Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 28 avril 2014

Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche

Approchez, Approchez, Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche, commence comme les spectacles qui s'y déroulent. Des paillettes, du kitsch, de la folie douce, et le danger des alligators qui font trembler les touristes !

Ils viennent du continent  par Ferries entiers pour découvrir le frisson dans ce parc d'attraction des marais de Floride. Le Chef Bigtree s'invente une identité indienne factice et folklorique et  sa femme dompte des alligators à mains nues pour faire vivre toute la famille. 

On s'attend à une comédie taillée pour l'adaptation cinématographique, entre Tim Burton et Wes Anderson. Et puis la mère, la vedette, celle sur les épaules de qui tout repose meurt. Pas d'une morsure de gavial, non, de la morsure lente d'un cancer ordinaire. Sa plus jeune fille, Ava, raconte que ce n'est que le commencement de la fin.

Viennent la concurrence d'un autre parc, l'envahissement du marais par les niaoulis et le lent basculement de sa  grande sœur dans la folie. Les efforts du père et du frère pour sauver leur île restent vains, rien ne va, plus rien n'avance, même le livre s'envase, s'avachit. La végétation aquatique s'enroule et rend la lecture fastidieuse. On se demande où le livre va, on navigue à vue, comme une barque au milieu des palétuviers, et on aurait aimé, enfin j'aurais aimé sentir au moins la direction du courant. La grande sœur amoureuse d'un fantôme c'est de la folie ou du réalisme magique ? Le frère est-il un crétin qui se prend pour un génie ou un génie qu'on prend pour un crétin ? Et le père, où est-il ? Est il à la recherche d'une solution ou est-il perdu sur le continent, encore abasourdi par le deuil ? On  avance comme des chercheurs d'or, aveuglés par l'éclat de trop rares pépites, sans cesse tenté d'abandonner l'aventure, trop brouillonne ou au contraire trop bien construite, comme l'inévitable scène d'atelier d'écriture qui retrace le parcours d'un personnage un peu exogène. 

Entre les pépites, ce qui fait qu'on tient, c'est ce souvenir d'adolescence, quand il fallait des pages, des tonnes de pages, parce qu'elles étaient la garantie que les personnages ne nous abandonneraient pas trop vite, comme on avait enterré trop tôt les grand-parents, perdu trop tôt les amis, les illusions, et même les certitudes.  Des pages pour s'y réfugier, comme entre les touffes de laîches, ces carex coupants qui parsèment le marais, marécage dont on ne sort qu'à la fin de l'adolescence, qu'au début de l'âge adulte, conscient d'avoir lu Balzac ou Dostoievski trop vite, sans avoir tout compris, mais rassuré d'avoir pu y rester longtemps, plus longtemps que dans Camus dont l'Étranger nous avait laissé sonnés comme après une déflagration. 

Et soudain tout s'accélère, l'intrigue pousse de partout, tout le monde sent bien que c'est l'heure, chacun fait face, à son destin, à l'absence, à la fin, qui s'approche au fur et à mesure qu'on tourne les pages de plus en plus vite. Il est déjà tard et on avait dit j'arrête à dix heures, à onze heures, à minuit, mais on tourne les pages. Le livre s'affranchit de ce qu'il avait de foutraque, et ce qu'il avait de foutraque nous fait accepter l'alternance des chapitres : implacable et méthodique ; l'enchevêtrement désordonné du début se change en entrelacement tendu et rigoureux, et le flou se dissipe et les choix se font, et on sort de cette période néfaste, où l'on se prélasse, en attendant que tout se passe. L'auteur apparaît, et son point de vue fend les marais, rien ne l'arrête, et l'on termine Swamplandia, paru au livre de Poche, essoufflé, mais heureux que Karen Russel, après ce marathon de presque cinq cents pages, ait su nous retenir puis nous faire puiser cette force inattendue pour le sprint final. 

Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche7,60 €.

L'audio est ici, sur un fond sonore de Dj Shadow, le morceau Stem/long Stemextrait de l'album Endtroducing (un bijou).



TL : DR : Une famille foutraque de Floride tient un parc d'attraction dont le thème ets les alligators. La mère, vedette du spectacle, meurt d'un cancer. Le livre décrit la chute et la rédemption de la famille, son retour au monde normal, au continent. Malgré un long ventre mou au milieu, le livre mérite d'être lu si on a le temps. 

5 commentaires:

  1. Très belle synchronisation!

    SR

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  2. Merci ! Mais je n'arrive pas à réécouter la chronique : je n'écoute que le DJ Shadow en fond sonore ! Mon morceau Fétiche.

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  3. Ah oui ! Par Wes Anderson, ce serait bien !
    Tu le sais déjà, je suis sensiblement du même avis que toi. Il y a bien une petite passade longuette, mais le roman, pour son inventivité et la plume aussi subtile et détraquée que le livre, mérite le détour !

    (ps : c'est hyper énervant le "prouvez que vous n'êtes pas un robot" qui te fait recopier des lettres écrites n'importe comment et qui te dit que tu t'es trompé alors que t'es sûr de tout avoir bien recopié ! ^^)

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  4. Oui, le livre mérite vraiment le détour. Pour le code, c'est hyper relou, je ne peux pas le désactiver. Relou aussi le fait que ceux qui n'ont pas de site doivent utiliser le mode anonyme et ne puissent mettre juste un nom. Ce sont les défauts de blogger/blogspot, que je ne connaissais pas au départ. Et je n'ai pas trop le temps de changer de plateforme. Mais c'est sûr que ça ne favorise pas le dépôt de commentaires ; du coup, merci d'être passé outre.

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  5. bah si on peut juste mettre un nom, il suffit de choisir "nom/url" dans la liste et de saisir un nom

    (et je crois même que tu peux modérer les commentaires si tu le souhaites ;) et dans ce cas là je ne crois pas qu'il y ait de captcha)

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