Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 21 avril 2014

La demoiselle des Tic-Tac, de Nathalie Hug, paru au Livre de Poche.

La demoiselle des Tic Tac, de Nathalie Hug, paru au Livre de Poche, est un livre de bon élève. 
Dans les deux sens du terme : un livre qui semble avoir été écrit par un élève studieux et un livre qui s'adresse aux bons élèves, ceux qui aiment que le cours soit clair, didactique, simple. 

Il y avait pourtant matière à travailler la noirceur de l'âme humaine dans cette histoire de petite fille prise en tenaille entre l'identité allemande de sa mère, Mutti, et l'identité française de sa grand-mère, chez qui elle vit depuis que son père les a abandonnées. Ce déchirement est celui de toute la Lorraine où se déroule l'histoire, celui de toutes les terres frontalières, dont la moitié de la population terrorise l'autre, alternativement, en fonction de l'armée qui domine temporairement le territoire. 

Le livre est sans défaut. Jusqu'au titre, qui introduit un élément de surprise puisque les tic tac sont en réalité le surnom que l'héroïne donne aux araignées qui peuplent la cave où elle doit se réfugier. Les phrases sont, courtes, simples. C'est une petite fille qui parle, une petite fille qui s'applique à plaire à des adultes fous et méchants. La palette des sentiments couvre les peurs enfantines, l'amitié complice, la haine, la revanche et l'histoire contient juste ce qu'il faut de côté obscur domestiqué, de secrets de famille, de péchés originels capables d'expliquer le pourquoi du comment certains personnages ont pu devenir  si méchants. 

De quoi se plaint-on alors ? De ce qu'on ne ressent rien. Le livre ressemble à un gâteau industriel, bien plus réussi que celui qu'on fait à la maison, qui n'est jamais  symétrique, parce que le four est trop petit pour le moule. On doit alors l'incliner lors de la cuisson, le moule, pas le four. Ici, rien n'est incliné. Tout est droit. La structure d'alternance des chapitres est métronomique. Mais comme une bonne élève qui s'en rend compte, Nathalie Hug y déroge vers la fin du roman. Et c'est encore un effort de perfectionnement, une cerise sur le gâteau, un arôme un peu artificiel, un glaçage parfait. Mais la vraie cuisine, c'est de l'amour, et l'amour est imparfait, incliné, comme la littérature. 

La demoiselle des Tic Tac est un livre inoffensif. Malgré une volonté de bouleverser nos certitudes sur ce qui a pu pousser des allemandes à révérer Hitler*, on ne sort pas grandi de ce livre, on n'en sort pas diminué : on en sort inchangé, comme lorsqu'on regarde aujourd'hui un film qui nous aurait fait trembler enfant. Lorsqu'on revoit la guerre des étoiles et les scènes qui nous avaient laissé une si grande impression, on sourit avec nostalgie devant les effets spéciaux appliqués, les enjeux manichéens, le jeu scolaire des acteurs. Peut-être alors qu'un élève doué, mais âgé de 10 ou 11 ans trouverait de quoi mieux comprendre l'âme humaine à la lecture de cette demoiselle des tic-tac. Mais pour nous, qui avons eu à faire à la méchanceté, à la laideur, chaque jour, à l'absurdité des certitudes idéologiques, à la déception systématique des espoirs qu'elles nous ont provoqués à 15 ans, à 20 ans, ou aux dernières élections, il n'y a dans ce livre qu'un artisanat de qualité, contre lequel on ne peut soulever aucune objection majeure. Mais on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, y trouver ce qui fait la trame de littérature, de la vie, de l'amour : la prise de risque. L'écriture doit être une mise en danger. Nathalie Hug ne prend aucun risque. Malgré la forte part biographique, pas de risque intime. Plus grave encore, Nathalie Hug ne prend aucun risque avec le style, le point de vue, la narration. La demoiselle des Tic Tac, paru au Livre de Poche, est, hélas, un livre dont on  ressort parfaitement indemne. 


La demoiselle des Tic-Tac, de Nathlie Hug, Le Livre de Poche, 6,10 €

L'audio peut être écouté ici, avec en fond sonore Jésus que ma joie demeure de Bach, en transcription pour piano jouée par Weissenberg (et le thème de Dark Vador sur 2 mesures).

TL ; DR : Pendant la deuxième guerre mondiale, une petite fille tiraillée entre son identité allemande et son identité française, comme la Lorraine où se déroule l'histoire. Un livre sans défaut, sans grande qualité, sage, trop sage.






*Les plus férus de figures de style auront remarqué que la phrase frise l'anacoluthe. En effet, le malgré une volonté de se rapporte au livre, voire à l'auteur, mais pas au sujet de la phrase qui suit immédiatement, le on de on ne sort pas grandi. L'anacoluthe n'y est pas vraiment car la rupture n'apporte pas de puissance supplémentaire, bref, beaucoup de rationnalité instrumentale pour expliquer que c'est juste une phrase bancale...

4 commentaires:

  1. En fait, j'ai trouvé que les moments dans les décombres de la cave étaient plus touchants que les descriptions de sa vie dans le village. Peut-être mon côté claustrophobique qui avait du mal à supporter l'idée d'être enterrée vivante! C'est vrai que le livre ne va pas très loin et qu'il aurait pu être beaucoup plus fort en émotion.

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  2. Oui, je suis assez d'accord avec toi, je les ai trouvés plus sincères, moins "malins", moins explicatifs. Même si la vision de la petite fille sur la mort me paraît un peu mièvre. Mon fils avait compris ce qu'est la mort à 3 ans. Tu ne crois pas ?

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  3. C'est rigolo (même si je doute que ce soit le but) d'écouter une critique comme ça !
    Tu fais quand même professionnel de lecture ! A plusieurs moments, je me suis dit "tiens ! il faudra que je réponde à ça dans le commentaire !" et forcément j'ai oublié... à part que j'aime encore regarder Star Wars ^^
    J'aime beaucoup comment tu écris tes critiques, et l'humour que tu y mets (cf notamment le cours culinaire et les dernières élections)

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  4. Je ne suis pas du tout professionnel de la lecture. Les chroniques audio sont juste diffusées sur des radios associatives , ce qui me permet de recevoir des bouquins par SP.
    Starwars, j'aime à nouveau les regarder, mais avec mon fils de 6 ans ! Et je suis content de voir qu'il trippe un peu comme nous quand nous étions gamins. Merci de ton commentaire.

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