Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 20 janvier 2015

Vers Le Sud, de Juan Gelman, Gallimard

Sous le titre Vers le Sud, Gallimard  propose des poèmes que Juan Gelman a écrit en exil entre 78 et 84. Vers le Sud, comme un voyage. Pas un voyage dans l'espace, ni le temps. Un voyage de l'intérieur vers l'extérieur. Qu'est ce qui pousse à la poésie ? L'excès. L'excès de beauté, qu'on ne peut garder pour soi, l'excès d'amour, qui nous submerge, et, dans le cas de Juan Gelman, l'excès d'horreur. Dès le début de Notes, le premier recueil, on comprend qu'il n'écrit pas pour nous, ni même pour être lu. Il écrit à peine pour lui, pour tenir, pour survivre. Non, il n'écrit pas pour il écrit à. Il écrit à ceux que la junte militaire des années 70-80 lui a arrachés.

Le lecteur peut se sentir exclu par ces noms qu'il ne connaît pas. Et puis encore, freiné par les retours à la ligne, les barres obliques. Parfois même par la traduction, qui peine à rendre la transformation des verbes en substantifs, ou l'inverse, les échos des répétitions, l'espièglerie des mots valises. En plus de quelques maladresse du traducteur, le français, du moins le français dans lequel je me lis ces vers, a perdu ses roulements, ses frottements, la musique aride qu'on retrouve quand on va lire ces notes en espagnol. Une fois qu'on y a renoncé, qu'on assume une lecture francophone, on peut faire le choix de ne jamais freiner, ni aux sauts de ligne, ni aux barres obliques, et on découvre alors une poésie subtile, profonde, et on avance dans ces Notes comme on s'enfonce dans les souvenirs meurtris du poète. Jusqu'à saturation, parfois, parce que l'horreur centre le poète sur deux choses : sur l'horreur, et sur le poète. On me pardonnera d'avoir dû prendre mon élan, d'avoir dû sauter quelques Commentaires et quelques Citations. Les feux, les peines, les brûlures, les plaies, les blessures épuisent, et il fallait aller au-delà de cette poésie là. 

Celle de la résistance à la mort, celle de tenir, celle de ne pas sombrer, qui cède peu à peu sa place à la poésie de la renaissance. Pas de résurrection en trois jour, mais un lent retour à la vie, presque végétal, comme une forêt brûlée laisse place à des bosquets épars. Juan Gelman s'invente d'autres identités, des hétéronymes aux mêmes initiales, Jose Galvan, Julian Grecco, qui lui permettent d'explorer timidement la vie que la dictature ne peut pas empêcher tout à fait. L'horreur reste présente, mais elle ne prend plus toute la place. La poésie, qui a porté le poète à bout de bras, exige de reprendre un peu de liberté, de fantaisie. Dans le poème Moi aussi j'écris des contes, on retrouve l'absurde, le réalisme magique latino-américain, juste un peu plus timide qu'à l'accoutumée. 

Le volume s'achève dans la douceur. Une douceur triste, 
parfois, mais d'une tristesse apaisante, qui vient éteindre la furie. Juan Gelman écrit Sur la poésie : « il y aurait deux ou trois choses choses à dire/ 
Que personne ne la lit beaucoup/ 
Que ce personne, c'est très peu de gens/ 
que tout le monde ne pense qu'à la crise mondiale. » 

On comprend, comme aujourd'hui, que la crise mondiale n'est que la banale toile de fond sur laquelle l'humanité parvient toujours à dessiner bien pire. 

Devant l'horreur, la vraie, celle des dictatures, celle des tortionnaires, ou celle aujourd'hui des assassinats terroristes, il reste l'humour des couvertures, et, à couvert, la poésie, qui nous protège depuis toujours de l'excès, de l'excès de laideur aussi. Juan Gelman conclut que « personne ne sait si ça se passe comme ça parce qu'il n'y a plus de filles/d'épiciers/de guerriers/de rois/ ou simplement de poètes. Ou les deux choses à la fois et il est inutile de se casser la tête à penser au problème. 
Ce qui est bon c'est de savoir qu'on peut chanter cui-cui dans les plus étranges circonstances/ l'oncle Juan après sa mort/moi à présent pour que tu m'aimes/ »

Parcourons Vers le Sud, de Juan Gelman, en Poésie Gallimard, ne cessons pas de rire, ne cessons pas de chanter cui-cui, ni de lire de la poésie. 

L'audio est ici, avec un fond de Marin Marais, me demandez pas pourquoi, il est minuit, j'suis crevé, moi. 

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