Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 23 décembre 2014

Le Poisson pourrit par la tête, de Michel Goussu, au Castor Astral.

 On se demande pourquoi on continue. Qu'est ce qu'on attend du travail qu'on fournit ? On voit ce qui marche en librairie. Cette année : Valérie Trierweiler, Eric Zemmour. Ça fait beaucoup de haine pour très peu de littérature. Et même si cette année, j'ai lu Le premier homme, et même si cette année, Certaines n'avaient jamais vu la mer, et même si cette année, William Nicholson, John Harvey, Rudigoz, et même si cette année, Les poches sous les yeux et le plaisir du travail en équipe.  Tout cela en m'a pas fait trouver du travail. Enfin ne m'a pas fait gagner d'argent. Je suis toujours chômeur, je vis toujours seul, toujours loin de mon fils. Alors, à quoi ça sert ? Et je ne vais pas vous faire la réponse des philosophes, « ça ne sert à rien, et c'est ça qui est beau ». Foutaises. Je ne sais pas à quoi ça vous sert. Moi, ça me sert à ne pas me sentir seul. À partager, avec des sensibilités qui me ressemblent, parce que ça rassure, avec des sensibilités qui me sont éloignées, avec qui, sans un livre entre nous, je ne saurais pas le faire.

Alors voilà. Il est là. Le poisson pourrit par la tête. Je le tiens dans les mains. Un livre. Un vrai livre ! Avec tout le travail qu'il m'aura fallu, à défaut de talent ou de facilité. J'ai ressorti le premier manuscrit, trop biographique, trop lourd, et que j'ai dû éclater en mille morceaux pour l'alléger d'un tiers de ses mots. Que j'ai dû retravailler pendant plus d'un an, pour trouver, enfin, l'angle fictionnel qui convenait.

Tout le travail de ceux qui sont autour.

Celui de Jean-Yves Reuzeau, qui a bien voulu remarquer ce Poisson parmi les 1500 manuscrits que le Castor Astral reçoit chaque année. Mille cinq cents, putain. Etqui m'a dit qu'à part le début tout était à reprendre.

Le travail de Bénédicte, avec qui j'ai bataillé pour des virgules et des conjonctions de coordination (attention, je n'ai pas encore vérifié que tout avait été pris en compte, je suis encore susceptible de te pourrir la vie !)

Le travail de Marc Taraskoff, qui en une seule image a su saisir l'ambiance, l'esprit. Et même changer la cravate de mon poisson pour qu'elle fasse plus corporate.

Le travail de Marc Torralba, qui a su donner à cette image la texture qu'il fallait pour en faire la couverture idéale. Je la regarde, cette couverture, je la caresse et j'essaie de comprendre comment elle peut être être aussi nette alors que le papier est texturé. Comme je ne comprends pas, j'ouvre au hasard et je hume l'odeur du papier, de la colle, je relis des passages. Et je me marre parce que je suis content.

Et François Betremieux, qui m'appelle, me demande les adresses qui manquent, celles des gens dont on espère qu'ils seront touchés, qu'ils voudront en parler. François qui m'envoie des encouragements juste au moment flippant où je prends conscience que je ne retoucherai plus jamais le Poisson. C'est à lui de toucher les gens, tel qu'il est.

Ou pas. Mais je n'ai pas envie de penser au ou pas.

Le hasard de la numération en base 10 fait que cet article est le centième de ce blog.  Cent articles, un peu moins de cent semaines. J'ai usé les nerfs de pas mal de monde au cours de ces presque deux ans. Mais aussi des trois ou quatre années qui les ont précédés. Et des trente-deux qui ont précédé celles-ci. Enfin, il paraît. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que la sensibilité qui nous livre toutes portes ouvertes à un monde foisonnant, paradoxal, violent, cette sensibilité qui nous permet de sentir ce contre quoi d'autres ont appris si tôt à se protéger, on aurait aimé que cette sensibilité qui nous fait écrire ne soit pas aussi celle qui nous rend intransigeants, à vif, susceptibles, cyclothymiques, j'en passe, vous saurez compléter le tableau. Ceux qui m'entourent, savent combien je n'ai pas le choix. Alors à quoi ça sert, tout ça, si c'est pour ne pas rendre heureuse celle qui m'accompagne ? C'est qu'on se trompe sur l'effet et la cause. Sans l'écriture, sans la lecture, sans la compréhension du monde couchée sur le papier, transmissible, sans le partage rendu possible d'une sensation dans laquelle on se retrouve, ce serait à pleurer, sans tout ça ce serait, je serais, pire, bien pire qu'avec. Ce serait ni l'argent ni le beurre.

Le hasard des rencontres fait que je comprends cela au moment où Roger Rudigoz et ceux qui l'ont connu me l'expliquent. Et que du coup, même moins talentueux, je me sens moins seul, moins bizarre, moins maudit.

Le hasard de la tradition judéo-chrétienne fait que ce livre arrive comme un cadeau de fin d'année.

Rêvons qu'il soit la mèche d'une année du phénix qui s'est bien faite attendre.







PS : Je vous épargne l'audio pour ce billet, mais sachez que Le poisson pourrit par la tête, de Michel Goussu, au Castor Astral Éditeur, sera disponible dans toutes les bonnes librairies à partir du 8 janvier. Il dépend de vous qu'il trouve son public, comme on dit en sous-entendant qu'il a un public à trouver. Merci encore à ceux, celles, celle qui ont su m'épauler pendant tout ce temps.

PPS : ceux qui suivent un peu savent que je truande gravement puisque le blog est né en avril 2013, mais j'étais sincère quand j'ai écrit le truc puisque je pensais ne sortir qu'un article par semaine, au max. 



lundi 15 décembre 2014

À pas aveugle de par le monde, de Leïb Rochman, en Folio

Pourquoi recommander de lire À pas aveugles de par le monde, de Leïb Rochman, enfin paru en français chez Folio, alors que je n'ai pas réussi à le lire intégralement ?

Parce qu'il y a des travaux impossibles qui doivent être menés. Écrire sur le retour des survivants de l'Holocauste est un travail impossible. Chroniquer ce travail impossible est un travail impossible. Mais qui doit être fait. Il n'y a pas de chiffres dans ce livre, pas de statistiques, pas de descriptions insoutenables. Plus on avance, plus on comprend qu'il n'y aura rien de directement réel, rien à quoi se raccrocher. C'est ce qui rend le livre impossible à lire dans son intégralité. Et c'est ce qui permet de comprendre, en le lisant, des choses qu'aucun autre livre, aucun documentaire, aucun débat ne m'avaient permis de comprendre plus tôt. Par exemple le scandale de l'immédiat après-guerre, ces survivants qu'on accueille comme des gêneurs, responsables de la mauvaise conscience des Nations, victimes tellement humiliées qu'elles portent elles-mêmes la honte de leurs bourreaux.

Leïb Rochman parle des camps mais il écrit : les Plaines. Refuser le vocabulaire des bourreaux, réinventer la narration. Impossible de vivre après les Plaines. Avoir survécu est une trahison. Vivre, c'est comme sortir du Peuple, puisque le Peuple tout entier se trouve désormais sous la surface, hurlant après la descendance qu'il ne pourra pas avoir. Impossible, donc, aussi, de mourir. Mourir, c'est trahir encore, c'est finir le boulot des bourreaux. Pour survivre face aux Nations, ce Peuple désagrégé se raccroche à l'éternelle injonction : croissez et multipliez-vous. Mais sans l'envie, le désir est une mécanique, un devoir, et croissez et multipliez-vous n'est plus qu'une phrase. Commence alors le procès des Livres du peuple du Livre, dans un tribunal de Cauchemar où l'humain et le verbe se confondent, s'accusent, et tentent de se sauver l'un l'autre.

Bien sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que tout me fut expliqué, plutôt que ce récit où les lieux, les temps, les personnages sont toujours indistincts, perméables, presque indéfinis. Comme si l'âme du Peuple était un unique narrateur s'imposant à chacun tour à tour. Mais c'est cet onirisme sombre et flou qui refuse au cerveau la possibilité de se rassurer, de se distancier, c'est cet effort nécessaire qui permet, soudain, dans ce tout chaotique, de saisir l'essentiel, comme les nutriments dans un flot de fibres indigestes et qui permettent pourtant ce transit horrible dont dépend la vie.



J'ai lu ici et là des éloges de la langue de Leïb Rochman et de la forme du livre. Je ne les partage pas. Et pourtant il me semble qu'aucune autre langue, aucune autre forme, ne pourrait mieux expliquer ce que nous nous efforçons de ne pas comprendre. Comprendre, et non approuver. Comprendre, et non justifier. Il est inutile de condamner l'expansionnisme des colons sans comprendre d'où vient leur croissez et multipliez-vous. Moi, je suis né deux ans avant la mort de Leïb Rochman, et je ne suis pas historien. Je ne suis pas juif et je ne suis pas palestinien : je suis sans doute la personne la moins légitime qui soit pour parler de l'Holocauste ou de l'Intifada.Mais ce que j'ai ressenti, c'est que le silence, ou, pire les cris, les balles, les bombes, enfin, l'impossibilité de se parler, donc, de se comprendre, l'impossibilité des Nations de dire que ça suffit, trouve sa racine ici. Car c'est d'une Europe sourde que sont partis, À pas aveugles de par le monde, les pères de cet État qui refuse d'apprendre à compter les victimes civiles de part et d'autres des barrières qu'il érige. C'est d'une Europe sourde que sont partis, À pas aveugles de par le monde, Leib Rochman et les pères de ceux à qui revient un travail impossible mais qui doit être fait : désapprendre le Destin, qu'on subit, préférer l'Histoire, et la construire à partir de ce dont ils ont été privés. À pas aveugles de par le mondee, de Leïb Rochman, chez Folio, exige de ces fils qu'ils deviennent une Nation, capable, elle, d'écouter les souffrances d'un autre Peuple qu'on prive de place sur la terre. 


La chronique audio est disponible ici

On me pardonnera de la redondance de la bande son, car ce morceau "Khosid Dance"de Mickaël Levy perpétue une musique Klezmer émouvante et jamais coupée de ses racines. 

lundi 8 décembre 2014

Saute le temps, de Roger Rudigoz, chez Finitudes

Les éditions Finitude publient Saute le temps. Le journal de Roger Rudigoz entre le 1er janvier 1960 et le 25 juin 1961. Saute le temps. C'est de ça qu'il s'agit, tromper le temps, tromper la vie, le quotidien, le porte-monnaie vide. Pour écrire. Sauter le temps de la journée passée chez un imprimeur, dans un labo de photographie, dans une petite manufacture, et arriver devant son bureau pour écrire. Mais pourquoi donc ? Qui se souvient de Roger Rudigoz ? Je n'avais jamais entendu parler de Roger Rudigoz. Des mythes auto-glorificateurs de Malraux, oui, des mensonges de la légende dorée sartrienne aussi, mais de celui qui écrit : " Les prophètes sont bien avancés quand leurs prédictions se réalisent : on les voit dans le même pétrin que les autres ; personne ne se souvient qu'ils l'ont annoncé et ils n'ont eu que le déplaisir d'en souffrir d'avance". Non. Jamais entendu parler de lui. 

Et pourtant, Saute le temps est le quotidien cru et impitoyable d'un écrivain sensible. Rudigoz voit, sent, comprend ce que les autres sont incapable même d'imaginer. Et il me semble que personne ne comprend l'écriture comme lui : " Ecrire ! Ecrire ! Je suis un déchu, un vaincu, un maudit. Tout ce que je fais se retourne contre moi. Tous les objets me sautent dessus. Mais quand j'écris, je me réhabilite, je me sauve, je suis de nouveau un homme pareil à tous les hommes. 
Pourtant, les hommes me méprisent parce que j'écris..."

La quatrième de couverture dresse un parallèle avec Céline, et laisse penser à un pamphlet aigre, mais entre les pages Rudigoz écrit : " Ce qu'il y a de difficile, c'est de continuer la lutte pour améliorer la société, sans devenir méchant. Difficile et compliqué. Voir tous les défauts des hommes, rester lucide jusqu'au bout, ne pas fermer les yeux sur les injustices, ne jamais se laisser piper, et garder pourtant une certaine naïveté, l'espérance, la joie aussi... Manier l'ironie, la critique, mais ne pas faire sauter le laboratoire avec l'appartement des voisins. Très compliqué. Aussi difficile que de Faire son salut, comme disaient nos parents."

Mais il faut que je cesse de citer : j'ai corné une page sur deux, les fulgurances sont partout. Sur la guerre d'Algérie, le gaullisme, la gauche, et ses amis de gauche qui le traitent de fascistes, et ses amis de droite qui le traitent d'homme de gauche. Et sur l'écriture. Rudigoz se rase le crâne... sur un coup de tête. Et sa sœur s'inquiète de ce qu'il ne pourra chercher de travail, alors qu'il ne pense qu'à écrire. " Le problème du bien et du mal est simple pour un écrivain : tous ceux qui d'une manière ou d'une autre l'empêchent d'écrire sont ses ennemis, et les ennemis du genre humain, et dans la plupart des cas, c'est vrai !". 

Il écrit le premier tome de sa série historique en un mois. Un mois pour le premier jet ! Après avoir longtemps ruminé l'histoire reconstituée de son dragon d'aïeul. Et il écrit encore, ensuite, malgré le travail, la famille, la corrosion du quotidien. 
"J'ai repris la machine. Impossible. Trop Fatigué. Caca, pipi, manger, dormir. Fini. Juillard. Juillard ! Feu ! 
La possibilité d'écrire m'est enlevée, mais le goût d'écrire reste aussi vif, et même plus vif..."

Souvent il le conspue, son éditeur, trop radin pour lui permettre de vivre de sa plume. Peut-être est-il un peu aveugle sur ce point. Combien d'écrivains vivent de ce qu'ils écrivent ? Ou plutôt, combien de bons écrivains ? Que rapporte la bonne littérature ? Proust en meurt, qui en vit ? À moins que ? Je me dis que l'auteur de Saute le temps n'a pas pu écrire de mauvais romans, mais je n'en ai lu aucun ! J'ai un peu peur, d'ailleurs, d'être déçu, comme j'ai été déçu de lire les romans de Chklovski après que "Technique du métier d'écrivain" a changé ma vie à jamais. Mais il faudra bien y venir, confronter le diariste à son œuvre de romancier. Et c'est une épreuve dont je ne pourrai sortir gagnant. Si les romans sont mauvais, la déception sera terrible. S'ils sont bons, il faudra vivre entre le marteau et l'enclume. Là, à chercher du travail. Mais comme la peur de la faim a remplacé la faim véritable, à cette peur s'ajoute la honte. Celle de ne pas être plus courageux, de me plaindre, celle d'avoir besoin de tant dormir, alors qu'on est si insomniaque. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, pouvoir écrire toute la nuit, puis me lever et partir au travail, ou au moins partir en chercher un, bref, gagner sa vie le jour, et la vivre la nuit, c'est à dire l'écrire. Mais pour quelle récompense ? Rudigoz se dit "mécontent, sans diplôme, sans situation, sans ressources, sans convictions, sans honte, sans haine depuis peu." 

Six cents livres à la rentrée littéraire de septembre. En janvier ? Le Poisson pourrit par la tête sera noyé parmi quatre ou cinq cents autres. Alors pourquoi continuer à être trop nombreux à écrire trop ? Parce que de la masse, du nombre, peut sortir un Rudigoz, comme une pépite qu'on ne sait pas encore distinguer de sa gangue de boue. Ecrire parce que personne ne sait quel livre a su emprisonner son époque comme un insecte dans l'ambre des mots, et la protéger du temps, la livrer comme un bijou émouvant et précieux aux hommes et aux femmes sensibles qui les suivront, un témoignage qui Saute le temps, comme le fait ce journal de Roger Rudigoz, disponible chez Finitude. Il paraît même que le tome 2 est paru, mais qui a le temps d'acheter les bons livres qu'il doit lire ? 




lundi 1 décembre 2014

Petit éloge des souvenirs, de Mohammed Aïssaoui

Petit éloge des souvenirs de Mohammed Aïssaoui, est un petit  livre pour un petit prix, puisqu'il est sorti dans la collection Folio deux euros. 

Le paradoxe du livre est évident, dès le premier paragraphe : 

« De mes souvenirs d'enfance, je ne garde qu'un arbre penché sur une rivière. La fraîcheur de l'eau, le soleil l'après-midi, les noyaux d'abricots, et c'est tout. Oubliés les prénoms de mes amis. Les noms de famille de mes voisin. Les parfums et les jeux. La faute à un choc : à neuf ans et demi je quittai mon pays pour un autre. »

On s'attend, avec ce début passionnant à un livre intime, risqué. Hélas, l'avant-propos laisse place à deux parties plus convenues ; une boîte à outil du souvenir suivie d'une petit anthologie personnelle. Après la fin de la première lecture, je suis resté sur ma faim. Quoi, c'est tout ? Mohammed Aïssaoui ne livre que cela ? Et la petite anthologie ! Camus, Modiano, Delphine de Vigan ? On ne découvre personne. 

Mais en arrivant aux dernières pages, j'ai compris que ce petit éloge des souvenirs aurait dû s'appeler : petit mode d'emploi de la traque du souvenir personnel. Je reprends alors la table des matières, et j'ai envie, moi aussi, d'aller chercher l'album de famille, les lieux du passé, les archives, de dresser une liste des premières fois, un atlas des copains d'avant-hier. 

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, trouver plus de Mohamed Aïssaoui dans ce petit éloge des souvenirs, rencontrer une écriture plus personnelle, au lieu de cette impression d'un manuel écrit trop vite, cette impression que l'auteur fait ce qu'il peut avec ce qu'il parvient à se rappeler. On est finalement tous aussi démunis devant le temps qui file, qui emporte non seulement les souvenirs, mais aussi, évidemment, notre jeunesse. On se voit plus lent pour la lecture, plus lent pour l'écriture, les souvenirs se font plus fuyants, plus flous, ils renâclent à sortir de leur passé plein de vie pour nous rejoindre, là où nous sommes sur la ligne du temps. 

Alors on utilisera la boîte à outil que Mohammed Aïssaoui nous propose en Folio Poche, et on poursuivra tout ce qui était bon, tout ce qu'on a surmonté, aussi, afin, à notre tour, d'écrire notre propre Petit éloge des souvenirs.

On peut écouter la chronique en audio ici, avec la belle trompette de Chet Baker derrière. 

TL;DR : Petit éloge des souvenirs, de Mohammed Aïssaoui propose une petite boîte à outil pour aller rechercher des bribes de son passé. 

lundi 24 novembre 2014

L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera [Audio book]

L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera, dans la collection Ecoutez Lire de Gallimard, est une excellent surprise. La lecture de Raphaël Enthoven, d'abord. Il accentue toutes les émotions, et de manière conventionnelle. On se dit que ça ne devrait pas marcher. Mais comme il surjoue un petit peu, on n'est pas sujet à l'ennui d'une lecture monocorde. Et comme il joue ces émotions de manière très convenue, il nous laisse la liberté d'être touché à notre façon par les mots de Kundera.

Le livre, ensuite. J'ai toujours trouvé que le statut de chef d'œuvre de l'insoutenable légèreté de l'être était usurpé. J'avais tort. Et pourtant, je l'avais déjà lu deux fois, et vu le film trop librement inspiré du roman. Mais je l'avais lu trop tôt. Et toute la finesse du livre m'était cachée par le souvenir de la longue évocation d'une femme qui sent l'odeur du sexe d'une autre dans les cheveux de son mari adultère. La femme, c'est Thérésa, une jeune fille maltraitée par sa mère, et uqi voit en son mari, le chirurgien Thomas, une planche de salut. Thomas est amoureux d'elle, mais ça ne suffit pas à ce qu'il interrompe ses amitiés érotiques, notamment celle qu'il entretient avec Sabina. De laquelle Franz est amoureux, ce qui lui révèle la vanité de sa vie conjugale. Cette partie vaudevillesque du livre m'avait, adolescent, ennuyé, lassé, et un peu dégoûté. Je n'y avais pas vu la préparation de l'autre versant du livre, le versant politique.

Une fois qu'on s'est attaché aux petites aventures de ces personnages si humains, lorsqu'un régime tellemnt inhumain tente de les réduire au silence, on est démuni, incapable de se protéger de l'absurdité soviétique qui envahit le roman. La force de Kundera est de ne pas grossir le trait, de ne pas sur-écrire l'héroïsme, de ne pas faire de ses personnages autre chose que ce qu'ils sont : des gens réels attaqués par une dicature déréalisante. L'angle de Kundera sur la répression de Prague est un angle esthétique. Le kitsch est l'art de la négation de la complexité du réel, un art qui veut faire coller la réalité au modèle, et non l'inverse. En ce sens, le soviétisme post stalinien est l'aboutissement du Kitsch.


La réalité, au contraire, est pleine de détours, de zones d'ombre, de hasards. Pour Kundera, dont les personnages évoluent sans cesse entre la nécessité d'un Es Muss Sein, « Il le faut », et la contingence des hasards qui les rapprochent, la capacité de voir la beauté dans l'émergence de cet aléatoire est une capacité de résistance face à l'absurdité du monde. Alors, lorsque l'Union Soviétique impose une réalité qui n'a plus rien de réel, Kundera lui répond avec des personnages qui n'ont plsu grand-chose de fictionnel. On s'attache, on tremble, on espère une fin heureuse. Kundera ne joue pas avec le suspens, ou alors, jamais très longtemps, mais il parvient à surprendre sans cesse. La portée philosophique de ce que je n'avais vu que comme une rêverie libidineuse est justement renforcée par cet air de ne pas y toucher, cette absence d'esprit de sérieux. Et la fin, même, parvient à concilier avec une habileté éblouissante, la satisfaction romanesque du lecteur et l'inaccomplissement du réel. Contre le kitsch, la réalité s'impose, finit par s'imposer, toujours, avec ses détours, sa noirceur, et dans la noirceur, de nouveaux détours, comme cette collection Écoutez lire de Gallimard, sans qui les longs trajets que le réel m'impose ne seraient que du temps perdu, tandis qu'ils deviennent, en compagnie , par exemple, de L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera, lu par Raphaël Enthoven, des promenades littéraires qui relient des personnes que j'aime, toujours réelles et toujours fictionnelles, parce que contre l'insoutenable légèreté, il ne nous reste guère que le romanesque.  

Cette chronique est inspirée d'une improvisation enregistrée en conduisant, lors d'un de ces trajets qui font que ma voiture sur la 4-voies est une sorte de domicile non fixe pour moi. On peut l'entendre ici, grâce à SR, qui héberge tous mes fichiers audio.  

TL;DR : L'insoutenable légèreté de l'être, c'est le soviétisme kitsch contre le réel volage et complexe. Un chef d'œuvre à côté duquel j'étais passé adolescent. La lecture de Raphaël Enthoven rend l'écoute facile et n'empêche pas de se faire un ressenti de lecteur. 

lundi 17 novembre 2014

Xavier Belrose offre une nouvelle vie au Serpent à Plumes.

Seule image disponible : photo de profil
Le Livre de Poche avait fait les choses en grand pour la remise du prix des lecteurs 2014. L'Hôtel Potocki, ce n'est pas exactement la cafétéria de la fac de Villetaneuse. Dans la salle de réception, les jurés, lecteurs et libraires peuvent côtoyer le gratin de l'édition1. Xavier Belrose en faisait partie en tant que directeur commercial du Cherche-midi. Mais plus pour longtemps, puisqu'il a décidé de reprendre le Serpent à plume. Il faut de l'audace pour reprendre une maison d'édition, il faut du pragmatisme et du professionnalisme pour que cela fonctionne. Xavier Belrose oscille entre les deux depuis le début de sa carrière. « J'ai choisi l'édition parce que j'aime la musique. J'ai choisi de ne pas aller dans le disque parce que j'avais pas envie de vendre des merdes. » Dans l'édition, sa vision est plus pragmatique « Je vends des livres, c'est mon métier. » C'est dit sans cynisme. « Heureusement, j'ai choisi, et je n'ai pas vendu que des merdes. J'en ai vendu. Pas beaucoup. » On veut bien croire qu'il n'ait pas eu à se compromettre beaucoup : il a commencé chez Autrement et Calmann-Levy avant de d'entrer au Serpent à Plume, où il a travaillé pendant quatre ans. Avant que la maison ne se fasse racheter « dans des conditions un peu dégueulasse : on s'est tous faits virer ». Dix ans après, Xavier Belrose est directeur commercial du Cherche-midi, et il apprend que le groupe qui détient le Serpent à plume est en train de l'étouffer faute de compatibilité éditoriale, un boa étouffe doucement sa proie, sans avoir à la mordre. Avec Pierre Bisiou, ils décident alors de reprendre la maison. Avec quelle ligne éditoriale ? Quand on lui parle de ligne éditoriale, Xavier Belrose parle d'abord des auteurs, de la convivialité particulière qui régnait au Serpent. Et il parle de ceux que les directeurs éditoriaux ne mettent pas toujours en avant, les graphistes, les correcteurs. On mesure alors le travail titanesque pour répondre aux attentes, immenses, des lecteurs et des auteurs nostalgiques de la meilleure époque. Avec prudence, Xavier Berlrose prévient qu'il faudra sans doute attendre le début du deuxième semestre 2015 avant que ne paraisse le premier ouvrage du nouveau Serpent à plumes. Comme des écoliers déjà lassés de l'école dès la Toussaint, on se dit : vivement Juillet.

L'interview complète ne dure que 8 minutes, elle est disponible ici, et ça vaut le coup, pour ressentir l'enthousiasme du monsieur. [EDIT LE SON SEMBLE REPARE]



1Bon, on ne m'a pas laissé saluer Francis Esmenard, faut quand même pas déconner.

lundi 10 novembre 2014

Réparer les Vivants, Maylis de Kerangal, [Audio-book]

Gallimard sort dans la collection Écoutez lire le dernier roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, lu par son auteur. Au prix de 21,90 euros, soit trois de plus qu'en version papier . 

Il y a quelques années, ma mère lisait et enregistrait des livres pour une association de mal-voyants, et depuis il ne m'était pas venu à l'idée que les livres lus s'adressaient en fait à n'importe qui. Par exemple, à ceux qui doivent faire de longs trajets en voiture. Avant, je lisais en conduisant. Soit en plaquant ma voiture contre la glissière centrale de la quatre-voies et en me guidant aux étincelles qui jaillissaient contre la portière passager, soit, en ville, à l'oreille, en faisant de l'écho-location avec les insultes des piétons et les coups de klaxon des automobilistes. Le livre audio permet une conduite plus sérieuse. 

Le sujet du livre, d'abord, n'exhale pas vraiment le doux parfum de la rigolade. Réparer les vivants décrit les étapes du don d'organe, du prélèvement à la greffe. Le ton de Maylis de Kerangal, ensuite. Sa lecture lente, presque dépourvue d'intonation, n'impose à l'auditeur aucune interprétation. Le problème est que pour conduire de nuit, ce ton monocorde annule quasiment l'effet des canettes de boissons énergisantes qui font gling-gling contre le porte-gobelet une fois qu'on les a vidées. Du coup, on les jette par terre pour éviter le bruit, et la voiture ressemble à une poubelle, mais ça n'a rien à voir avec l'histoire. Encore que. C'est après un accident de la route que Simon Limbres, un jeune homme de dix-neuf ans, se retrouve dans un coma avancé. Description clinique du parcours de son cœur d'un corps dont on retarde artificiellement la mort, pour un autre dont on prolongera chirurgicalement la vie. Mêmement chirurgicale, l'écriture de Maylis de Kerangal, avec ses phrases nominales et ses adverbes précieux. Ultra-documentée, précise, dépourvue de toute pitié, Maylis de Kerangal n'épargne pas le lecteur-auditeur. Chaque fois qu'on se demande quel plaisir elle prend à nous faire vivre cette horrible vérité, on poursuit, comme s'il s'agissait d'un entraînement, d'une préparation qui nous rendrait plus apte, soit à supporter une épreuve de ce genre, soit à soutenir ceux qui auraient à l'affronter dans notre entourage. 

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que les aspects fictionnels aient autant de force que la description des processus hospitaliers. Pourtant, chaque personnage a sa dynamique, son caractère et j'ai mis un certain temps à comprendre ce qui m'a gêné. C'est qu'il n'y a pas que la lecture de Maylis de Kerangal qui soit monochrome. Tous les protagonistes reflètent les mêmes nuances de gris et de noir. Personne ne rigole, jamais. Ni les proches, ni les infirmières, ni les chirurgiens. Mais on sait que les salles de garde résonnent de ces blagues grasses et de ces rires qui sont moins de joie que de décompression. Où sont-elles ces respirations ? Elles sont nécessaires aux personnages, pour survivre, mais aussi au lecteur, pour poursuivre. 

La scrupulosité de Maylis de Kerangal est à la fois la force et la faiblesse de ce récit, parce qu'elle porte le sujet dans toute sa gravité, mais n'apporte pas l'élan qu'il faut pour le dépasser. Ainsi le livre se termine de façon abrupte, par ce que les anglo-saxons appelleraient un anticlimax, comme si la vérité documentaire éteignait la tension romanesque. À tel point que je me suis demandé s'il manquait un fichier. On a alors envie d'ouvrir la fenêtre, et l'air s'engouffre dans la voiture, fait voler les papiers et les canettes qui se remettent à faire gling-gling, dissipant à peine la lourde tension qui nous tient maintenant éveillé, nous évite l'accident et la nécessité de Réparer les vivants, selon le processus que nous raconte Maylis de Kerangal dans cette collection Écoutez lire, chez Gallimard.  




La chronique audio est disponible ici, et vous aurez reconnu en font sonore greatings from Tuskan, dont je réutilise ici le morceau beautifully painful.

TL ; DR : Maylis de Kerangal décrit, dans Réparer les vivants, les étapes d'un don d'organe. Très documenté, mais trop monochrome triste pour être tout à fait touchant. 

mardi 4 novembre 2014

Le Premier Homme, d'Albert Camus

On peut lire Le premier homme,d'Albert Camus, dans la collection Folio Poche, au prix de sept euro quarante. Mais il faut savoir, avant de commencer, qu'on ne finira pas. Parce Le premier homme a été publié tel qu'il a été retrouvé dans le coffre de la Facel Vega à bord de laquelle Albert Camus a trouvé la mort en janvier 1960. Cette mort sans raison est la métaphore ironique d'une œuvre tout entière tournée vers l'absurde. « Le vrai mystère, dans beaucoup de cas, c'est qu'il n'y a pas de raison du tout. »


Alors que nous cherchons des modèles tout faits pour nous épargner la peine d'assumer nos choix, nos responsabilités d'hommes et de femmes, alors que nous cherchons des philosophies toutes faites pour justifier notre colère, notre soif de vengeance, notre violence qui bien souvent se sert des causes qu'elle dit servir, Camus ne livre aucun système, juste des pistes, juste « Mais non, un homme ça s'empêche, ou sinon... »

On envie toujours les génies. On envie les honneurs, les femmes, le prix Nobel. Ce qui se voit. Sans imaginer ce qui y mène. Le premier homme décrit cette vie, cette dureté qui prépare au génie. Il décrit la pauvreté, pas celle dont je me plains, moi, parce que j'ai peur du RSA où que je compte les kilomètres à cause du prix du diesel. Non celle qui fait qu'on prend des coups pour avoir perdu la monnaie des courses, celle du travail permanent, qui épuise la mère, déjà incapable de trouver les mots parce que la surdité, alors, rendait quasi analphabète. Il n'y a pas de misérabilisme parce que ce que décrit Camus, c'est moins les conditions que la manière d'y résister, c'est à dire la joie. La joie, au

sens où Spinoza en parle, cette force qui pousse à piquer des fruits dans le parc botanique, cette joie qui pousse, malgré les promesses de coups de cravache, à user les clous des semelles pour gagner le match de foot à la récréation. Le même appétit dans la lecture, l'apprentissage, tout ce qui permet d'approcher la beauté. Parce que « c'est la faiblesse devant la beauté qui contribue à nous rendre le monde supportable. » Pas de nostalgie, pourtant. Camus écrit que le temps perdu ne se retrouve que chez les riches. La vie des pauvres est saturée de ce travail qu'on doit rechercher sans cesse, ce « privilège de la servitude. » La bourse qu'il obtient grâce à son instituteur lui permet de sortir du monde des pauvres, « rassurant, fermé, solidaire » mais sur les traces duquel le narrateur revient pour éclaircir les mystères, au premier rang desquels celui du père, mort pendant la grande guerre. Mais finalement, il n'y a que le « mystère de la pauvreté, qui fait les êtres sans nom et sans passé. » Ne reste qu'à apprendre à « aimer la nécessité affreuse de la vie. »

On voit qu'il reste encore pas mal de pages, alors on ne tremble pas encore de cette fin qu'on sait ne pas devoir venir. Et on se fait surprendre. Le livre s'arrête sans prévenir, comme contre un platane, et ensuite, ce sont les notes. C'est une torture de les lire. Elles laissent imaginer le chef d'œuvre dont l'absurde mort nous a privés. Chacune de ces notes est la graine d'un chapitre qu'on ne verra pas grandir, sur l'adolescence, la tuberculose, la question coloniale, l'art. Et les femmes, et la mère, encore, et comment réconcilier en lui l'Algérien et le Prix Nobel. Et des professions de foi : « La noblesse du métier d'écrivain est dans la résistance à l'oppression, donc au consentement à la solitude. » C'est elle, la solitude, qu'on ressent, plus encore que l'absurde, quand on referme le livre. Où sont les pères, les frères d'arme, les frères de plume ? Et comme il faut une fin, sinon au Premier homme, d'Albert Camus, disponible en Foliopoche, du moins à cette chronique, essayons de croire à cette note, perdue dans les annexes : « Dans l'histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes, non pas ceux du déclin comme on le crie dans les journaux, mais ceux d'une aurore indécise et différente. »


Vous pouvez écouter la chronique audio avec des morceaux de Facel Vega dedans et un bonus Nobelo-camusien. C'est là. 

TL ; DR : Le premier homme, d'Albert Camus est le contraire d'une ruine : un chantier, une esquisse, inachevé et pourtant parfait. Pas comme la chronique qui voudrait vous donner envie de le lire. 


lundi 27 octobre 2014

Pas de chronique de livre ce lundi.


 Ce n'est pas faute d'avoir lu. Ce que je chroniquerai, j'espère, à un autre moment de la semaine. Mais aussi, et cela m'a pris plus de temps, les épreuves d'un livre que je ne chroniquerai pas. Parce que je l'ai écrit. 

Relire les épreuves d'un livre qu'on a écrit, c'est un peu comme écouter pour la première fois un enregistrement de sa propre voix. Tu sais que c'est toi, mais tu n'arrives pas à croire que c'est toi. Ou de se voir sur un film de vacance. Quand on se regarde dans le miroir, on se voit toujours plus ou moins de face, et toujours en faisant la tête à laquelle on s'identifie le plus, mais qui n'est jamais la plus naturelle. Qui se marre avec naturel devant son miroir ? Qui s'y regarde comme s'il était vraiment en train de parler à quelqu'un d'autre ? Pourtant, c'est aussi une question de miroir, comme de regarder, à quinze ans, l'état de sa peau avant un rencard. Les boutons, les points noirs, les coquilles, les tournures de phrase maladroites. Les chapitres un peu longs, et « pourquoi j'ai écrit ça comme ça ? » 

Il m'a fallu un peu plus de deux ans et demi pour écrire Le poisson pourrit par la tête. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé que ce soit suffisant pour l'écrire exactement comme je voulais qu'il le fut. Mais entre le moment où l'éditeur finit par l'accepter, et celui où il envoie les premières épreuves non corrigées, il s'écoule des mois. Et surtout, des mois sans penser à ce livre. Des mois passés à chroniquer les livres des autres, de la musique, des mois passés à écrire d'autres choses, à tenter en vain d'avancer sur un nouveau roman, des mois à chercher du boulot, à penser à tout sauf à ce livre dont on a l'impression qu'on l'a jeté dans le grand bain : « vas-y, débrouille-toi maintenant » alors que ça ne fait que commencer. 

J'aurais dû couper ça, faire plus court. Et ce moment de rage, quand je vois que quelqu'un a remplacé, « un peu de jalousie » par « quelque jalousie ». Serait-ce de là que ça vient, tous ces mots qui n'existent que dans les mauvais livres ( moult rebondissements, un tantinet mordoré, quelque sentiment mitigé) ? Des blagues que glissent les éditeurs pour vérifier si leurs auteurs relisent vraiment les épreuves ?

Au milieu du livre, je me dis, ça, on pourrait couper, ça, raccourcir… mais… plus le temps... j'ai déjà essayé et…
Et, enfin, la fin du livre. Je suis étonné de ne me comprendre qu'à retardement. De me rappeler ce que j'ai voulu faire. De me dire que j'ai ressenti ce que je voulais que le lecteur ressente. Ce petit effort qui oblige à s'impliquer, et qui fait qu'on est déjà dedans (ou parti ?) quand la fin devient plus facile. La fin comme récompense du voyage entrepris. C'est étonnant de voir tous les éléments que je voulais enlever trouver leur destination, prendre sens. Alors que j'aurais dû le savoir, j'ai écrit ce livre. 

Lorsque j'ai laissé ce matin, à la poste, l'enveloppe qui contenait ces premières épreuves, désormais corrigées, je me suis rappelé le nombre de fois où j'avais déjà envoyé cette volumineuse enveloppe, et où en retour une simple lettre de refus, parfois personnelle, souvent standard, me rappelait qu'il fallait retravailler encore. Maintenant, c'est au Castor Astral de travailler. De corriger encore ces épreuves déjà corrigées, d'aboutir aux secondes épreuves, puis au livre définitif. Et je me suis soudain demandé, si, à l'inverse, je serais le seul pour qui la forme du livre, rapide, plus lent, rapide, aurait l'effet escompté, le seul à ressentir ce soulagement, cette réconciliation, avec le personnage, avec le livre, lorsque la fin s'accélère. 

Patience donc, en espérant que la sortie du Poisson pourrit par la tête, au Castor Astral, en janvier, m'apportera quelques réponses extérieures. 


Post-scriptum : ceux qui auront reconnu mon appartement savent que je suis incapable d'en faire des photos correctes. Celles-ci ont été faites par Drawoua Récréation, qui tient le blog Maman-Baobab, et qui en a parfois marre d'être mon amoureuse. C'est à elle qu'on doit l'existence de ce blog. 

mardi 21 octobre 2014

Laurent de Wilde : des poules et des mouches.

Il ne se passe rien au-delà du périphérique ouest. Pour être franc, l'ouest parisien, déjà... Alors dans le Finistère. Finistère. Penn ar bed. Le bout du monde.  Et au bout du bout ? Brest. Vous imaginez comme il ne s'y passe rien. D'ailleurs, on dit qu'on ne passe pas à Brest, qu'on y vient. Parce qu'après, c'est la mer, et, si on continue tout droit, Saint Pierre et Miquelon. 

Et pourtant, on y vient de plus en plus, notamment les artistes, parfois surpris de la diversité des lieux désireux d'accueillir le spectacle vivant. Quartz, Carène, Mac Orlan, la liste est encore longue.  Mais il fallait quelqu'un pour le dire. Quelques uns, même, dont j'ai le plaisir de faire partie depuis que Julie Lefèvre, Stéphane Debatisse et Natalia Leclerc ont monté le Poulailler. Danse, art contemporain, musique, théâtre, le Poulailler est un webzine culturel général qui apporte à l'effervescence artistique local l'écho qui lui manquait. 

Comme il s'agit d'un partenariat hyper rémunérateur pour moi, mon avocat, mon agent, mon notaire et mon conseiller Crédit Mutuel m'ont conseillé d'accepter la clause d'exclusivité qui m'interdit de publier ailleurs les articles que j'écris pour le Poulailler pendant les 30 jours qui suivent leur parution. 

Or je voulais faire toute la publicité possible au projet Fly, Superfly ! de Laurent de Wilde, Otisto23 et NicolasTicot, dont j'ai chroniqué ici la création à l'Estran, la petite salle dynamique de Guidel, Morbihan. Donc, je vous propose d'aller lire le compte rendu ici. 

Ils le jouent à nouveau le 28 novembre au New Morning, à Paris, et le 29 novembre au Périscope de Lyon. Toutes les infos sur le site de Laurent De Wilde : http://www.laurentdewilde.com/on-tour. Si vous aimez les mélanges jazz électro qui tapent, les créations visuelles éblouissante, ce "mouche, supermouche !" est le truc à ne pas manquer cette année.

Pour ceux qui veulent avoir une idée de comment ça sonne, voici la version studio du morceau flying lips, . C'est trop propre par rapport au concert, et surtout manque l'élément visuel.

MAIS, je ne vais quand même pas vous refourguer uniquement du recyclé de poulailler, hein ? Allez, une petite interview exclusive de Laurent DeWilde :



On retrouve dans l'équilibre entre le gros son et les lignes de piano jazzy et aérienne l'ambiance qu'il y avait au début du drum and bass, chez des artistes comme Kruder et Dorfmeister par exemple…

Otisto et moi venons d’horizons un peu différents. Il était beaucoup plus harcore que moi, à lui Aphex Twin, à moi Amon Tobin, à lui Radio Bomb, à moi Ernest Ranglin. Notre son reflète cette synthèse.

Mais pas Saint Germain ? C'est plus grand public comme référence, mais immanquablement, quand on mélange le jazz et les sons électro…

Oui, c'était un des premiers à le faire, mais ce n'est pas le même climat, c'était beaucoup plus "light", et c'était surtout basé sur des samples.

Justement, une des spécificité de Fly ! c'était que l'ensemble des boucles étaient créées en direct, à partir des sons réels issus du piano. Pour Superfly ! Vous avez eu recours à des featurings, avec Guillaume Perret, le percussionniste Bijane Chemirani ainsi que le beatboxer Nico Giemza Tiko. Sur scène, vous vous autorisez à utiliser des boucles d'eux que vous avez samplées…

Ça fait maintenant sept ans qu'on travaille avec Otisto, et au départ, le truc de créer le son en direct, c'était une façon de montrer qu'on crée dans l'instant, c'est ça le machin, la prise de risque devant le public. Les Américains disent que c'est comme patiner sur de la glace très fine.
Mais le problème de cette approche, c'est la progression que ça impose au morceau. On doit commencer par produire les sons, puis les reprendre, les organiser…. Là, en s'autorisant des samples, on peut directement commencer fort.

Justement, la force du beat, de la pulsation, c'est quelque chose qu'on ressent très fortement dans ce nouveau spectacle.

On avait envie d'un truc qui tape fort, qui fasse un peu bouger la tête. On a joué à différents endroits avec Otisto, à La Réunion, à Pékin et on avait envie de quelque chose qui puisse être reçu partout. C'est aussi un répertoire que j'aime de plus en plus.

Le dispositif du cylindre de tulle est vraiment bien utilisé par Nicolas Ticot, la transparence permet de ne pas vous isoler du public. Pourtant, le fait que vous tourniez le dos, au départ, c'est un peu excluant. En fait, jusqu'à ce que vous sortiez, à la fin du premier morceau, expliquer le dispositif, on se dit « Ah, ok, ils vont nous tourner le dos toute la soirée ». Après, la communication est telle qu'on n'y pense même plus, mais ça colore un peu le premier contact…

En fait, il y a pas mal de contraintes. Il faut qu'Otisto et moi, on puisse se voir. On communique beaucoup pendant le concert, c'est ce qui permet de ne pas tout prévoir, de garder le côté « patiner sur de la glace très fine ». Et il n'y a pas trente six mille façons de se positionner. Tu le vois sur les trios piano, contrebasse, batterie en jazz. Pour que chacun voie les autres et soit vu du public, c'est un vrai casse-tête. Par exemple, si je me positionnais de trois quarts face au public, non seulement on ne verrait plus mes mains, mais il y aurait tout le piano entre la salle et moi. Et c'est quand même un putain de meuble. En fait, la proximité avec le public, elle ne se fait pas seulement avec les yeux.



lundi 20 octobre 2014

Folie dans la Famille, William Saroyan

Folie dans la famille, de William Saroyan, paru chez Libretto, m'a fait passer par toutes les émotions possibles, en à peine 150 pages.


Bien-sûr, j'ai une faiblesse particulière pour les récits de fils d'immigrés. Je suis toujours sidéré d'assister à cet entre deux mondes. Celui de la communauté d'origine, reconstruite dans le pays d'accueil, pour tenir, face à la pauvreté, face au rejet, face au déracinement. Et celui du pays d''accueil, inconscient d'être lui-même le fruit d'un rêve unique porté par les vagues des immigrations successives. Saroyan décrit sa famille, sa communauté, une Arménie en sursis dans la petite ville Américaine de Fresno. Il montre autant de folie que de sagesse, une déraison slave que tempère à peine un fatalisme déjà oriental. Et il montre l'Amérique, celle où chacun se bat pour vingt-cinq cents par jour, puis pour son premier dollar, une Amérique impitoyable, mais où le travail permet de s'en sortir.

Bien-sûr les histoires ont subi la lente transformation mythologique des récits racontés cent fois, déformés, embellis. Pourtant on imagine que la famille Bashmanian ressemble d'assez près à la tribu dont Saroyan s'est extrait à la force de sa plume. Pas d'histoires larmoyantes, pas de leçons. Saroyan écrivait de lui-même : « Je n'élabore pas une intrigue passionnelle. Je ne crée pas de personnages mémorables. Je n'ai pas un joli style, je ne fignole pas une belle atmosphère. [...] J'écris une lettre aux gens ordinaires ; je leur dis dans un langage simple des choses qu'ils savent déjà. »

Chaque nouvelle est racontée à la première personne. Un nouveau narrateur à chaque fois, mais jamais vraiment un narrateur différent. Car tous partagent un solide bon sens qui ouvre leurs yeux sur l'absurdité têtue des comportements familiaux. Mais tous partagent une bienveillance inoxydable, une tendresse, qui ne tournent jamais au jugement et à la condamnation. Saroyan leur offre la parole et leur âme en sort guérie.

Les histoires partent de l'enfance à Fresno et se poursuivent jusqu'à la vie d'après la galère, d'après le succès, même, lorsque derrière les histoires de père divorcé à Paris on devine ces éléments de biographie qu'on connaît : l'alcool, le jeu, les dettes ces palliatifs qui permettent parfois aux doux de survivre ; en les empêchant de vivre vraiment. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin j'aurais aimé ne pas sentir les évitements, les mensonges par omission, les exagérations. J'aurais aimé que la mythologie ne contamine pas le récit. Mais on se dit qu'en moyenne Saroyan ment d'un côté, puis de l'autre, si bien qu'en moyenne, on en retire une sorte de vérité statistique, non biaisée, et la conviction qu'il existe peut-être un chemin vers le réel qui ne passe pas par l'abandon de la mythologie, mais par la moyenne des mythologies multiples.

Et je crois que chacun peut trouver un peu de soi-même dans les errances de ses aïeux, à la manière de William Saroyan, avec la même bienveillance goguenarde qui éclaire le recueil Folie dans la famille paru chez Libretto.

La chronique audio peut être écoutée ici. Le morceau Elegy, d'Arno Babadjanian, compositeur arménien contemporain de Saroyan, sert de fonds sonore à cette chronique. 

 TL ; DR : un recueil de nouvelles, sur les membres d'une famille arménienne en Californie, entre le début du vingtième siècle et les années 70. C'est beau, drôle, bienveillant. 

mardi 14 octobre 2014

[Presque Tous] Mes lecteurs sont des robots !

Mes lecteurs sont des robots. Enfin, presque tous. À la fin de l'été dernier, je lançai en fanfare une série dont j'étais hyper fier, " The Marcel Proust experiment". Je carbure sur le montage, la Bretagne contredit sa mauvaise réputation, l'ordinateur chauffe, crachote, meurt. Le deuxième épisode ne verra pas le jour. Je passe l'été sans bécane, sans publier, triste comme un caillou, et furieux par avance de ce que mon silence éloignerait les lecteurs de "Ce que j'ai pensé de". 

Septembre, nouvelle machine, nouvel article sur le blog, un coup d'œil au stats : rien. Pas de cataclysme. Deux cents vues en moins seulement. 
Pour 4 semaines, ça ne fait cinquante vues par semaine à imputer à des vrais humains. Bien-sûr, il ne faut pas le dire aux éditeurs qui continuent à m'envoyer des livres passionnants, comme le magnifique William Saroyan que je chroniquerai lundi prochain. 

Bien-sûr on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, avoir des milliers de lecteurs fidèles, j'aurais aimé être obligé de recruter une secrétaire à mi-temps pour la modération des centaines de commentaires déposés sur chaque article... Mais ça me rend chacune de vos paires d'yeux plus précieuses encore, et plus sincères aussi les remerciements que je vous adresse. 

lundi 13 octobre 2014

Petit éloge de l'errance, d'Akira Mizubayashi

Petit éloge de l'errance, d'Akira Mizubayashi, dans la collection Folio 2 €, est un livre déroutant et rassurant à la fois. Rassurant parce que déroutant. Il y a quelque chose de rassurant à se dire qu'il existe encore des différences culturelles, qu'il existe encore de l'étrange chez les étrangers, même lorsqu'il écrivent en français. 
On aurait pu s'attendre à des récits de voyage, ou au témoignage d'une vie underground et déjantée, mais l'errance dont parle Akira Mizubayashi exige de nous un déracinement pour se faire comprendre. Alors que nous sommes un peuple d'individualistes qui se lamentent sur l'absence d'esprit collectif, le Japon que décrit Akira Mizubayashi est un corps étatico-moral unique, un animal à sang froid au nom duquel ses habitants se réfugient dans un conformisme mortifère. 

On aurait aimé, nous, enfin, j'aurais aimé, que mon pays respire d'un seul souffle, j'aurais aimé croire qu'en cas de catastrophe nucléaire certains d'entre nous se porteraient volontaires pour décontaminer un site au péril de leur vie. Mais ce que montre Mizubayashi, c'est que c'est ce même esprit de corps, qui après la catastrophe, empêche l'émergence de voix discordantes, la réflexion individuelle au service du collectif. 

La démonstration passe par un éloge étonnant du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, sans doute un peu idéalisé, à la façon dont nous redécouvrons la beauté de notre pays dans les commentaires émerveillés de touristes qui n'en sont pas blasés.  

Les passages où l'auteur s'éveille à cette dissonance entre lui et le collectif renvoient à son enfance, à la honte, à la peur de la différence. Ce sont les plus forts du livre. Ils semblent expliquer les scènes du cinéma de Kurosawa autant qu'être expliquées par elles, et l'on peut relier l'expérience du Ronin qui s'exclut volontairement des ordres de la société japonaise et celle d'un jeune universitaire peu chaleureux qui doit se battre contre les positions d'autorité de grands professeurs et de petits ambassadeurs. 

L'errance dont on souffre parfois, celle qui nous fait pleurer une communauté fantasmée où l'on n'a jamais su trouver sa place, celle qui nous fait envier ceux qui ont trouvé la leur, l'errance qui nous fait dire « ce serait plus facile si je faisais comme eux », c'est aussi celle qui nous empêche de penser comme eux, ceux qui sont nés quelque part, de penser comme ceux qui ne font pas l'effort de penser. Mizubayashi, lui, a dû apprendre à penser contre son corps social pour se faire « habitant solitaire d'un royaume intermédiaire où l'on parle à la fois japonais et français, et en me demandant comment un jour, on pourra faire advenir un monde meilleur plus soucieux de la valeur de chaque voix singulière, et par conséquent, de chaque individu. » 

Il doit exister entre le conformisme et l'individualisme une zone où se pratique ce Petit éloge de l'errance, cher à Akira Mizubayashi et disponible dans la collection Folio deux euros. 

Le fonds sonore de la chronique, que vous pouvez écouter , est assuré par le morceau The Lost voices du DJ Japonais DJ Krush.


TL ; DR : Petit éloge de l'errance, de mizubayashi, en Folio 2 € (seulement 2 euros!) parle de la nécessité de laisser s'épanouir des voix singulières. Ecrit en français par un japonais, c'est un miroir inversé de notre société. Déroutant et rassurant à la fois. À lire. 

lundi 6 octobre 2014

Chercher Proust, de Michaël Uras (avec Christophe Lucquin)

 Dans la sélection du prix des lecteurs du livre de poche, cette année, il y avait une petite pépite.

Chercher Proust, de Michael Uras, publié d'abord par Christophe Lucquin puis disponible au Livre de Poche, était un livre trop délicat pour faire partie du palmarès. Mais il ne faut pas se fier à son titre, car si la passion que le héros ressent pour Proust contamine sa vie, elle ne contamine pas le style de Michael Uras, qui offre une histoire burlesque, imparfaite mais vraiment accessible et attendrissante. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que l'auteur nous en parle lui-même, mais c'est son éditeur Christophe Lucquin, que j'ai eu la chance de rencontrer, et qui mieux que moi, nous donne un aperçu, à travers le parcours de ce livre sympathique, de la fragile existence d'une petite maison d'édition. 

Pour une fois, l'intégralité de la chronique n'est disponible qu'en audio, ici, parce que je n'ai malheureusement pas le temps de retranscrire l'interview de Christophe Lucquin, 

lundi 29 septembre 2014

Un certain Lucas, de Julio Cortazar

Un certain Lucas, disponible en Folio est à la hauteur de ce qu'on peut attendre d'un écrivain qui s'appelle Julio Cortazar. Julio Cortazar. Vous imaginez ? S'appeler Julio Cortazar et devenir employé de banque ou fonctionnaire territorial ? Non.  Son personnage non plus. 

Lucas n'est plus un jeune homme. Mais à soixante-dix ans, il peine encore à unifier les différentes facettes de sa personnalité. Chaque chapitre est un petit épisode de sa vie, présent, ou passé, voire lointain, et une histoire se dessine. Ou plutôt non, un portrait. Mais un portrait cubiste, de face et de profil à la fois. Et encore, le cubisme s'est toujours pris un peu trop au sérieux. Alors que Lucas, lui, est assez taquin pour qu'on le jette dehors, qu'on le roue de coups, qu'on l'insulte, qu'on le conspue... Et c'est qu'il le mérite un peu, parfois. Mais il est si magnifiquement insupportable qu'on sourit, puis qu'on rit franchement. Depuis quand n'avais-je pas ri comme j'ai ri en lisant la façon dont Lucas enseigne l'espagnol à des parisiens expatriés en Argentine ?  
Pour arriver à ce degré de fantaisie, pour sauter de Buenos Aires à Marseille,  il faut probablement écrire au fil de l'inspiration, et Cortazar semble parfois découvrir son livre en l'écrivant. Sauf le milieu de l'ouvrage, qui relève au contraire du calcul le plus cynique. 

L'auteur, comme son héros, est un sacré filou. Je me souviens d'un voyage de travail en ex-Allemagne de l'Est, où l'on nous avait servi des Knödels. Cette véritable insulte à la gastronomie ressemble à une énorme pomme de terre sphérique, reconstituée à partir de divers ingrédients farineux, et qui cache en son cœur une petite surprise. Parfois, un croûton de pain, parfois un lardon unique, parfois un morceau de foie. Une sorte de Kinder surprise du pauvre que les restaurateurs nous apportaient quelque soit le plat que nous commandions. Peu au fait de la logique agglomérative de la langue allemande, nous n'avions pas repéré que Erdapfelknödel ou Kartoffelknödel étaient des Knödels à la pomme de terre. Plus vicieux, Grießklößchen, bien que ne contenant pas le terme de knödel était un knödel à la semoule, au milieu duquel se cachait un morceau de pomme de terre. 

De même, alors même qu'on ne peut trouver nulle part trace du terme Knödel dans le titre de ce livre il abrite un petit croûton surprise. Soudain, plus trace de Lucas, et Julio Cortazar fourgue sans vergogne un petit recueil de textes disparates. Certains sont des instantanés d'identité latine, d'autres des nouvelles dont la poésie, un peu datée, serait celle d'un Boris Vian d'Amérique du Sud. Pour d'autres encore, l'absurde est plus marqué et on pense à un Ionesco mâtiné de réalisme magique. 

Bien-sûr on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ces interludes soient moins inégaux. Mais Cortazar est retors et il sait nous ramener Lucas juste avant que notre attention ne décline. Alors on ne regrette pas d'avoir traversé le ventre mou du livre, car on découvre le pacte magnifique que Lucas propose aux révolutionnaires qui lui reprochent d'écrire de façon trop compliquée pour les foules. «  Si nous renonçons, nous, à la création verbale à son plus haut niveau et le plus raréfié, vous renoncerez, vous, à la science et à la technologie sous leur forme également vertigineuse et raréfiée, par exemple, les ordinateurs et les avions à réaction. Si vous nous interdisez le progrès poétique, pourquoi profiteriez-vous peinard des progrès scientifiques ? » 

On saluera la traduction de Laure Bataillon, également à son niveau le plus haut et le plus raréfié, car elle nous permet de profiter de toute la vitalité de ce Certain Lucas, de Julio Cortazar, disponible chez Folio, un récit sans queue ni tête, mais avec des tripes, du cœur, et une gorge déployée en un long éclat de rire.  


L'audio est ici, pour les une personne et demi qui écoutent les chroniques. Vous savez que plein de mes chroniques et plein d'autres chroniques de livres de poches sont disponibles sur le site Des Poches Sous Les Yeux ?

lundi 22 septembre 2014

Denis Grozdanovitch, Petit éloge du temps comme il va.

Lorsque j'ai reçu ce Petit éloge du temps comme il va, de Denis Grozdanovitch, dans la collection Folio 2 €, je n’ai pas pu m'empêcher de penser qu'on publiait trop de livres et trop peu de littérature. Puis, je me suis demandé si la littérature de commande pouvait faire de la bonne littérature. Les premières pages ne m'ont pas rassuré. Denis Grozdanovitch ouvre sur un faux suspens : pourquoi en français utilise-t-on le même mot pour le temps qui passe et pour le temps qu'il fait ? Comme s'il y avait un mystère à ce que le temps qui passe soit rythmé par les saisons, l'alternance de jour et de nuit, de soleil et de pluie. Par le temps qu'il fait. Quelques souvenirs trop respectueux du sujet renforcent l'impression de lire un bon élève, un très bon élève, de ceux qui aiment les adverbes ronflants, les citations, de ceux que rassurent l'érudition à bon compte. On n'aurait pas aimé, enfin, je n'aurais pas aimé que le livre ne fût que cela. Alors quand Grozdanovitch se perd, quand on sent qu'il sort du chemin qu'il s'était trop bien tracé, c'est avec plaisir qu'on le suit ; détours heureux et fortuits. 

On apprend la bonne façon d'être mauvais joueur, la mauvaise façon de prendre les bonnes drogues, on passe des tours de Manhattan aux plages de l'île d'Ouessant. 

Parfois Grozdanovitch la provoque, cette suspension du temps dont il parle, et les proximités qu'il revendique avec Proust, avec Tarkhovski apparaissent naturellement, évidentes. D'autres fois, il enfonce des portes ouvertes et habille le vent de concepts philosophiques confidentiels, comme la Persuasion de Carlo Michelstaedter, ou inversement de lieux communs illustrés par l'insupportable Alice de Lewis Caroll. Mais ce n'est pas grave, c'est juste une promenade, des Ardennes au musée de la Piscine, à Roubaix, du Pont des arts aux rives de la Tamise, du Mistral à la neige soyeuse, de la pluie, souvent, aux jeux de la lumière à la surface de l'Yonne. Cette petite détente à la Felix Leclerc, cette respiration, c'est un nécessaire rappel de la façon dont on a su, enfant, déchiffrer les nuages, parce qu'à force de compter les saisons, celles qui nous restent sont peut-être déjà plus rares que celles qu'on a laissées derrière soi, et il nous faut alors cette légèreté, pour faire, comme Denis Grosdanovitch dans cette collection Folio 2 €, un Petit éloge du temps comme il va. 

Petit éloge du temps comme il va, de Denis Grozdanovitch, Folio, 2,00 €.

LA version audio est ici, c'est même celui qui l'héberge qui m'a fait remarqué que j'avais oublié de la mettre !

TL ; DR : Un éloge parfois un peu trop sage du temps comme il va, léger, mais d'une légèreté salutaire. 

lundi 15 septembre 2014

Jean-Yves Reuzeau, Jim Morrison, bis, sed non repetita.

Pourtant, c'est bien le même type, le même Jean-Yves Reuzeau. Celui qui avait fait une biographie "objective" de Jim Morrison. Pourtant ce livre aussi, s'appelle Jim Morrison. Mais il est sous-titré. Les portes de la Perception. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé que tout le livre soit sous-titré. Le narrateur, c'est lui ? Qui, lui ? Morrison, Reuzeau lui-même, un des admirateurs fous qu'on croise au Père-Lachaise ? Il faut avoir lu la biographie avant. Ou après. Juste après le texte. Celle que le Castor Astral propose.  Ou juste avant, avec la préface de Michka Assayas. Pour tenter de faire le lien. Les clefs, on ne les a pas. Il faut lire sans toujours comprendre. Mais tu comprends tout à la poésie ? Tu comprends tout aux paroles des chansons, à la magie du son, à l'hystérie des foules, en bas de la scène ? A la tienne, parfois ? Il y a des femmes, les mêmes, ou pas. Mais le même cœur, fidèle, ou pas. Déchiré. Et c'est ce qu'il reste. Après une biographie objective, après l'épuisement des faits. Il reste l'intuition des sentiments. Seulement, passé 27 ans, il ne restait plus personne pour dire « ah ouais, tu m'as lu, c'est exactement ça. Bien joué l'indien. »

Introspection d'un autre, comme un poème. Remettre les phrases bout à bout, faire croire à un récit, faire croire à un texte : mais c'est un chant. Chant du cygne. Ce que Reuzeau montre, il ne le dit pas. Le voit-il seulement ? Le dérèglement. Le cerveau qui ne remet plus les phrases bout à bout, le récit de sa propre vie. Alors qui aura le courage de le dire ? Les poètes brûlent bien, comme l'alcool. Le public y réchauffe son cœur tiède. Il aime la flamme. La fumée. Trouble. Mais quand il se brûle, il s'offusque : le Roi Lézard a montré son serpent ! Et son insatisfaction. Des disques d'or, des femmes, des fans, des flammes . Mais j'aurais voulu être écrivain. Mais faire du cinéma. Mais la jalousie. Mais, au bout, l'overdose. Mais, mais, mais. 

Les Morrisons de Reuzeau, c'est de la première main. Bien-sûr leur génération s'est réveillée groggy, mais, au moins, après avoir rêvé. Mais après l'amour libre. L'espoir psychotropipque. Mais, mais, mais, quand même, après l'ivresse. Jim Morrison ou les portes de la perception, de Jean Yves Reuzeau paru au Castor Astral, nous rappelle que si,  nous, on a commencé par la gueule de bois, on pourrait bien en sortir par la poésie. 




[ edit ] : Voici la version audio, , avec deux jours de retard. 

Note : J'ai une petite sacoche, avec l'enregistreur, que j'emporte partout. Mais aujourd'hui un simple petit fil, celui du casque audio, n'était pas du voyage. On fait des sacs, on pose des sacs, on défait des sacs, on refait des sacs on porte des sacs, on repose des sacs. Et parfois, on oublie un petit fil et il n'y a pas de version audio de la chronique. 

lundi 8 septembre 2014

Jim Morrison, par Jean-Yves Reuzeau

La biographie de Jim Morrison que Jean-Yves Reuzeau propose chez Folio réussit un tour de force :  nous faire  sentir que ce qui paraît aujourd'hui un peu ridicule, ce type torse nu dans un pantalon de cuir avec des filles qui hurlent à ses pieds, en 1967 c'était de la subversion pure.  « Celui qui se réconcilie avec l'autorité se met à en faire partie »

Jean-Yves Reuzeau propose une biographie à l'américaine, factuelle, aussi exhaustive que possible. Il sacrifie le lyrisme à la clarté, et pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée, il va chercher toute la matière brute disponible. A commencer par ce camion renversé, ces cadavres d'indiens, et James Douglas Morrison, qui n'a que 4 ou 5 ans. Rappelé, remanié, invoqué, ce souvenir sera à l'origine de sa fascination pour le chamanisme, de la construction progressive de son personnage de Roi Lézard. Parallèlement, le rythme des déménagements de son père militaire, le déracinement, l'impossibilité de s'attacher, développent chez Jim Morrison l'habitude de regarder les autres avec la distance d'un entomologiste. Pour voir les réactions de ses camarades, il danse sur les rambardes, face au vide, comme il le fera sur le bord de la scène. Mais l'attention est aussi une drogue et Reuzeau fait ressentir le besoin d'augmenter les doses. Autant que l'écoute, Jim Morrison provoque le regard, puis les réactions, puis l'hystérie, jusqu'à devenir ce sex-symbol qu'il ne peut ni rejeter, ni supporter. Les histoires d'amour sont aussi marquées par cette impossibilité à trouver la juste distance. 

Malgré la bienveillance de Reuzeau, Jim Morrison apparaît comme un enfant égaré, que ni son intelligence, ni sa sensibilité, ni la culture littéraire subversive qu'il entretient avec frénésie n'aident à entrer vraiment en contact avec les autres. L'alcool fait passer le courant, mais quand les fils se touchent c'est toujours à l'intérieur, là où Morrison atteint la transe chamanique, même s'il y emporte ceux qui se trouvent de l'autre côté de la scène. Break on through to the other side.  Et lorsqu'il les fait monter près de lui, lorsqu'ils se touchent enfin, c'est le concert de Miami, excessif, sur lequel les versions divergent, et peu importe, car la descente est amorcée, et celui qui a l'habitude des substances sait  qu'aucun trip ne peut durer toujours sans que le cerveau ne finisse par cramer. Sans doute, comme celui de Jim Morrison, d'abord petit à petit, à force d'alcool, de coke, de sexe et de sentiments excessifs, et puis  d'un coup, enfin, une nuit de 1971, dans les toilettes d'une boîte de nuit parisienne. 

En moins de cinq ans, les Doors ont sorti six albums studio et un album live. En moins de 400 pages Jean-Yves Reuzeau décrit la trajectoire d'une météorite. Parce qu'il a travaillé dans le monde de la musique, notamment pour le label des Doors, parce qu'il est à la fois écrivain et éditeur, Jean-Yves Reuzeau parvient à exprimer ce qui fait la différence entre les artistes et les bons artisans : cette incapacité à compter, à mesurer les conséquences, à se sauver du génie qui les consume ; cette compulsion à se donner à ceux qui les admirent, totalement, sans jamais garder en réserve l'énergie de durer assez pour ceux qui les aiment. 

Si bien qu'après avoir lu cette biographie de Jim Morrison, par Jean-Yves Reuzeau, disponible chez Folio, on se demande si on doit les envier ou les plaindre. 

Je n'aurai pas le temps cette année de faire des fichiers audio à chaque fois, mais là, il y en a un ici grâce à sa majesté Le Rouille. 

Jim Morrison, par Jean-Yvez Reuzeau, Folio Biographies. 9,40 €

TL ; DR : Une putain de biographie de Jim Morrison, avec plein d'infos et peu de blabla, qui permet de comprendre le Roi Lézard, mais aussi la fin des années soixante, le sexe, les drogues, tout ça. 





vendredi 25 juillet 2014

Vacances Forcées


Je n'ai jamais aimé cet ordinateur. Il était un reproche matériel quotidien, une preuve tangible que parfois mon cerveau est sensible au marketing le plus brutal. Acheter un ordinateur portable pour la "qualité de ses haut-parleurs, avec subwoofer intégré pour un meilleur rendu des basses."


Excusez-moi ? Les basses avec un subwoofer de 4cm de diamètre en dessous de l'ordinateur ? Super, j'achète, et ensuite, je regretterai jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Pas la mienne, mais celle du Samsung R720 qui a dû me coûter à l'époque 800 beaux euros. L'époque... comme si ces bécanes tenaient longtemps. Même pas 4 ans. "Mais estime toi heureux, c'est pas si mal". 

Ça a commencé par le ventilateur, pas assez puissant. Je chauffe, je chauffe, je chauffe, et je coupe tout. Puis, un petit problème d'installation de drivers, et windows qui refuse de se lancer.

Enfin, il est parti de chez moi comme il y était entré : grâce à ma capacité à faire de mauvais choix. " J'ai qu'à l'ouvrir pour nettoyer le ventilateur. J'ai démonté intégralement ce traître, dépoussiéré le ventilateur, et... manifestement bousillé l'écran.

Pas de blog jusqu'à ce qu'une machine accepte de ne pas mourir entre mes mains. 

Cela-dit, le disque dur est intact, je pourrai récupérer les rushes des épisodes 2 et 3 de la Proust Experiment. En attendant, bonne vacances à tous, profitez-en pour lire des bons livres.