Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 4 juin 2013

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Olivier, de Jérôme Garcin, publié aux éditions Folio.

Il y a vingt ans, Jérôme Garcin expliquait chez Ardisson qu'il préférait écrire de bons papiers que de mauvais livres. Il ne voulait pas être à la fois juge et partie, à la fois écrivain et journaliste culturel. On serait tenté de le lui rappeler si Olivier, paru aux éditions Folio, était un de ces romans que les hommes de médias écrivent trop vite pour tenter de faire croire qu'ils sont aussi des auteurs. Mais l'évidence s'impose au fil de ce troisième récit autobiographique : il s'agit d'un acte de nécessité, sincère, indispensable. Une façon de déposer un fardeau trop longtemps chéri : la mémoire de son jumeau fauché par un chauffard à la veille de ses six ans. Les premières pages évoquent l'époque qui suit immédiatement le drame, et l'impression de réel est terrifiante. Il ne reste plus de détails épisodiques, mais des souvenirs émotionnels, des sensations confuses et envahissantes. La gémellité perdue comme une vie bancale.

On poursuit le livre parce que l'écriture de Jérôme Garcin est élégante et intemporelle. Ils ne sont pas nombreux les auteurs qui osent aujourd'hui faire une phrase de plus de dix lignes. Moins nombreux encore ceux qui parviennent à y mêler la grâce et la précision d'un portrait. Par exemple celui d'un père dont l'amour pour le jumeau survivant peut prendre la forme d'une gifle chargée d'angoisse.

« Je pris conscience, ce jour-là, des efforts démesurés, inhumains qu'il déployait pour ne rien laisser paraître de sa détresse, pour garder l'air impassible, le port hiératique, l'allure barrésienne, que lui ont souvent reprochés ceux qui, ne le connaissant pas, ne cherchant même pas à le comprendre, et sans doute trop occupés d'eux-mêmes, prenaient pour de la forfanterie une épouvante sans cesse réprimée et pour de la vanité son goût cassant de l'isolement, son goût croissant de la fuite en avant. »

Olivier est mort si jeune qu'il n'est finalement presque question que de Jérôme dans ce livre. C'est à la fois inévitable et gênant. Lorsque l'auteur reconstruit ce qu'aurait pu être leur vie, on consent à entrer en empathie avec sa démarche, même si elle est claudicante et qu'on ne voit pas bien où elle le mène. Mais lorsqu'il y mêle des considérations littéraires, médicales et surtout spirituelles, le cerveau prend le pas sur le cœur, l'émotion fait place à un ennui embarrassé. Les idées générales sur la gémellité sont d'une banalité qui détonne avec la force du récit. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre fût encore plus court mais qu'il nous épargne ces considérations théoriques : elles nous éloignent du fantôme qui nous devenait familier. Ce sont les gens qu'il rencontre qui nous y ramènent. Pas les écrivains ou les gens célèbres, ces passages sont plutôt ennuyeux, mais la nounou de son enfance, de leur enfance, ou ce cousin... mais il ne faut pas trop en dire, le livre réserve quelques surprises. Lorsque Jérôme Garcin cesse de chercher à comprendre, lorsqu'il cesse d'intellectualiser, de faire du lien à tout prix, avec des outils aussi boiteux que la religion ou la psychanalyse, lorsqu'il laisse la mort déployer toute son atroce absurdité, il touche du doigt ce dont la vie est faite. Il nous parle de ses proches, de cette famille scandaleusement épanouie et c'est un formidable pied de nez que la joie oppose au destin, aussi morbide soit-il. Olivier, le récit de de Jérôme Garcin, paru aux éditions Folio, est tout sauf un mausolée, c'est une déclaration de gratitude de l'auteur à ceux qui l'accompagnent, morts ou vivants.

La chronique en audio est disponible ici. Et bientôt diffusée dans la rubrique Des Poches Sous les Yeux, de Radio béton. 

TL ; DR : Jérôme Garcin parle de son jumeau mort dans leur jeunesse. Un livre parfois touchant, mais parfois agaçant par sa contamination psychanalytique un peu religieuse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.