Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 26 mai 2014

Le Joli mois de mai, d'Émilie de Turckheim, au Livre de Poche.

Le Prix des lecteurs du Livre de Poche, avec un à-propisme certain, a inclus à sa sélection du moins de mai le dernier livre d'Emilie de Turckheim, Le joli mois de mai.

Dès les premiers mots, le narrateur, Aimé, s'adresse à nous en disant qu'il ne sait pas raconter les histoires. On commence souvent comme ça quand le soir devant un feu de bois on se raconte des  histoires effrayantes pour faire le malin devant les copains. Tout le monde sait que l'histoire, ce sera rien que des menteries, mais tout le monde fera semblant d'y croire parce que tout le monde a envie de se faire peur, de trouver un prétexte pour se rapprocher les un des autres, et tout le monde sera ensuite content d'avoir passé ce moment ensemble. 

Émilie de Turckheim est bien trop intelligente pour qu'on croie vraiment à son personnage de simplet. Il s'appelle Aimé et parle non comme un idiot, non comme un paysan, mais plutôt de la façon dont les citadins intelligents pensent que parlent les idiots de la campagne. Et pourtant on s'en fiche, et pourtant, on marche. Émilie aime tellement Aimé qu'on se met à l'aimer aussi. Son patron, Monsieur Louis, vient de mourir, et son testament stipule que le domaine de chasse, la maison, les étangs, doivent revenir  à cinq de ses clients réguliers. On entre dans le livre et dans la tête d'Aimé au moment où il les accueille un à un en attendant le notaire. Chaque personnage vient occuper sa place dans la fable, s'installe dans son rôle comme dans le fauteuil de monsieur Louis, qu'Aimé leur a pourtant défendu d'utiliser, et on devrait crier à la caricature, au conte simpliste et moralisateur, mais on est toujours autour du feu, et on se laisse aller. Notamment parce qu'Émilie de Turckheim trouve une langue spécifique pour chacun des personnages. 

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé que leurs histoires personnelles ne soient pas entièrement tournées vers la résolution finale de l'histoire, mais on se plaît à voir Aimé nous cacher les informations qu'il détient, comme on prend plaisir à entendre son enfant dire : "Papa, c'est interdit de rentrer dans ma chambre" parce qu'on sait qu'il est en train de nous préparer une surprise, un dessin ou un château en Légo, et qu'il y met tout son cœur. 

Comme dans un conte, la dichotomie est marquée, les gentils sont très gentils, les méchants très méchants, et, sans dévoiler la fin, on se doute assez rapidement que les méchants seront punis et les gentils récompensés. On accepte l'absence de véritable surprise parce que le titre ne nous a pas fait miroiter une grande fresque, et qu'on peut lire Le joli mois de mai, en une soirée, devant le dernier feu qu'on fait avant que la chaleur du printemps ne s'installe pour de bon. On le refermera alors à la nuit tombante, avec un petit sourire cruel et attendri, content d'avoir crû à cette histoire d'Emilie de Turckheim le temps d'un Livre de Poche.  

Le Joli mois de mai, Émilie de Turckheim, au Livre de Poche, et pour 5,10 €, on va pas se priver. 

La chronique audio est disponible ici, mais je n'ai plus le droit de remercier SR qui l'héberge il trouve ça lourd, à la fin. La musique de fond c'est Royskop, de la dansante electro scandinave. 

TL ; DR : Le propriétaire d'un domaine de chasse meurt. Son domestique accueille ceux à qui il lègue le domaine. Règlement de comptes moralement satisfaisants : un conte agréable. 



lundi 19 mai 2014

Les fidélités successives, de Nicolas d'Estienne D'orves, disponible au Livre de Poche. [ MODIFIEE]

Les fidélités successives, de Nicolas d'Estienne d'Orves sont disponibles au Livre de Poche. Elles sont à la littérature ce que la diététique est à la gastronomie. Il ne suffit pas d'avoir une liste d'ingrédients pour être un grand cuisinier.

Nicolas d'Estiennes d'Orves a pourtant choisi avec soin tous les critères du best-seller populaire.

D'abord, il mêle des personnages historiques aux personnages de fiction. Ceux-là apporteront sans doute à ceux-ci la crédibilité qu'une psychologie insuffisante n'a pas permis de leur offrir. Ainsi Guillaume Berkeley rencontrera dans le Paris de la collaboration et de la résistance, Jean Cocteau, Brasillach, Drieu La Rochelle...

Ensuite, il utilise des procédés littéraires simples. Il commence par une mise en abyme poussive, puis il change de narrateur en affectant la forme d'un journal ou d'une confession.

Ajouter des dialogues lui permet d'étirer le roman sur des pages, dans cette langue que personne n'utilise dans la vie courante mais qui n'est pas pour autant une sublimation littéraire ou symbolique. Comme un élève appliqué, il essaie d'utiliser le verbe « dire » le moins possible et ses efforts virent souvent au grotesque. Les anglais appellent ces verbes des Said-bookism, des substituts de dire qu'on ne voit que dans les livres. Le malheur..., a grogné Victor en contemplant cette faune gourmande qui se gobergeait.

Oui, Nicolas d'Estiennes d'Orves ajoute ensuite des participes présent, des adverbes. Il aime aussi les termes qu'on n'utilise pas dans la vie courante et dont il semble croire qu'ils font littérature. Comme les enfants attachent au cadre de leur vélo une carte en carton qui frotte contre les rayons de leur roue arrière parce que « ça fait moto ».

Enfin,  l'auteur enchaîne les coups de théâtre, en s'appuyant sur les revirements de Guillaume Berkeley,  de la collaboration molle à la résistance modérée, du marché noir à la prison, ce qui lui permet d'insérer les figures imposées de la série télé que sont les épisodes de torture et les scènes de procès. Mais un retournement de situation est réussi quand il est à la fois inattendu et a posteriori inévitable. Ici, ils sont téléphonés et dépourvus de crédibilité. Pourquoi ? Parce qu'ils ne reposent que sur des sentiments individuels et que la psychologie des personnages ne tient pas debout. Estiennes d'Orves construit son livre à l'envers : il a effectué un énorme travail de documentation, mais c'est elle qui induit l'intrigue, qui à son tour force les protagonistes à se plier à des péripéties dépourvues de saveur. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que les personnages aient du goût, que l'histoire soit croustillante, que la langue soit cuisinée à la sauce piquante.


Avec les mêmes ingrédients, Marek Halter a su mitonner sa formidable Inconnue de Birobidjian. Nicolas d'Estienne d'Orves, lui, commence par la fin de la recette, et Les fidélités successives, parues au Livre de Poche, ressemblent à un pudding de 760 pages, il y en a sûrement qui aiment ça, mais au final c'est tout à fait indigeste. 

Les fidélités successives, de Nicolas d'Estiennes d'Orves, 8,60 € au Livre de Poche.

Je me suis servi pour la chronique audio, disponible ici de Nostalgie, un Fox Trot interprété par Gus Viseur et son orchestre. 

[EDIT] Cette chronique a été modifiée suite à des commentaires justifiés : trop de remarques sur la façon (forme du roman, procédés, style) et zéro info sur l'histoire. J'ai à peine modifié pour cette chronique, mais je ferai plus attention à cette chronique pour les suivantes. Pour les curieux, l'ancienne version est ici,

TL ; DR : Nicolas d'Estiennes d'Orves décrit le parcours d'un jeune homme déboussolé entre collaboration et résistance. Tout est expliqué par les sentiments individuels, qui ne cessent de changer, pas ma tasse de thé. 

mercredi 14 mai 2014

Comment marche ce que j'ai pensé de...

On frôle les mille vues par mois alors c'est peut-être utile de rappeler quel fonctionnement j'essaie de mettre en place.

D'abord, un livre par semaine, autant que possible. La chronique, sauf accident nucléaire, est postée le lundi soir.

C'est le minimum syndical. Si je trouve le temps, si j'ai des choses à dire, je peux faire d'autres chroniques dans la semaine, mais la chronique de livre, avec l'audio et tout, c'est le lundi.



Ensuite, la chronique type.


Le titre, l'auteur, l'éditeur. Normalement, ces mentions sont cliquables et renvoient sur le site de la maison d'édition. Comme je fais beaucoup de Poches, j'essaierai aussi de penser à mettre le premier éditeur. Après tout, c'est lui qui prend tout le risque de la première publication.


Ensuite, le texte de la chronique. La seule ligne de conduite est de dire ce que j'ai pensé du livre et pourquoi, c'est à dire en argumentant autant que possible, éventuellement avec des aspects techniques. J'essaie de ne pas tenir compte de la maison d'édition, ou de la biographie de l'auteur. Parfois, j'échoue. Par exemple, le dernier livre d'Emmanuel Carrère est un bon roman, mais ma chronique est plutôt réservée parce que j'ai trop lu d'Emmanuel Carrère pour ne pas ressentir que la mise en scène de l'auteur tient un peu de la recette. Et je suis trop impliqué affectivement concernant la Russie pour adhérer au personnage de Limonov.


Chaque chronique reçoit un ou plusieurs libellés, ce qui permet de faire des filtres rapides, par exemple si vous voulez toutes les chroniques Des poches sous les yeux, ou toutes les chroniques pour une maison d'édition donnée. 

Ensuite, un lien redirige vers la chronique audio. La plupart des chroniques sont proposées à des radios, principalement Radio Béton, pour la formidable rubrique Des poches sous les yeux. Parfois pour Canal B, dans l'émission l'Ardoise, notamment pour les (rares) interviews. Tous les mp3 sont hébergés par mon ami presque belge SR. J'essaie de penser à donner le titre des morceaux que j'utilise pour l'habillage sonore, mais j'oublie très souvent.

Derrière cela, il y a le résumé. Sur internet, lorsqu'un "post" est trop long, on dit parfois : Too long ; didn't read (trop long, j'ai rien lu). La partie TL;DR est donc le résumé rapide de la chronique, pour ceux qui veulent se faire une idée en un coup d'œil.



Pour suivre ces chroniques, plein de choix :

- La page facebook de cequejaipensede annonce normalement tous les billets.Vous pouvez aussi cliquer sur "j'aime"  sur cette page. Plus j'ai d'exposition, plus il me sera facile de diversifier mes sources d'approvisionnement en livres. 

- Vous pouvez suivre ce blog sur google+, mais personne n'utilise google+. 

- On me dit aussi parfois : mais pourquoi on reçoit pas de mail quand tu publies un nouveau billet ? Tu crois qu'on n'a que ça à faire, de venir voir si tu as posté un truc, ou d'aller sur facebook ? Tu crois qu'on a autant de temps que toi ? Tout le monde n'est pas chômeur. Oh pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire, je suis sûr(-e) que tu vas retrouver du travail, même si c'est la crise et que tu as un CV disons, enfin tu vois. Mais regarde les choses du bon côté, tu as plus de temps pour lire et écrire...

Bref, pour éviter ces moments embarrassants, vous pouvez entrer votre adresse mail dans le petit formulaire "être informé par mail", tout en haut dans la colonne de droite de ce blog. 


Pour les commentaires, depuis que j'ai vu tout ce que le site demande comme information pour simplement déposer un commentaire, j'ai décidé de les modérer, ainsi, vous pouvez laisser des commentaires en tant qu'anonyme. Pensez alors à mettre des initiales ou un surnom si vous voulez que je sache qui vous êtes. Les commentaires font plaisir, même si je suis conscient qu'ils demandent un peu de temps et que vous en passez déjà pas mal lire ou à écouter. 

Enfin, je suis en train d'étudier comment héberger les mp3 sur une plateforme podcastable avec Itunes ou juice. Est-ce que cela a intérêt pour vous ? Pour écouter les chroniques sur un téléphone portable par exemple ? Ou bien le clic droit "télécharger le lien sous" suffit ? 

Si vous avez des questions sur le blog, les commentaires sont là pour ça. J'hésite à ajouter les critiques des livres que je lis à mon fils et des rares bandes-dessinées que je lis. Faites moi savoir si vous y verriez un intérêt ou non. 

Merci encore de votre fidélité, c'est très encourageant. 









lundi 12 mai 2014

Limonov, d'Emmanuel Carrère, disponible chez Folio (publié en premier lieu chez POL).

Emmanuel Carrère parle, dans Limonov, son dernier livre paru chez Folio, autant de Limonov que d'Emmanuel Carrère. Il faudrait réussir à ne parler que du livre mais je n'y arrive pas. Emmanuel Carrère n'est pas un auteur parmi d'autres, c'est l'auteur de l'Adversaire, l'auteur qui a affaiblit la fiction dans le roman, mais sans qu'on y prête garde, sans le nombrilisme excessif de Catherine Millet ou de Christine Angot, avec un talent et une sensibilité qui le placent au-dessus de la critique. 

Mais ce qui faisait la force de l'Adversaire est aujourd'hui ce qui fait la faiblesse de Limonov. Plus exactement, c'est ce qui l'empêche d'être un livre sensationnel.  Car comme toujours, Emmanuel Carrère écrit avec précision et légèreté, comme toujours on sent la maîtrise et le lâcher prise d'un écrivain dont la langue maternelle n'est pas le français, non, mais le très bon français, le français littéraire au quotidien. 

Le véritable sujet du livre est finalement ce hiatus social entre Edouard Limonov et Emmanuel Carrère. Limonov a très jeune la conviction de mériter mieux que ce qu'on attend de lui, mieux que ce que son père, tchekiste terne et lâche, accepte d'une Union Soviétique triste et déclinante. Mais il a aussi la peur de ne pas être assez dur pour ça.
Carrère au contraire, a toujours l'anxiété de ne pas vraiment mériter ce qui lui arrive, juste parce qu'il n'a rien fait pour être bien né. Il semble alors envier de Limonov précisément ce qu'il ne faudrait pas envier : la jeunesse grise et triste, les galères, les années de plomb d'une dictature léthargique, et l'hypersensibilité, celle qui engendre une souffrance telle qu'on s'affranchit de la contrainte morale. 

Lorsque Limonov franchit les mauvaises lignes jaunes, les mauvaises frontières, que ce soit avec les milices serbes d'ex-Yougoslavie ou avec des filles de plus en plus jeunes, Emmanuel Carrère donne des éléments de contexte, il dézoome, il ne détourne pas la caméra, soit, mais il passe en plan large, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ce soit plus pour expliquer que  pour excuser.

Mais si Emmanuel Carrère n'avait pas été le modèle, celui de qui on souhaitait apprendre le métier,  aurait-on été aussi agacé de le voir parsemer son texte de gros mots comme un adolescent qui croit que dire bite ou chatte le rend aussi rebelle qu'un Limonov après la prison et le camp de travail ? Non. Bien-sûr que non. On lui aurait été reconnaissant de cette description enfin juste de la Russie qu'on a tant aimée dans les années 90 ; on aurait salué qu'enfin un auteur français explique aux occidentaux pourquoi les russes ont raison de détester Gorbatchev ; on aurait frémi de plaisir à reconnaître le Moscou interlope des années 2000, et on se serait incliné devant une telle capacité à nous faire comprendre un personnage aussi complexe, polymorphe, insaisissable que Limonov. 

Il faut donc faire ce qu'Emmanuel Carrère n'a pas su faire : oublier Emmanuel Carrère. et ne retenir de Limonov, disponible en Folio, que la vie chaotique, pitoyable, grandiose et pathétique d'Edouard Savenko désormais non seulement célèbre, mais enfin connu sous le nom d'Edouard Limonov.

Limonov, d'Emmanuel Carrère, disponible chez Folio pour 8,40 €. Originellement publié chez POL. 

L'audio de cette chronique est disponible ici, grâce à sa majesté SR. La musique de fonds est un morceau du musicien russe Dolphin (mais je n'ai pas retrouvé la pochette de mon CD, donc, pour le titre, je chercherai si demande dans les commentaires).

TL;DR : Emmanuel Carrère écrit une biographie d'Edouard Limonov, de sa jeunesse dans l'URSS terne des années 60 à la fondation du parti national bolcheviste en passant par les années de galère glamour new-yorkaises et parisiennes. Un excellent livre, mais l'auteur pourrait s'effacer un peu. 

lundi 5 mai 2014

La place, d'Annie Ernaux, Chez Folio.

La place est un récit d'Annie Ernaux, disponible chez Folio Poches. C'est avec ce livre qu'elle a été distinguée pour la première fois d'un prix littéraire. C'était le Prix Renaudot, en 1984. 

Tout ce dont Annie Ernaux se réclame aujourd'hui était déjà dans La place : la description sans fard d'une réalité sociologiquement choisie. Aujourd'hui elle dit " la réalité des invisibles." 

Dans La place, il s'agit de la réalité quotidienne de ses parents, qui tiennent un café épicerie dans une ville moyenne de Haute-Normandie.

Le récit est pareil à la vie qu'ils mènent, entièrement placé sous le signe de l'économie. Dans les deux cas, c'est l'économie qui permet de sortir de sa condition. Pour les parents, grimper un barreau de l'échelle sociale : ne plus être ouvrier. Pour l'auteure, éviter ce qui, du monde où elle a fini par entrer, l’exclurait immédiatement : le mauvais goût.

Le livre est réussi mais il décrit l'échec, les échecs. D'abord celui du père.

Mon père voulait honorer mes amies et passer pour quelqu'un qui a du savoir-vivre. Il révélait surtout une infériorité qu'elles reconnaissaient malgré elles, en disant par exemple, « bonjour monsieur, comme ça va-ti ? ».

Puis l'échec du roman :

Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d' « émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. [...]
Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.

Pourtant cette écriture plate est une réussite. Énigmatique. Annie Ernaux écrit comme Catherine Deneuve jouait dans Belle de jour. Une voix blanche, un non jeu énervant, agaçant, insupportable, mais hypnotique.

L'échec enfin vient de ce que l'extraction de sa classe sociale semble impossible. Reste l'Obsession : «  Qu'est ce qu'on va penser de nous ? » (les voisins, les clients, tout le monde).

Annie Ernaux nous livre la clé de son style empêché, privé de tout ce qui dépasse, de toute fantaisie, triste et beau comme le visage de Charlotte Rampling.

Bavard au café, en famille, devant les gens qui parlaient bien il se taisait, ou il s'arrêtait au milieu d'une phrase, disant « n'est-ce pas » ou simplement « pas » avec un geste de la main pour inviter la personne à comprendre et à poursuivre à sa place. Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d'aussi mauvais effet que de lâcher un pet.

On était tout de même heureux, dans La place , le récit d'Annie Ernaux, paru en Folio, parce qu'il le fallait bien, mais sous le bonheur on devine la crispation de l'aisance gagnée à l'arraché, et on referme l'ouvrage avec l'envie de serrer l'auteure dans les bras, de lui dire qu'il n'y a pas d'existence qui se mérite, mais qu'on a le mérite d'exister.

L'audio est ici, grâce à sa majesté SR, sur un fonds sonore composé par tomuks, dont vous pouvez retrouver les morceaux, en attendant qu'il finisse son projet de ouf (vas-y mec). 

TL;DR : Annie Ernaux décrit la vie de ses parents, petits commerçants haut-normands. L'économie de moyen est totale, et on a presque honte d'aimer lire ce qui semble presque la gêner de nous livrer. 


jeudi 1 mai 2014

Sélection du mois de mai du Prix des lecteurs du livre de Poche

Sélection du mois de mai du Prix des lecteurs du livre de Poche, (et rappel du mois d'avril.)

J'attendais un autre colis, j'ai donc été surpris de trouver la sélection de mai pour le Prix des lecteurs du Livre de Poche.

Emilie De Turckheim, Le joli mois de mai. 
Natasha Salomons, le Manoir de Tyneford.
Valérie Gans, Le bruit des silences. 
Nicolas D'estenne D'Orves, Les fidélités successives. 

Sérieusement : "Le bruit des silences" ? "Les fidélités successives" ? Je décrète officiellement fermée la saison des oxymores dans les titres, merci de transmettre aux éditeurs (eeeh, oui, pour un livre publié, c'est d'ordinaire l'éditeur et non l'auteur qui a le dernier mot sur le titre).


J'ai récemment découvert Culturez-vous, le blog de Sébastien Almira, qui me racontait qu'après avoir été juré du même prix il y a deux ans, il avait ressenti une certaine lassitude. Sur le coup je me suis dit "Ouais, c'est un libraire, il est blasé de recevoir des bouquins gratuitement". Et je commence à le comprendre.

Pourtant, l'exercice est intéressant parce que cette lassitude vient de ce qu'on est moins surpris en mai qu'en février des sélections de livres qu'on reçoit. On finit par saisir une ligne, et celle du Livre de Poche n'est pas tout à fait celle à laquelle je m'attendais. En fait je ne m'attendais à rien, je lisais sans regarder le nom de l'éditeur. Surtout pour du poche. J'ai commencé à regarder les lignes éditoriales des maison, non en tant que lecteur, mais, vanité utilitariste, quand j'ai commencé à chercher un éditeur pour mon premier roman.

Le Livre de Poche me paraît populaire, mais probablement pas de gauche. Et plutôt féminine. Plutôt française qu'étrangère, plutôt bien pensante que destroy. Et pour le moment, pas très rigolote.

Pour ce prix des lecteurs, j'ai déjà chroniqué les titres suivants :

Swamplandia, de Karen Russel. Pas mal du tout, malgré un ventre mou et des promesses non tenues.

La demoiselle des Tic-Tac, de Nathalie Hug. Bien trop sage à mon goût.

Yellow Birds, de Kevin Powers. La guerre d'Irak, la seconde, de l'intérieur, superbe et horrible.

Canal Mussolini, d'Antonio Pennacchi. Passionnant, dérangeant, un style physique et paysan, dément.

Le Problème Spinoza, d'Irvin Yalom. Un livre de propagande pour la psychanalyse, j'ai détesté.

L'unité de Ninni Holmqvist. Un petit livre noir d'anticipation, trop linéaire, fade, mal écrit (ou mal traduit ?)

Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. Un beau livre noir, une écriture très physique, j'ai adoré.



Et je n'ai pas chroniqué Partages, de Gwenaelle Aubry, qui m'est tombé des mains, malgré trois tentatives de lecture complète.

Bref, je passe pas mal de temps sur ce prix des lecteurs du Livre de Poche alors que pour un livre sur deux, je me force un peu pour le lire en entier.

La chronique de lundi sera donc un bol d'air puisque je parlerai sans doute de La place, d'Annie Ernaux, disponible chez Folio.


PS : pas d'audio pour ces annonces intermédiaires.