Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 29 avril 2013


Ce que j'ai pensé de 14 de Jean Echenoz, paru aux éditions de Minuit.

Il est toujours difficile d'apprécier une mélodie quand on est allergique au son de l'instrument qui la joue. Je ne parviens pas apprécier certaines œuvres de Bach, ni la majorité des pièces de César Frank, parce que le son de l'orgue me fatigue après quelques mesures. Il en va de même de la langue de Jean Echenoz. J'écoute les critiques littéraires saluer la sobriété de cette écriture, la concision de son propos, sa pudeur, sa délicatesse, et je me demande s'ils sont sincères.

Cela ne date pas du dernier roman de Jean Echenoz, 14, paru aux éditions de minuit. Je me souviens d'avoir lu un autre de ses romans, Lac. Deux fois. À la seconde lecture, au bout de quelques pages, je me suis dit « mais j'ai déjà lu ça ». J'étais pourtant incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Je crois que si je relisais 14 dans un mois, j'aurais cette même impression. Et dès lors que l'intellect n'est plus endormi par le plaisir de lire, il titille, revient à la charge et demande :
  • Pourquoi Jean Echenoz a-t-il écrit ce roman ?
  • A-t-il voulu dire quelque chose sur la guerre de 14 ?
  • Sur l'année 1914 ? Sur l'époque, sur la guerre en général ?

La sobriété tourne au procédé, il ne s'agit plus d'une écriture à l'os, mais d'une écriture squelettique, à mes yeux, à mes oreilles surtout, tout juste vivante. Les quelques rebondissements m'ont semblé accessoires, porteurs d'une valeur d'exemple, juste démonstratifs. À force de ne pas se vouloir spectaculaire, le roman ressemble à ces fleuves lisses et opaques dont on peine à croire que leur eau provienne de torrents de montagne.

Certains critiques ont parlé d'Anthime, un des cinq personnages principaux du roman, comme s'ils l'avaient accompagné eux-même de l'usine au front. Mais je n'ai jamais senti la vie d'Anthime, je n'ai retenu son prénom que parce qu'il est désuet, et celui de Charles qu'à cause d'un coup de théâtre microscopique et artificiel. Je n'ai jamais vraiment vibré, jamais pleuré, jamais eu peur lorsque Echenoz plonge ces hommes sacrifiés dans les profondeurs de cette guerre dont je dois reconnaître qu'on ressent très fortement l'absurdité. On la sent dans les odeurs de gaz ou de blessure, dans les retours inaboutis, dans le monde dans lequel nous vivons et qui n'en finit pas de découler des conflits du 20ème siècle. Mais les tics d'écriture d'Echenoz ne m'ont par permis de rester plongé dans cette absurdité. Sa manie d'attribuer aux objets une volonté - les meubles ont des habitudes, la neige décide de tomber- ou les renvois de sujets à la fin des phrases, ou les suivantes qui commencent par un participe, tous ces procédés nuisent à la suspension d'incrédulité et à mon plaisir de lecteur.

Parfois, Echenoz semble oublier de se surveiller, de bien se conduire, de se conduire tout court. C'est en général lorsqu'il parle de Blanche. Comme si devant le seul personnage de femme, il mettait son humilité au placard, sa volonté de faire sobre, de faire bien, comme s'il décrivait juste une créature fascinante, ambiguë, qu'il ne comprend pas vraiment et dont l'amour ne semble pas être une donnée fixe, mais une respiration. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'Echenoz étende cette respiration à tout le livre, qu'il ouvre les fenêtres de son roman, qu'il sacrifie sa réputation d'écrivain concis à l'élan qu'aurait mérité le récit de ces vies sacrifiée. Bien-sûr, on est reconnaissant à Echenoz d'avoir évité l'épopée, la fresque épique, les scènes de bravoure.

Mais la respiration manque. Peut-être que l'auteur de Tesla et de Ravel a voulu faire trop court, et que 14 se retrouve coincé par sa concision, comme ces mers trop étroites et dans lesquelles les forces combinées de la lune et du soleil ne parviennent pas à faire naître des marées dignes de ce nom.


Une chronique enregistrée pour l'émission wake up call, sur Canal B.
L'audio par ici. 
https://soundcloud.com/mgoussu-michel/wucmatthieu2013-04-21-echenoz

TL ; DR : Un récit de la guerre de 14. Le style sec de Jean Echenoz tourne à la supercherie, on peut se dispenser du livre, même si sa brièveté rend sa lecture possible. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.