Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 29 avril 2013


Ce que j'ai pensé de 14 de Jean Echenoz, paru aux éditions de Minuit.

Il est toujours difficile d'apprécier une mélodie quand on est allergique au son de l'instrument qui la joue. Je ne parviens pas apprécier certaines œuvres de Bach, ni la majorité des pièces de César Frank, parce que le son de l'orgue me fatigue après quelques mesures. Il en va de même de la langue de Jean Echenoz. J'écoute les critiques littéraires saluer la sobriété de cette écriture, la concision de son propos, sa pudeur, sa délicatesse, et je me demande s'ils sont sincères.

Cela ne date pas du dernier roman de Jean Echenoz, 14, paru aux éditions de minuit. Je me souviens d'avoir lu un autre de ses romans, Lac. Deux fois. À la seconde lecture, au bout de quelques pages, je me suis dit « mais j'ai déjà lu ça ». J'étais pourtant incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Je crois que si je relisais 14 dans un mois, j'aurais cette même impression. Et dès lors que l'intellect n'est plus endormi par le plaisir de lire, il titille, revient à la charge et demande :
  • Pourquoi Jean Echenoz a-t-il écrit ce roman ?
  • A-t-il voulu dire quelque chose sur la guerre de 14 ?
  • Sur l'année 1914 ? Sur l'époque, sur la guerre en général ?

La sobriété tourne au procédé, il ne s'agit plus d'une écriture à l'os, mais d'une écriture squelettique, à mes yeux, à mes oreilles surtout, tout juste vivante. Les quelques rebondissements m'ont semblé accessoires, porteurs d'une valeur d'exemple, juste démonstratifs. À force de ne pas se vouloir spectaculaire, le roman ressemble à ces fleuves lisses et opaques dont on peine à croire que leur eau provienne de torrents de montagne.

Certains critiques ont parlé d'Anthime, un des cinq personnages principaux du roman, comme s'ils l'avaient accompagné eux-même de l'usine au front. Mais je n'ai jamais senti la vie d'Anthime, je n'ai retenu son prénom que parce qu'il est désuet, et celui de Charles qu'à cause d'un coup de théâtre microscopique et artificiel. Je n'ai jamais vraiment vibré, jamais pleuré, jamais eu peur lorsque Echenoz plonge ces hommes sacrifiés dans les profondeurs de cette guerre dont je dois reconnaître qu'on ressent très fortement l'absurdité. On la sent dans les odeurs de gaz ou de blessure, dans les retours inaboutis, dans le monde dans lequel nous vivons et qui n'en finit pas de découler des conflits du 20ème siècle. Mais les tics d'écriture d'Echenoz ne m'ont par permis de rester plongé dans cette absurdité. Sa manie d'attribuer aux objets une volonté - les meubles ont des habitudes, la neige décide de tomber- ou les renvois de sujets à la fin des phrases, ou les suivantes qui commencent par un participe, tous ces procédés nuisent à la suspension d'incrédulité et à mon plaisir de lecteur.

Parfois, Echenoz semble oublier de se surveiller, de bien se conduire, de se conduire tout court. C'est en général lorsqu'il parle de Blanche. Comme si devant le seul personnage de femme, il mettait son humilité au placard, sa volonté de faire sobre, de faire bien, comme s'il décrivait juste une créature fascinante, ambiguë, qu'il ne comprend pas vraiment et dont l'amour ne semble pas être une donnée fixe, mais une respiration. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'Echenoz étende cette respiration à tout le livre, qu'il ouvre les fenêtres de son roman, qu'il sacrifie sa réputation d'écrivain concis à l'élan qu'aurait mérité le récit de ces vies sacrifiée. Bien-sûr, on est reconnaissant à Echenoz d'avoir évité l'épopée, la fresque épique, les scènes de bravoure.

Mais la respiration manque. Peut-être que l'auteur de Tesla et de Ravel a voulu faire trop court, et que 14 se retrouve coincé par sa concision, comme ces mers trop étroites et dans lesquelles les forces combinées de la lune et du soleil ne parviennent pas à faire naître des marées dignes de ce nom.


Une chronique enregistrée pour l'émission wake up call, sur Canal B.
L'audio par ici. 
https://soundcloud.com/mgoussu-michel/wucmatthieu2013-04-21-echenoz

TL ; DR : Un récit de la guerre de 14. Le style sec de Jean Echenoz tourne à la supercherie, on peut se dispenser du livre, même si sa brièveté rend sa lecture possible. 

jeudi 25 avril 2013

Les lisières, D'olivier Adam.


Ce que j'ai pensé des Lisières, le roman d'Olivier Adam, paru aux éditions Flammarion.

Le dernier roman d'Olivier Adam est touffu. il semble, comme son narrateur, vouloir tout embrasser : l'intime et le social, le psychologique et le romanesque, le particulier et le général, comme s'il peinait à se définir. C'est peut-être parce qu'Olivier Adam y raconte l'impossible construction de l'identité dans ces franges floues de notre société, qui sont pourtant en train d'en devenir la norme : les lisières, les bordures, de l'autre côté des rocades et des périphériques, ces zones d'habitation plus que de vie, dont on essaie de changer le nom régulièrement - banlieues, quartiers - à défaut de pouvoir en changer la nature.

Il faut l'hospitalisation de sa mère et les appels culpabilisants de sa famille pour que le narrateur se rende dans la ville où il a passé son enfance et son adolescence. Et le fossé qui le sépare de ceux qui sont restés résonne comme une accusation. L'écrivain doit se débattre avec la mauvaise conscience de ceux qui s'en sont sortis, en butte aux reproches à peine voilés des autres, ceux qui ne voient l'auteur que comme un parvenu oisif qui se contente de décrire la dure réalité qu'ils doivent, eux, vivre, au quotidien.

Pourtant, ces reproches ne pèsent pas lourd dans le malaise qui s'installe au fil du livre. Ce qui pèse, c'est l'incompréhension, le rendez-vous manqué. Parce qu'il pense que les existences normales méritent d'être racontées, que les classes moyenne et populaire sont un sujet de littérature, Olivier Adam est souvent caricaturé par ses pairs : écrivain engagé, écrivain social, pire, écrivain populaire, et trop rarement écrivain tout court. Mais populaires, ses livres ne le sont précisément pas auprès des anciens camarades qu'il retrouve. « Tout le monde n'a pas envie de se prendre la tête comme toi. » Même lorsqu'il évoque les franges les plus accessibles de son travail, les films qui sont adaptés de ses livres, le narrateur reçoit : « Tout le monde n'a pas envie de se prendre la tête comme toi. »

Il y a dans cette phrase terrible toute la fatigue des gens épuisés, mais aussi leur manque de curiosité, leur passivité, leur fatalisme face à la vie périphérique, sans perspective, sans espoir. Mais le filtre social dont Olivier Adam a hérité de Bourdieu et d'Annie Ernaux ne suffit pas. Il faut regarder quels livres se vendent le plus, quels films remplissent les salles, pour comprendre que le social ne peut expliquer à lui seul ce sentiment de non-appartenance, ce sentiment d'étrangeté que ressentiront toujours les individus les plus sensibles. Double sentiment d'étrangeté, ici. Le narrateur est devenu étranger aux gens qu'il a fuis, mais est resté étrange pour ceux qu'il a rejoints.

C'est d'ailleurs sur ce sentiment d'étrangeté qu'Olivier Adam articule l'équilibre délicat entre la fiction et la réalité. On sait que lui aussi a quitté la banlieue pour Paris, puis, comme le ferait toute personne sensée qui en a les moyens, Paris pour la Bretagne. Mais c'est la fiction qui lui permet à la fois de dire sans dénoncer, de décrire en essayant de ne pas les éclabousser les personnes dont il s'inspire et d'évoquer le pire - le divorce, Alzheimer, la Dépression, la mort, le rejet. Mais la fiction chez Olivier Adam incorpore assez de réel pour qu'on ne se sente pas floué, qu'on ne se dise pas, « je pleure pour Paul Steiner qui n'existe pas, alors que mon voisin de palier m'insupporte.» Reste qu'à vouloir lier la fiction et le réel, Olivier Adam manque parfois de détachement. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, que cet équilibre entre la fiction et le réel s'accompagne d'un style plus léger, moins bavard. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'Olivier Adam laisse plus de place aux autres personnages, qui, malgré l'empathie qu'il a pour eux, nous semblent, dans ce roman poignant autant que dans dans leur existence, cantonnés aux lisières.

C'était une chronique de Michel Goussu pour l'émission Wake Up Call.
A écouter / Télécharger ici. 



mardi 23 avril 2013

Tombé hors du temps, de David Grossman, aux éditions du Seuil.


Ce que j'ai pensé de Tombé Hors du Temps de David Grossman, paru aux éditions du Seuil.

Quand j'étais plus jeune, j'étais obsédé par l'idée de passer à côté d'un grand auteur. Je voyais tout ce qu'il fallait lire tout ce qui avait été écrit, tout ce qu'on écrivait, tout ce qu'il faudrait lire. Très vite, j'ai fait le choix de lire tout Camus mais de survoler Sartres, de lire Balzac en entier mais de me contenter de l’assommoir. Puis je fus pris d'un vertige immense en réalisant que la littérature était mondiale et j'ai tenté de lire tout Dostoievski, jusqu'à l'indigestion. On aurait voulu, enfin j'aurais voulu tout lire pour pouvoir enfin choisir quoi relire. Mais je n'étais pas assez fauché pour découvrir un critère terriblement prosaïque qui permet de savoir qu'on est en face d'un auteur qui nous transporte, d'un auteur qui nous aide à vivre et qui nourrit notre âme. En lisant « Tombé hors du temps » de David Grossman, je me suis dit qu'il était incroyablement dommage que l'état actuel de mes finances ne me permette pas d'acheter l'intégrale de son œuvre traduite et de la lire d'une traite, caché dans une chambre, ou assis sur un banc, près d'un lac ou face à l'océan.

Pourtant, Tombé hors du temps, paru aux éditions du Seuil, a tout pour effrayer. David Grossman y reprend le thème de son précédent roman : la perte d'un enfant. Mais dans « Une femme fuyant l'annonce » il retraçait la vie de l'enfant pour lequel on tremble, la vie de ses parents, la vie comme force de lien entre eux et lui. Et la perte de l'enfant était là comme une menace, comme la fin tant redoutée vers laquelle le roman et l'héroïne semblaient se précipiter en espérant la fuir.

Ici, la perte de l'enfant est le début de toute chose. Elle est cette lumière noire qu'il est impossible de regarder en face. La forme du livre également aurait dû m'en rendre la lecture pénible. Depuis mes indigestions romantiques, je n'aime plus la poésie, celle qui essaie de faire passer les couchers de soleil pour des aurores boréales et le spleen du désœuvrement pour la plus profonde douleur humaine. En lisant « Tombé hors du temps », pourtant, je me suis rappelé ce que la poésie était la seule à pouvoir faire : exprimer l'indicible. La perte de l'enfant est cette douleur indicible, cette mort à l'envers, cette entorse à l'ordre des choses. Et quand cette perte insondable affecte une population entière on ressent une force absurde que ni le roman ni l'essai ne pouvaient attaquer de front. Une femme fuyant l'annonce décrivait les paysages de Palestine avec tendresse, et les lumières, les arbres et les chemins adoucissaient la folie de cette mère à la porte du deuil. Mais ici Grossman ouvre la porte en grand et ne parle plus que de ça, plus que de l'infaisable deuil. Plus d'Israël, plus de conflit, sinon entre ceux qui refusent de penser à leurs enfants dans un néant inconcevable et ceux qui ne peuvent vivre dans un ici et maintenant qui exclurait un au-delà où leurs enfants partis puissent continuer à être, à vivre quelque chose, même s'il s'agit d'une longue mort sans eux.

On pense au joueur de flûte en voyant ce père marcheur, qui entraîne tous les esclaves de leur deuil face à cette muraille qui sépare les deux mondes. On pense à Beckett dans le maniement de la langue contre l'absurdité de l'existence. On pense à l'auteur, tel qu'il se décrit en centaure fusionné à son bureau d'écrivain, et au travail de titan qu'a dû lui demander le livre.

Je l'ai relu trois fois, ce livre, sans jamais pouvoir retenir mes larmes. Il n'y a pourtant aucun dolorisme, aucune martyrologie dans cet ouvrage inclassable, et lorsqu'on le referme, la gratitude l'emporte sur la peine qu'on a cru un instant entrevoir, un instant partager avec ces parents amputés de leur descendance. Mon fils n'est pas mort, et c'est fort de cette chance revivifiée que je trouve la force d'affronter les difficultés de l'existence. C'est à cela que devrait servir la littérature, c'est à cela que nous aide celle de David Grossman. Oui, les mots, les livres nous aident à affronter la mort, nous aident à affronter la vie.

C'était une chronique de l'émission Wake-Up Call.

L'audio est disponible à l'adresse suivante : 

https://soundcloud.com/mgoussu-michel/wuc-matthieu-2013-04-21 

TL ; DR : La poésie est la seule voie possible pour parler de l'indicible : la mort d'un enfant. Entre tragédie antique,poème lyrique et récit déchirant, un livre fou, original et bouleversant.

dimanche 21 avril 2013

Hammer Of The Gods, de Stephen Davis


Auteur : Stephen Davis
Traducteur : Philippe Paringaux
Éditeur : Le Mot et le Reste

Je suis de la génération qui a tué le Rock, celle qui de Cure à DJ Shadow en passant par NTM et Wu tang Clan a ringardisé les guitar-heroes. La première fois que j'ai entendu Led Zeppelin, c'était pour le concert de Live Aid. J'avais dix ans et je voyais à la télévision ce que les années quatre-vingt faisaient de pire. J'ai cru pendant des années que Stairway to Heaven était une chanson niaise et que Robert Plant avait toujours sautillé avec une nuque longue, un tambourin à la main, et une chemise en soie bleu. La batterie floue de Phil Collins, le solo raté qui semblait pourtant mettre la foule en délire, pour moi, Led Zeppelin relevait de l'escroquerie. Le rock à guitare pour ma génération ce serait Nirvana, ce serait Rage Against The Machine, qui me semblerait sortir de nulle part. Pour comprendre qu'avant d'être caritatif, Led Zeppelin avait été charismatique, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. En 1993, pourtant j'avais acheté, pour l'objet, un vinyle bizarre des albums IV et V, trouvé dans les bacs du disquaire d'état de feu l'Union Soviétique. Led Zepppelin était inscrit en lettres cyrilliques et les titres des chansons étaient traduits pour le marché russe. Black Dog, jusqu'à la fin des temps, s'appellera pour moi Tchiornaia Sabaka. J'avais alors compris. Stairway to Heaven n'était pas qu'une ritournelle romantique, que des adolescent boutonneux jouaient, toujours mal, pour draguer des filles de l'âge de Lori Maddox à la grande époque. J'avais compris mais je n'avais rien senti. Pour palper l'hystérie que provoquait le dirigeable plombé, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. Stephen Davis nous la fournit, en se servant du marteau des dieux pour nous ramener de force à cette époque où le rock était Epic ou Atlantic, à cette époque où le rock se nourrissait de l'énergie profonde d'un changement radical de la société.
Le livre de Davis est un monument et il faudrait plus d'une émission pour parler de la carrière du Zeppelin, mais je voudrais mettre en lumière ce qui était resté dans l'ombre, au moins pour moi, avant la lecture de Hammer of the gods.
Et c'est d'abord tout ce qui se passe avant Led Zeppelin qui m'était étranger. L'ambiance de fanatisme blues qui agitait Londres dans les années soixante. Comment Jeff Beck, Clapton, Jimmy Page émergent de ce même magma comme d'une brume du delta, comment ils se respectent, se défient. Jimmy Page, et sa vie de guitariste studio, qui lui apprend dans le même temps son art et le sens du business. Le sens du fric, même, et un certain cynisme qui lui permettra de mener une OPA sur les Yardbirds, cadavre qui donnera naissance à Led Zeppelin. Ce contraste entre les londoniens Page et Jones, professionnels, presque cérébraux, et Bonham et Plant, plus naïfs, plus provinciaux circule à travers tout le livre. Le courant ne cessera de passer entre ces deux pôles, modifiant sans cesse l'équilibre précaire entre le romantisme bon enfant et les dérives autodestructrices, entre la recherche mélodique et les saccages de chambre d'hôtel, entre l'intégrité artistique poussée à son maximum, on pense aux pochettes d'albums ou aux relations avec la presse, et un lamentable exil fiscal qui signera le début du pétage de plomb. Mais ce courant sera tellement fort qu'il est trop faible de dire qu'il électrisait son public : il l'électrifiait comme une décharge létale, qui laissait les salles, les équipes de roadies, les managers cramés comme des fusibles sans disjoncteur.
C'est l'autre merveille du livre de nous offrir les portraits de Richard Cole et de Peter Grant. On ne mesure pas l'importance qu'a eu ce dernier sur le fonctionnement de l'industrie musicale. On a du mal à imaginer aujourd'hui qu'un ancien ouvrier métallurgiste  ancien videur de boîte de nuit, ancien catcheur, ancien cascadeur puisse devenir le manager le plus influent de toute la scène rock, mais à l'époque où le livre de Davis nous transporte, ce genre de choses était possibles. D'ailleurs tout semble possible, à cette époque. Le meilleur comme le pire. Le sida n'existe pas, la prospérité économique et la drogue se développent main dans la main, et on on ne mesure encore la nocivité ni de l'une, ni de l'autre. Mais tous ces excès ont encore un goût de première fois. Un goût de révolution.
Bien-sûr, le livre de Stephen Davis pousse parfois l'indulgence un peu loin. Bien-sûr, il y a un côté enfant-gâté insupportable chez ces types qui passent leur temps à baiser des groupies en disant que leurs femmes leur manquent. Bien sûr l'attirance morbide pour l'occultisme grotesque d'Alister Crowley nous parait aujourd'hui plus ringard qu'inquiétant. Bien-sûr, la rage d'amasser des monceaux de dollars quitte à se priver dans l'exil de leurs familles respectives nous fait plus penser à Johnny Halliday qu'a l'énigmatique Robert Johnson, influence Blues revendiquée par tous les passagers du Zeppelin.
Mais on ne peut s'empêcher de penser que la mort de John Bonham ne signe pas seulement la fin de Led Zeppelin, mais la fin d'une époque. L'entrée dans les années 80, c'est le début de rien et la fin d'une époque. Lorsqu'en 1992, adolescent, je découvre le titre Wake Up, de Rage Against The Machine, après des années à me guérir de la new wave avec l'émergence du rap ou de la techno, ça me semble sortir de nulle part. Mais il faut écouter l'une après l'autre l'intro de wake up et celle de Kashemir sur Physical Graffiti pour comprendre que Led Zeppelin n'a jamais cessé d'influencer le rock, et que l'esprit de sédition et d'excès sincère qu'il véhiculait peut s'éclipser mais qu'il ne disparaît pas. Jamais.  


PS : L'audio de cette chronique ne peut pas être mis en ligne car les (courts) extraits de son que j'y propose sont sous copyright... [EDIT] : Vous pouvez écouter la chronique à cette adressehttp://www.divshare.com/download/24026457-ef8


TL ; DR : L'épopée de Led Zeppelin. Foisonnant, passionnant, nécessaire. 

mercredi 17 avril 2013

Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman



Vous vous souvenez du premier grand livre que vous ayez vraiment aimé ? Je me souviens de ce dilemme atroce. L'envie et le plaisir poussent à dévorer les mots, les lignes, les pages. Mais lire vite, c'est s'approcher de la fin, quand vous quitterez les personnages, à jamais. Ce moment où vous serez forcé d'admettre qu'il ne s'agit que de personnages, de personnages de romans, qu'ils ne vous connaissent pas, que vous ne pourrez jamais les serrer dans vos bras. Combien de fois ai-je voulu serrer dans mes bras cette femme fuyant l'annonce ? Combien de fois ai-je eu envie de lui demander pardon, pour mon incapacité à savoir ce que ressent une mère, pour l'injustice avec laquelle je peux juger la mienne ou celle de mon enfant. Ora erre, Ora fuit les messagers qui viendraient lui dire que son fils ne reviendra plus. Tant que personne ne peut la trouver, personne ne peut lui apporter la nouvelle, alors la nouvelle ne peut arriver. Elle marche pour protéger son fils. Elle parle pour protéger son fils. Elle parle à son ancien amant, Avram, Avram, l'ancien ami, l'ami de son mari Ilan. Avram, Ilan, Ora, adolescents cloués en quarantaine et découvrant la mort pendant que dehors résonnaient déjà les échos de la guerre israëlo-arabe, la deuxième. Mais peut on vraiment compter les guerres ? Cette région du monde sait-elle seulement ce qu'est la paix ? Grossman ne délivre pas de message politique, simplement il décrit la vie de tous ceux qui s'adaptent à cet état de crise permanent. Ora n'est pas une passionaria, elle n'est pas une activiste, elle n'est pas une mère pour la paix, mais elle n'est pas une va-t-en guerre. C'est comme si elle savait que si la guerre continue, ce n'est pas parce que l'ennemi fait peur, mais parce que la vie fait peur. Parce que ce grand pays disparate, mosaïque de langues et de culture ne tient, des deux côtés peut-être, que par l'effort commun contre l'ennemi. Mais ce n'est pas de cela que le livre parle.
Ou c'est de cela et de tellement d'autres choses. Parfois, on ne veut pas en dire trop pour ne pas dévoiler l'intrigue. Mort au spolier. Mais là, ce qui pousse au silence, c'est la pudeur. Est-ce que je parlerais à la radio de la façon dont mon ami a décidé de « vivre sans but » après que ses tortionnaires égyptiens l'ont enterré vivant ? Est ce que je parlerais à la radio de la façon dont son meilleur ami a délaissé la femme qui lui avait tout pardonné ? Je ne veux pas les exposer, je ne peux pas aller à l'encontre de la pudeur que fait naître l'amitié. Et vous comprendrez pourquoi en les rencontrant, parce qu'une fois qu'ils seront aussi vos amis, votre famille, vous n'aurez pas envie d'en parler sans trouver les mots justes, Et je ne peux pas trouver les mots justes. Parce que je n'ai pas le talent de David Grossman.

Mais je peux parler de ces paysages qu'on découvre avec eux, des chemins de terre et de sable qui sont aussi la Palestine. De ces sources auxquelles on voudrait remplir sa gourde avant de rattraper Ora et Avram, eh, attendez-moi, je veux la suite de l'histoire. De ces montagnes qui se découpent au loin, un matin, et qu'il faudra gravir le jour suivant. Je peux parler des asphodèles, des térébenthes atlantiques, des chardons, et des chiens errants dans les oliveraies. Comme cette petite chienne blessée, qui se détache de la meute qui les a attaqués pour finalement suivre Ora et Avram. Et on finit par croire qu'elle aussi protège ce fils au combat, on finit par croire que chaque pas tisse une couverture contre les balles, les bombes, les chars, contre l'absurde et contre la mort. On finit par lire que chaque pas tisse à nouveau les liens de l'amitié que l'horreur distend parce qu'il faut bien continuer à vivre, et pour cela, s'éloigner de l'insupportable, il faut qu'Ora et Avram continuent à marcher, continuent à parler, à raconter ce fisl, son frère, cette famille, ce pays, cette histoire, parce que c'est bien eux, et plus David Grossman, qui racontent cette histoire dont on redoute la fin. Alors je me suis rappelé la peur de la fin. La peur que j'avais en finissant l'Idiot, de Dostoievsky, ou chaque volume de Proust, en finissant le Don paisible. Parce qu'un bon livre rend heureux quand on le lit, un bon livre rend triste quand on le termine. Et c'est parce que je suis triste de savoir que jamais je ne serrerai ni Ora, ni Avram, ni ces fils, ni leurs pères, c'est parce que je suis triste de savoir que je ne suis qu'un lecteur parmi d'autre de ce chef d’œuvre de David Grossman que je suis heureux de vous le présenter.

C'était une chronique de Michel Goussu pour l'émission wake up call.

On peut encore écouter le fichier audio ici.

TL ; DR : Le récit poignant d'une mère qui pense qu'en fuyant l'annonce de la mort de son fils, elle empêche cette mort qu'elle croit inéluctable. Un portrait d'Israël autant que de cette femme, et de l'utopie qu'a pu être ce pays avant l'absurdité de l'occupation d'aujourd'hui. UN PUTAIN DE CHEF D’ŒUVRE, VU ?

Inauguration

Nous sommes le 17 avril 2013, il est 19h39, vous pouvez vous asseoir.
Je teste la plateforme blogger pour diffuser les chroniques des livres que je lis. Certaines ont été ou seront diffusées sur la radio Canal B, dans l'émission Wake Up Call. D'autre, parce qu'elles ne concernent pas l'actualité de la littérature, ne seront publiées qu'ici.

Le format choisi est trop long, les œuvres pas toujours les plus connues, il n'y a pas de cohérence entre les choix littéraires, et il n'y a pas de périodicité prédéfinies pour la publication de me billets. Il paraît qu'il faut tout ça pour fidéliser un lectorat, on verra.

Merci d'avance de votre lecture et des éventuels commentaires que vous voudrez déposer.