que si les premières nouvelles m'ont paru si plates, c'est parce que j'ai pris l'habitude des romans à rebondissements, et qu'il faut du temps, tout comme il faut un peu de temps pour entrer dans un film de Tarkhovski après avoir regardé d'une traite les 3 premières saisons de Prison Break ou de Walking Deads. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que la tonalité du recueil ne soit pas entièrement mélancolique. J'aurais aimé que l'écriture de Bernhardt Schlink accepte un peu plus de relief. Mais c'est parce que le style de ces Mensonges d'été, parus chez Folio Poche, est parfois à la limite du lisse, que ce qui s'y reflète, inexorablement, ce sont nos propres mensonges, les petites compromissions avec lesquelles nous avons appris à composer. 

Mensonges d'été, Bernard Schlink, chez Folio. 349 pages

La chronique audio est disponible ici. Le fond sonore est un arrangement à base de Bach qu'on entend dans Solaris de Tarkhovski, et que Bach tient une place particulière dans une des nouvelles du recueil. 

lundi 2 février 2015

Le fauteuil vert, de Roger Rudigoz

Je n'avais pas envie de chroniquer le Fauteuil vert. D'abord parce que ça me rapproche de la fin du cycle Rudigoz. Il me restera, ensuite, à parler de sa série des Solassier, et des livres pour enfants, mais je sais qu'une fois le Fauteuil vert chroniqué, on aura compris toute la trajectoire. Ensuite, parce que le livre m'a mis mal à l'aise. Un homme plus tout jeune passe ses journées assis dans un fauteuil de jardin à guetter avec concupiscence les apparitions de sa jeune voisine. On comprend dans les premières pages qu'il s'agira du livre le plus fictionnel de Rudigoz. Après les dernières, on espère que c'est bien le cas.. Le vert vire au glauque. On retrouve l'impasse de la sensibilité nue qu'on avait entrevue dans les infirmière d'Orange. L'impasse de la pureté. Parce qu'il est impossible d'éviter le malaise à l'évocation des pensées pédophiles du narrateur, impossible d'éviter le malaise des visions incestueuses. Puis le malaise décroît parce qu'on cesse d'y croire. Le Fauteuil Vert est en réalité le roman d'un adolescent. Ceux qu'on écrit en collectant le maximum du glauque de la vie pour le conjurer. Putains, charognes, désir sexuel.

L'impasse d'une sensibilité qui veut toujours rester sauvage. La malédiction de l'homme, c'est que la conscience le prive à tous jamais de la sauvagerie. L'ours peut donner libre cours à sa sauvagerie. Il dévore une brebis, la laisse les tripes à l'air, et son prochain repas sera fait de myrtilles ou de miel sans qu'il en éprouve du remords. Il prend une femelle parce qu'il est le plus fort, tue son petit s'il le croise sur son chemin. L'ours est sauvage.

L'homme est conscient. Il prend conscience de la vulnérabilité de l'agneau, et de son besoin de le manger. Et plus l'homme est sensible, plus l'horreur de sa condition le submerge. Il faut vivre. Pour cela, tout ce qu'il nous faut faire ! Et tout ce en quoi ça nous change! L'évolution, pour que nous puissions survivre dans notre environnement, nous a dotés de tout ce qu'il faut. Sur quoi nous n'avons pas prise. Pas de choix. L'environnement change, il faut que l'évolution retienne un nouveau « ce qu'il faut. » Il faut mourir. Pas de choix. Les enfants, eux, n'ont pas encore pleine conscience qu'ils ont en eux toute l'horreur qu'il faut pour survivre, et c'est cela que la sensibilité voit chez eux. Les enfants n'ont pas encore le doigt dans l'engrenage, ce sont les adultes qui sont gâtés comme des fruits pourris.

L'adolescence est cette charnière atroce où l'on comprend qu'il faut travailler pour survivre, que survivre se fait le plus souvent aux dépends des autres, ce moment atroce où le désir sexuel nous retire toute illusion de choix. Alors les poètes, les sensibles, essaient d'habiller tout cela de beauté, et quand ils n'y arrivent pas, se tournent vers le paradis perdu de l'enfance. La sortie du jardin d'Eden, ce n'est pas la genèse, c'est l'adolescence. La crise d'adolescence c'est l'enfant qui hurle : les charognes, la mort, le désir sexuel, qu'est ce que c'est que toute cette saloperie ? Le Fauteuil vert est le récit d'un adolescent de presque 70 ans, encore effrayé par la méchanceté des hommes, et par l'horreur du désir sexuel.

Mais alors, l'impasse, comment en sort on ? L'adolescence, comment en sort on ? En s'écrivant des mensonges bien clairs, bien acceptables ? «  Il est pourtant évident que dans la vie, rien n'est jamais clair ni expliqué de quelque manière que ce soit, et, s'ils n'écrivent pas la vie, ces besogneux, à quoi leurs œuvres peuvent-elles bien servir ?Mais on les publie[…] Le résultat ? Aucun changement dans l'humanité. Elle est toujours là, bien méchante, bien féroce, bien sotte. »
Qui parmi les gens qui ont mon âge peut affirmer qu'il n'en pensera pas autant dans 30 ans ? Et vers qui se tourner puisque Rudigoz ne sort pas du temps de l'impasse ? Camus, ce salopard, est mort assez jeune pour éviter le désespoir.

Et pourtant, c'est peut-être son père qui donne la clef : « Un homme ça s'empêche, voilà ce qu'est un homme, ou sinon… » La solution pour accepter le réel, c'est peut-être, paradoxalement, de se retourner et de voir tout ce qu'on lui a volé en ne le prenant pas. Ces femmes désirables qu'on a évitées parce qu'on ne les aimait pas, ces places en or qu'on n'a pas prises parce que l'or venait du travail des autres, et ces morts qu'on a évitées, parce qu'on a été plus malins. Je sais, ça n'offre aucun réconfort à l'adolescent à qui le réel s'impose, le réel de la mort, du désir, de la petitesse des hommes. Mais nous, les adultes, et je parle aux adultes sensibles, les autres n'ont pas eu ces problèmes à l'adolescence, et ne les auront pas ensuite, nous pouvons apprendre à apprivoiser la sensibilité. Pas à la domestiquer, pas à en faire un animal de ferme, privé d'instinct, d'élan. Nous pouvons faire de la sensibilité un éclaireur, qui explorerait le réel et reviendrait se poser sur notre poing tendu pour nous dire, « vas-y, fonce », ou, « empêche-toi. »

Alors nous pouvons rêver que nos enfants assaillis par la conscience et le désir pourront regarder en avant et se dire « Il y a moyen. Si le vieux a su faire, il doit y avoir moyen. »

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, une chronique qui ne s'égare pas, comme à chaque fois que j'évoque Rudigoz. J'aurais aimé avoir le temps de raccourcir, et d'écrire plus longtemps sur le style du Fauteuil vert. Sur la façon dont Rudigoz contourne l'impasse du sens par la liberté de l'écriture, de la construction. Il fait la nique au réel en faisant l'économie de la causalité, de la chronologie, on prend plaisir à se perdre, et à le voir se perdre ( Roger, Dieu ? Encore ? Sérieusement!) on prend plaisir à l'urgence d'un roman qu'on sent avoir été écrit en quelques semaines seulement. La fin, qui m'avait paru décevante, à la relecture me semble plutôt une sorte de pirouette, une façon de dire, « bah, tout ça n'a pas l'importance que je lui ai donné. »

Et notre sensibilité, heurtée de voir un Rudigoz dans l'impasse, ne se décourage pas à la lecture du fauteuil vert, elle nous dit, ici, empêche-toi, et là, fonce. Et comme un enfant qui regarde ses aînés se dépêtrer on se dit, « Il y a moyen, il doit y avoir moyen. »


Pas de chronique audio car Le fauteuil vert n'est pas disponible en poche, pas disponible du tout, d'ailleurs, sauf si on parvient à se procurer l'édition original chez "Le Tout sur le Tout".