Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 24 novembre 2014

L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera [Audio book]

L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera, dans la collection Ecoutez Lire de Gallimard, est une excellent surprise. La lecture de Raphaël Enthoven, d'abord. Il accentue toutes les émotions, et de manière conventionnelle. On se dit que ça ne devrait pas marcher. Mais comme il surjoue un petit peu, on n'est pas sujet à l'ennui d'une lecture monocorde. Et comme il joue ces émotions de manière très convenue, il nous laisse la liberté d'être touché à notre façon par les mots de Kundera.

Le livre, ensuite. J'ai toujours trouvé que le statut de chef d'œuvre de l'insoutenable légèreté de l'être était usurpé. J'avais tort. Et pourtant, je l'avais déjà lu deux fois, et vu le film trop librement inspiré du roman. Mais je l'avais lu trop tôt. Et toute la finesse du livre m'était cachée par le souvenir de la longue évocation d'une femme qui sent l'odeur du sexe d'une autre dans les cheveux de son mari adultère. La femme, c'est Thérésa, une jeune fille maltraitée par sa mère, et uqi voit en son mari, le chirurgien Thomas, une planche de salut. Thomas est amoureux d'elle, mais ça ne suffit pas à ce qu'il interrompe ses amitiés érotiques, notamment celle qu'il entretient avec Sabina. De laquelle Franz est amoureux, ce qui lui révèle la vanité de sa vie conjugale. Cette partie vaudevillesque du livre m'avait, adolescent, ennuyé, lassé, et un peu dégoûté. Je n'y avais pas vu la préparation de l'autre versant du livre, le versant politique.

Une fois qu'on s'est attaché aux petites aventures de ces personnages si humains, lorsqu'un régime tellemnt inhumain tente de les réduire au silence, on est démuni, incapable de se protéger de l'absurdité soviétique qui envahit le roman. La force de Kundera est de ne pas grossir le trait, de ne pas sur-écrire l'héroïsme, de ne pas faire de ses personnages autre chose que ce qu'ils sont : des gens réels attaqués par une dicature déréalisante. L'angle de Kundera sur la répression de Prague est un angle esthétique. Le kitsch est l'art de la négation de la complexité du réel, un art qui veut faire coller la réalité au modèle, et non l'inverse. En ce sens, le soviétisme post stalinien est l'aboutissement du Kitsch.


La réalité, au contraire, est pleine de détours, de zones d'ombre, de hasards. Pour Kundera, dont les personnages évoluent sans cesse entre la nécessité d'un Es Muss Sein, « Il le faut », et la contingence des hasards qui les rapprochent, la capacité de voir la beauté dans l'émergence de cet aléatoire est une capacité de résistance face à l'absurdité du monde. Alors, lorsque l'Union Soviétique impose une réalité qui n'a plus rien de réel, Kundera lui répond avec des personnages qui n'ont plsu grand-chose de fictionnel. On s'attache, on tremble, on espère une fin heureuse. Kundera ne joue pas avec le suspens, ou alors, jamais très longtemps, mais il parvient à surprendre sans cesse. La portée philosophique de ce que je n'avais vu que comme une rêverie libidineuse est justement renforcée par cet air de ne pas y toucher, cette absence d'esprit de sérieux. Et la fin, même, parvient à concilier avec une habileté éblouissante, la satisfaction romanesque du lecteur et l'inaccomplissement du réel. Contre le kitsch, la réalité s'impose, finit par s'imposer, toujours, avec ses détours, sa noirceur, et dans la noirceur, de nouveaux détours, comme cette collection Écoutez lire de Gallimard, sans qui les longs trajets que le réel m'impose ne seraient que du temps perdu, tandis qu'ils deviennent, en compagnie , par exemple, de L'insoutenable légèreté de l'être, de Milan Kundera, lu par Raphaël Enthoven, des promenades littéraires qui relient des personnes que j'aime, toujours réelles et toujours fictionnelles, parce que contre l'insoutenable légèreté, il ne nous reste guère que le romanesque.  

Cette chronique est inspirée d'une improvisation enregistrée en conduisant, lors d'un de ces trajets qui font que ma voiture sur la 4-voies est une sorte de domicile non fixe pour moi. On peut l'entendre ici, grâce à SR, qui héberge tous mes fichiers audio.  

TL;DR : L'insoutenable légèreté de l'être, c'est le soviétisme kitsch contre le réel volage et complexe. Un chef d'œuvre à côté duquel j'étais passé adolescent. La lecture de Raphaël Enthoven rend l'écoute facile et n'empêche pas de se faire un ressenti de lecteur. 

lundi 17 novembre 2014

Xavier Belrose offre une nouvelle vie au Serpent à Plumes.

Seule image disponible : photo de profil
Le Livre de Poche avait fait les choses en grand pour la remise du prix des lecteurs 2014. L'Hôtel Potocki, ce n'est pas exactement la cafétéria de la fac de Villetaneuse. Dans la salle de réception, les jurés, lecteurs et libraires peuvent côtoyer le gratin de l'édition1. Xavier Belrose en faisait partie en tant que directeur commercial du Cherche-midi. Mais plus pour longtemps, puisqu'il a décidé de reprendre le Serpent à plume. Il faut de l'audace pour reprendre une maison d'édition, il faut du pragmatisme et du professionnalisme pour que cela fonctionne. Xavier Belrose oscille entre les deux depuis le début de sa carrière. « J'ai choisi l'édition parce que j'aime la musique. J'ai choisi de ne pas aller dans le disque parce que j'avais pas envie de vendre des merdes. » Dans l'édition, sa vision est plus pragmatique « Je vends des livres, c'est mon métier. » C'est dit sans cynisme. « Heureusement, j'ai choisi, et je n'ai pas vendu que des merdes. J'en ai vendu. Pas beaucoup. » On veut bien croire qu'il n'ait pas eu à se compromettre beaucoup : il a commencé chez Autrement et Calmann-Levy avant de d'entrer au Serpent à Plume, où il a travaillé pendant quatre ans. Avant que la maison ne se fasse racheter « dans des conditions un peu dégueulasse : on s'est tous faits virer ». Dix ans après, Xavier Belrose est directeur commercial du Cherche-midi, et il apprend que le groupe qui détient le Serpent à plume est en train de l'étouffer faute de compatibilité éditoriale, un boa étouffe doucement sa proie, sans avoir à la mordre. Avec Pierre Bisiou, ils décident alors de reprendre la maison. Avec quelle ligne éditoriale ? Quand on lui parle de ligne éditoriale, Xavier Belrose parle d'abord des auteurs, de la convivialité particulière qui régnait au Serpent. Et il parle de ceux que les directeurs éditoriaux ne mettent pas toujours en avant, les graphistes, les correcteurs. On mesure alors le travail titanesque pour répondre aux attentes, immenses, des lecteurs et des auteurs nostalgiques de la meilleure époque. Avec prudence, Xavier Berlrose prévient qu'il faudra sans doute attendre le début du deuxième semestre 2015 avant que ne paraisse le premier ouvrage du nouveau Serpent à plumes. Comme des écoliers déjà lassés de l'école dès la Toussaint, on se dit : vivement Juillet.

L'interview complète ne dure que 8 minutes, elle est disponible ici, et ça vaut le coup, pour ressentir l'enthousiasme du monsieur. [EDIT LE SON SEMBLE REPARE]



1Bon, on ne m'a pas laissé saluer Francis Esmenard, faut quand même pas déconner.

lundi 10 novembre 2014

Réparer les Vivants, Maylis de Kerangal, [Audio-book]

Gallimard sort dans la collection Écoutez lire le dernier roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, lu par son auteur. Au prix de 21,90 euros, soit trois de plus qu'en version papier . 

Il y a quelques années, ma mère lisait et enregistrait des livres pour une association de mal-voyants, et depuis il ne m'était pas venu à l'idée que les livres lus s'adressaient en fait à n'importe qui. Par exemple, à ceux qui doivent faire de longs trajets en voiture. Avant, je lisais en conduisant. Soit en plaquant ma voiture contre la glissière centrale de la quatre-voies et en me guidant aux étincelles qui jaillissaient contre la portière passager, soit, en ville, à l'oreille, en faisant de l'écho-location avec les insultes des piétons et les coups de klaxon des automobilistes. Le livre audio permet une conduite plus sérieuse. 

Le sujet du livre, d'abord, n'exhale pas vraiment le doux parfum de la rigolade. Réparer les vivants décrit les étapes du don d'organe, du prélèvement à la greffe. Le ton de Maylis de Kerangal, ensuite. Sa lecture lente, presque dépourvue d'intonation, n'impose à l'auditeur aucune interprétation. Le problème est que pour conduire de nuit, ce ton monocorde annule quasiment l'effet des canettes de boissons énergisantes qui font gling-gling contre le porte-gobelet une fois qu'on les a vidées. Du coup, on les jette par terre pour éviter le bruit, et la voiture ressemble à une poubelle, mais ça n'a rien à voir avec l'histoire. Encore que. C'est après un accident de la route que Simon Limbres, un jeune homme de dix-neuf ans, se retrouve dans un coma avancé. Description clinique du parcours de son cœur d'un corps dont on retarde artificiellement la mort, pour un autre dont on prolongera chirurgicalement la vie. Mêmement chirurgicale, l'écriture de Maylis de Kerangal, avec ses phrases nominales et ses adverbes précieux. Ultra-documentée, précise, dépourvue de toute pitié, Maylis de Kerangal n'épargne pas le lecteur-auditeur. Chaque fois qu'on se demande quel plaisir elle prend à nous faire vivre cette horrible vérité, on poursuit, comme s'il s'agissait d'un entraînement, d'une préparation qui nous rendrait plus apte, soit à supporter une épreuve de ce genre, soit à soutenir ceux qui auraient à l'affronter dans notre entourage. 

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que les aspects fictionnels aient autant de force que la description des processus hospitaliers. Pourtant, chaque personnage a sa dynamique, son caractère et j'ai mis un certain temps à comprendre ce qui m'a gêné. C'est qu'il n'y a pas que la lecture de Maylis de Kerangal qui soit monochrome. Tous les protagonistes reflètent les mêmes nuances de gris et de noir. Personne ne rigole, jamais. Ni les proches, ni les infirmières, ni les chirurgiens. Mais on sait que les salles de garde résonnent de ces blagues grasses et de ces rires qui sont moins de joie que de décompression. Où sont-elles ces respirations ? Elles sont nécessaires aux personnages, pour survivre, mais aussi au lecteur, pour poursuivre. 

La scrupulosité de Maylis de Kerangal est à la fois la force et la faiblesse de ce récit, parce qu'elle porte le sujet dans toute sa gravité, mais n'apporte pas l'élan qu'il faut pour le dépasser. Ainsi le livre se termine de façon abrupte, par ce que les anglo-saxons appelleraient un anticlimax, comme si la vérité documentaire éteignait la tension romanesque. À tel point que je me suis demandé s'il manquait un fichier. On a alors envie d'ouvrir la fenêtre, et l'air s'engouffre dans la voiture, fait voler les papiers et les canettes qui se remettent à faire gling-gling, dissipant à peine la lourde tension qui nous tient maintenant éveillé, nous évite l'accident et la nécessité de Réparer les vivants, selon le processus que nous raconte Maylis de Kerangal dans cette collection Écoutez lire, chez Gallimard.  




La chronique audio est disponible ici, et vous aurez reconnu en font sonore greatings from Tuskan, dont je réutilise ici le morceau beautifully painful.

TL ; DR : Maylis de Kerangal décrit, dans Réparer les vivants, les étapes d'un don d'organe. Très documenté, mais trop monochrome triste pour être tout à fait touchant. 

mardi 4 novembre 2014

Le Premier Homme, d'Albert Camus

On peut lire Le premier homme,d'Albert Camus, dans la collection Folio Poche, au prix de sept euro quarante. Mais il faut savoir, avant de commencer, qu'on ne finira pas. Parce Le premier homme a été publié tel qu'il a été retrouvé dans le coffre de la Facel Vega à bord de laquelle Albert Camus a trouvé la mort en janvier 1960. Cette mort sans raison est la métaphore ironique d'une œuvre tout entière tournée vers l'absurde. « Le vrai mystère, dans beaucoup de cas, c'est qu'il n'y a pas de raison du tout. »


Alors que nous cherchons des modèles tout faits pour nous épargner la peine d'assumer nos choix, nos responsabilités d'hommes et de femmes, alors que nous cherchons des philosophies toutes faites pour justifier notre colère, notre soif de vengeance, notre violence qui bien souvent se sert des causes qu'elle dit servir, Camus ne livre aucun système, juste des pistes, juste « Mais non, un homme ça s'empêche, ou sinon... »

On envie toujours les génies. On envie les honneurs, les femmes, le prix Nobel. Ce qui se voit. Sans imaginer ce qui y mène. Le premier homme décrit cette vie, cette dureté qui prépare au génie. Il décrit la pauvreté, pas celle dont je me plains, moi, parce que j'ai peur du RSA où que je compte les kilomètres à cause du prix du diesel. Non celle qui fait qu'on prend des coups pour avoir perdu la monnaie des courses, celle du travail permanent, qui épuise la mère, déjà incapable de trouver les mots parce que la surdité, alors, rendait quasi analphabète. Il n'y a pas de misérabilisme parce que ce que décrit Camus, c'est moins les conditions que la manière d'y résister, c'est à dire la joie. La joie, au

sens où Spinoza en parle, cette force qui pousse à piquer des fruits dans le parc botanique, cette joie qui pousse, malgré les promesses de coups de cravache, à user les clous des semelles pour gagner le match de foot à la récréation. Le même appétit dans la lecture, l'apprentissage, tout ce qui permet d'approcher la beauté. Parce que « c'est la faiblesse devant la beauté qui contribue à nous rendre le monde supportable. » Pas de nostalgie, pourtant. Camus écrit que le temps perdu ne se retrouve que chez les riches. La vie des pauvres est saturée de ce travail qu'on doit rechercher sans cesse, ce « privilège de la servitude. » La bourse qu'il obtient grâce à son instituteur lui permet de sortir du monde des pauvres, « rassurant, fermé, solidaire » mais sur les traces duquel le narrateur revient pour éclaircir les mystères, au premier rang desquels celui du père, mort pendant la grande guerre. Mais finalement, il n'y a que le « mystère de la pauvreté, qui fait les êtres sans nom et sans passé. » Ne reste qu'à apprendre à « aimer la nécessité affreuse de la vie. »

On voit qu'il reste encore pas mal de pages, alors on ne tremble pas encore de cette fin qu'on sait ne pas devoir venir. Et on se fait surprendre. Le livre s'arrête sans prévenir, comme contre un platane, et ensuite, ce sont les notes. C'est une torture de les lire. Elles laissent imaginer le chef d'œuvre dont l'absurde mort nous a privés. Chacune de ces notes est la graine d'un chapitre qu'on ne verra pas grandir, sur l'adolescence, la tuberculose, la question coloniale, l'art. Et les femmes, et la mère, encore, et comment réconcilier en lui l'Algérien et le Prix Nobel. Et des professions de foi : « La noblesse du métier d'écrivain est dans la résistance à l'oppression, donc au consentement à la solitude. » C'est elle, la solitude, qu'on ressent, plus encore que l'absurde, quand on referme le livre. Où sont les pères, les frères d'arme, les frères de plume ? Et comme il faut une fin, sinon au Premier homme, d'Albert Camus, disponible en Foliopoche, du moins à cette chronique, essayons de croire à cette note, perdue dans les annexes : « Dans l'histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes, non pas ceux du déclin comme on le crie dans les journaux, mais ceux d'une aurore indécise et différente. »


Vous pouvez écouter la chronique audio avec des morceaux de Facel Vega dedans et un bonus Nobelo-camusien. C'est là. 

TL ; DR : Le premier homme, d'Albert Camus est le contraire d'une ruine : un chantier, une esquisse, inachevé et pourtant parfait. Pas comme la chronique qui voudrait vous donner envie de le lire.