Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 10 novembre 2014

Réparer les Vivants, Maylis de Kerangal, [Audio-book]

Gallimard sort dans la collection Écoutez lire le dernier roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, lu par son auteur. Au prix de 21,90 euros, soit trois de plus qu'en version papier . 

Il y a quelques années, ma mère lisait et enregistrait des livres pour une association de mal-voyants, et depuis il ne m'était pas venu à l'idée que les livres lus s'adressaient en fait à n'importe qui. Par exemple, à ceux qui doivent faire de longs trajets en voiture. Avant, je lisais en conduisant. Soit en plaquant ma voiture contre la glissière centrale de la quatre-voies et en me guidant aux étincelles qui jaillissaient contre la portière passager, soit, en ville, à l'oreille, en faisant de l'écho-location avec les insultes des piétons et les coups de klaxon des automobilistes. Le livre audio permet une conduite plus sérieuse. 

Le sujet du livre, d'abord, n'exhale pas vraiment le doux parfum de la rigolade. Réparer les vivants décrit les étapes du don d'organe, du prélèvement à la greffe. Le ton de Maylis de Kerangal, ensuite. Sa lecture lente, presque dépourvue d'intonation, n'impose à l'auditeur aucune interprétation. Le problème est que pour conduire de nuit, ce ton monocorde annule quasiment l'effet des canettes de boissons énergisantes qui font gling-gling contre le porte-gobelet une fois qu'on les a vidées. Du coup, on les jette par terre pour éviter le bruit, et la voiture ressemble à une poubelle, mais ça n'a rien à voir avec l'histoire. Encore que. C'est après un accident de la route que Simon Limbres, un jeune homme de dix-neuf ans, se retrouve dans un coma avancé. Description clinique du parcours de son cœur d'un corps dont on retarde artificiellement la mort, pour un autre dont on prolongera chirurgicalement la vie. Mêmement chirurgicale, l'écriture de Maylis de Kerangal, avec ses phrases nominales et ses adverbes précieux. Ultra-documentée, précise, dépourvue de toute pitié, Maylis de Kerangal n'épargne pas le lecteur-auditeur. Chaque fois qu'on se demande quel plaisir elle prend à nous faire vivre cette horrible vérité, on poursuit, comme s'il s'agissait d'un entraînement, d'une préparation qui nous rendrait plus apte, soit à supporter une épreuve de ce genre, soit à soutenir ceux qui auraient à l'affronter dans notre entourage. 

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que les aspects fictionnels aient autant de force que la description des processus hospitaliers. Pourtant, chaque personnage a sa dynamique, son caractère et j'ai mis un certain temps à comprendre ce qui m'a gêné. C'est qu'il n'y a pas que la lecture de Maylis de Kerangal qui soit monochrome. Tous les protagonistes reflètent les mêmes nuances de gris et de noir. Personne ne rigole, jamais. Ni les proches, ni les infirmières, ni les chirurgiens. Mais on sait que les salles de garde résonnent de ces blagues grasses et de ces rires qui sont moins de joie que de décompression. Où sont-elles ces respirations ? Elles sont nécessaires aux personnages, pour survivre, mais aussi au lecteur, pour poursuivre. 

La scrupulosité de Maylis de Kerangal est à la fois la force et la faiblesse de ce récit, parce qu'elle porte le sujet dans toute sa gravité, mais n'apporte pas l'élan qu'il faut pour le dépasser. Ainsi le livre se termine de façon abrupte, par ce que les anglo-saxons appelleraient un anticlimax, comme si la vérité documentaire éteignait la tension romanesque. À tel point que je me suis demandé s'il manquait un fichier. On a alors envie d'ouvrir la fenêtre, et l'air s'engouffre dans la voiture, fait voler les papiers et les canettes qui se remettent à faire gling-gling, dissipant à peine la lourde tension qui nous tient maintenant éveillé, nous évite l'accident et la nécessité de Réparer les vivants, selon le processus que nous raconte Maylis de Kerangal dans cette collection Écoutez lire, chez Gallimard.  




La chronique audio est disponible ici, et vous aurez reconnu en font sonore greatings from Tuskan, dont je réutilise ici le morceau beautifully painful.

TL ; DR : Maylis de Kerangal décrit, dans Réparer les vivants, les étapes d'un don d'organe. Très documenté, mais trop monochrome triste pour être tout à fait touchant. 

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