Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 14 avril 2014

Yellow Birds, de Kevin Powers, au Livre de Poche

Dans le cadre du Prix des lecteurs du Livre de Poche, voici ma chronique du premier des trois livres du mois d'avril.

De la distance. C'est de la distance qu'on ressent quand Kevin Powers nous parle de la guerre. La deuxième guerre d'Irak qu'il décrit dans son premier roman, Yellow Birds, paru au Livre de Poche. 

Pourtant, on les connaît déjà, ces couleurs brûlées de soleil, ces sables piégés, ce silence pendant les patrouilles. Ce silence d'avant la détonation d'un cadavre rempli d'explosif, ce silence d'avant l'assaut. Les uniformes changent, les mauvaises causes changent, mais de l'Algérie à l'Irak, on connaît ces vieux dirigeants politiques, ces vieux généraux qui envoient des enfants de vingt ans se faire tuer loin de chez eux. À distance. Loin de ceux qui, à leur retour, les accueilleront en héros. Et à qui ils ne diront rien, ne pourront plus rien dire.

Dans le bus, la tête contre le rebord de la fenêtre, les doigts se crispent sur le canon du fusil. Il n'y a plus de fusil, on l'a laissé là-bas, avec le reste, avec le souvenir des autres enfants qui ne sont pas revenus. Mais aucun enfant n'est revenu.Ni les morts, dont Bartle et Murph, deux jeunes soldats d'à peine vingt ans, comptent le nombre, ni les vivants, qui laissent là-bas une part d'humanité que la vie civile ne reconstruira jamais.

« La pluie cessa. Le temps s'adoucit. Notre dernière patrouille de quarante-huit heures s'était déroulée sans événement particulier. Même notre propre sauvagerie ne nous était plus accessible : les passages à tabac, les coups de pied décrochés aux chiens, les fouilles, la pure brutalité de notre présence. Chacun de nos actes était une page d'un manuel d'instruction que l'on suivait par cœur. Je n'en avais rien à faire. »

L'être tout entier est tendu vers ne pas mourir. Bartle et Murph comptent. Ne pas être le millième cadavre. On doit au moins être à 980, là ! Ils comptent comme on récite un mantra pour éloigner la mort. Mais éloigner la mort, à la guerre, c'est éloigner l'humanité, et avant tout, la sienne.

«  J'avais pensé la même chose, à quel point j'étais content de ne pas m'être fait descendre, à quel point ça avait dû faire mal d'être là, en train de mourir, et de nous regarder tous en train de le regarder mourir. Et moi aussi, même si maintenant ça me rend triste, je m'étais dit, Dieu merci, il est mort, et pas moi. Merci à toi mon Dieu. »

Kevin Powers décrit la violence avec sobriété, la chaleur de l'Irak avec une réserve froide, la pluie glaçante de l'hiver oriental avec la sécheresse d'un observateur détaché. À distance. La distance d'un jeune homme sensible brûlé de l'intérieur parce qu'il s'était engagé pour devenir un homme, pour que les autres cessent de le traiter de pédé dans les couloirs du lycée parce qu'il aimait lire des livres. Et de la poésie, parfois. Et qui se déteste de mentir à la mère de Murph, d'avoir peur,  et de s'accrocher à la vie.

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, qu'à cette distance magnifique ne s'ajoute pas la distance d'une traduction, disons discutable, à tel point que je me suis procuré la version originale, que je conseille à ceux qui trouveront alors que de pouvoir lire en anglais est une chance incommensurable.

Enfin, on aurait aimé, j'aurais aimé, j'aimerais tellement qu'une civilisation capable de donner naissance à un auteur aussi sensible que Kevin Powers rende inutile l'écriture de  son livre, Yellow Birds, paru au Livre de Poche, en maintenant la guerre, la barbarie, la croyance imbécile que les armes sont une solutions aux problèmes de notre espèce, en maintenant tout ça définitivement, à distance.

Cette chronique, que je proposerai à la merveilleuse équipe des Poches sous les yeux, est en attendant disponible ici, grâce à sa majesté SR.

Yellow Birds, de Kevin Powers, paru au Livre de Poche, 6.60 €.

TL ; DR : Il y a des livres courts difficiles à résumer : une plongée dans l'absurdité de la guerre d'Irak. Plus l'auteur met de la distance dans son style, plus on est plongé dans le stress post-traumatique. Malgré une traduction discutable, j'ai pleuré.

4 commentaires:

  1. Je ne savais pas qu'il sortait en poche, c'est une bonne nouvelle. Je pense qu'il mériterait d'être lu au lycée, il est très riche d'enseignements.

    RépondreSupprimer
  2. Salut Traqueur, oui, il est en poche, au Livre de Poche. Riche d'enseignements, oui, mais pas didactique. C'est plutôt de vivre le truc de l'intérieur qui fait flipper.
    Pour els curieux, la chronique de Guillaume est là : http://www.traqueur-stellaire.net/2014/01/yellow-birds-kevin-powers/

    RépondreSupprimer
  3. Tu en parles très bien, c'est sûr qu'on aimerait que ce genre de livre ne soit pas utile. Un livre court mais intense et riche en émotions!

    RépondreSupprimer
  4. Latetedansleslivres est aussi juré du Prix des lecteurs du Livre de poche. N'hésitez pas à comparer nos chroniques. Pour celle de Kevin Powers, on peut la lire ici :
    http://latetedansleslivres.wordpress.com/2014/04/03/yellow-birds-de-kevin-powers/?blogsub=confirming#subscribe-blog

    RépondreSupprimer

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.