Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 22 mars 2016

Ce qui est écrit change à chaque instant.

Avec Ce qui est écrit change à chaque instant, le Castor Astral fête les 101 poètes publiés au cours de ses 40 années d'existence. 

Le Castor se penche sur ces quarante années comme pour donner raison à Franck Venaille dont on peut lire dans ce recueil : « J'étais cet homme qui revenait sur ses pas. J'avais moins peur ! Je pouvais pénétrer dans la forêt de mimosas et regarder avril en face. » 

La poésie, au Castor Astral, c'est une poésie d'après les rimes, d'après les formes habituelles, une poésie qui cherche à s'approcher de nous à s'imiscer dans la vie quotidienne, pour une petite danse de tous les jours comme celle que propose Ariane Dreyfus. 


Parfois, je te demande seulement de danser. 
Que nous dansions 
piétinant tendrement. 
Petits, les enfants s'approcheraient
La danse si discrète sans être nus
C'est une braise adoucie, 
Les vêtements des amants.

C'est aussi une poésie de combat, brute, avec des phrases comme celle que Lance Daniel Biga : 

Les chants désespérés sont les chants les plu beaux... disait l'autre connard et c'est du désespoir qu'on tire la plus belle bière...

C'est une poésie qui a les deux pieds dans le réel, et qui pourtant tend le cou pour nous voir d'au-dessus, sans nous regarder de haut, c'est Renaud Ego qui écrit : 

Noeuds routiers parkings vagues sur un reste de vert
les splendides villes sont devenues obèses
Le suint de l'époque y déborde partout
bibelots gadgets vêtements victuailles
que des yeux lapent et que d'autres yeux surveillent.

En quarante ans, la poésie en a pris plein la gueule, dans toutes les directions. Les aphorismes goguenard de Frederic Lasaygues :

Il y aura toujours des marchands de chaussures trop petites pour vous persuader qu'elles se feront à votre pied
Ne les croyez pas
Les marchands d'idées toutes faites procèdent de la même manière

Parfois une poésie qui regarde là où ça fait mal, vers l'absence, quand Kirmen Uribe écrit : 
Tu aimais le risque
De l'avis de certains, une enfance difficile
 aurait définitivement gravé des ruisseaux taris dans les paumes de tes mains,
d'où cette tendance à t'approcher de la marge, de l'abîme

Et parfois, une poésie qui réconcilie avec Miriam Van Hee :

Ce qui console n'est pas la lumière
l'important, c'est qu'elle change
disparaît et revient

d'où que vienne le chagrin.

Ce qui est écrit change à chaque instant, c'est une anthologie, une suite de portes entreouvertes, dans l'ordre alphabétique des noms d'auteurs qu'on aura envie d'aller voir ou nonOlive Senior, Ossang, Jean-Yves Reuzeau. Ou de Charles Juliet, dont je ne peut citer une ligne car je soufrirais trop d'avori coupé son poème où aller que faire. 

La poésie se relit, bien mieux que ne se relisent les romans, trop lourds pour les vies nomades. On peut la relire souvent, par fragments, il suffit de quelques minutes, et on se rend compte que ce qui est écrit change à chaque instant, selon la phrase de Transtromer qui sert de titre à ce petit livre dense. Ce qui est écrit change, parce qu'on a bougé, parce qu'on ne lit plus du même endroit de nos vies, parce qu'on ne cesse de chercher, d'un poème à l'autre, d'un auteur à l'autre, d'une vie à l'autre, parfois, parce qu'on a plusieurs vies quand on cherche la beauté comme des chasseurs cueilleurs, au gré de nos saisons, qu'on appelle des âges. On peut refermer Ce qui est écrit change à chaque instant, Au castor Astral, et garder en mémoire cette phrase 

Les sédentaires cherchent en vain les portes de désert. 




Ce qui est écrit change à chaque instant
40 ans d'édition / 101 Poètes
Le Castor Astral
12 € (12 € putain, c'est rien pour 40 ans de poésie)