Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

jeudi 20 février 2014

Fatigue, mémoire, mots.

Il n'y a pas que la littérature dans la vie. La fin de contrat, le chômage qui pointe sa sale vilaine tête de hyène, et la trouille me réveille la nuit. Je ne dors pas assez, ça me rend irritable, con, et enfin à moitié aphasique.
À un certain degré de fatigue, les processus s'éteignent comme si la CPU était saturée. D'abord la notion du temps, puis la gestion de l'humeur, après je deviens bègue (ce qui ne manque pas de faire marrer mes collègues comme autrefois ma famille) et enfin, l'orthographe me quitte. 
Je relis mes mails trois fois avant de les envoyer et je repère avec horreur des phrases entières écrites en phonétique. 

À quelque chose malheur est bon, cette perte des repères syntaxiques m'a offert une révélation rétrospective. Elle a effacé de longues années de perplexité lexicale. 

J'étais dans ma douche, je ruminais les excuses que j'avais à faire pour une colère disproportionnée, et marabout-bout de ficelle, je suis passé de "je fais ce que je peux" à "je n'suis pas un héros". Et, alors que le goût du shampoing m'indiquait que j'aurais dû fermer ma bouche - je suis chauve, mais j'utilise parfois du shampoing, pas par refus d'admettre que j'ai perdu la guerre des golfes, mais parce qu'il y a un automatisme  antérieur crâne=>shampoing qui se remet en place passé un certain stade de fatigue - j'ai résolu une énigme qui me taraudait depuis mon enfance. 

Mon frère était fan de Daniel Balavoine, tout le monde, je crois, était fan de Daniel Balavoine dans les années 80, sans doute parce qu'il avait aidé Thierry Sabine à construire des puits dans le désert pour justifier le Paris Dakar, et mon frère avait un vinyle ondulé parce qu'il avait pris chaud au soleil. Le Vinyle. Certaines chansons étaient inaudible mais pas  "Je ne suis pas un héros".

Et je chantais à tue tête, puisque j'étais fan de tout ce dont mon frère était fan et que tout le monde était fan
de Balavoine, "Je n'suis pas, un héros,  mais faut pas me colle à la peau". 

Qu'est ce que c'est que cette phrase ? Je n'osais pas demander pourquoi il ne chantait pas "mais faut pas m'coller à la peau". Je devais avoir neuf ans, et, honte retrospective, je n'avais pas le vocabulaire suffisant pour entendre ce que Balavoine chantait. 

Mais là, dans ma douche, le module orthographique désactivé faute de ressources, je me suis mis à fredonner en phonétique : méfopamecollàlapeau, et le chemin inverse, et l'illumination. 

Mes faux pas me collent à la peau. 

Maintenant, je regrette cette époque bénie où je ne pouvais pas entendre la phrase, parce que je ne savais pas encore que, voyant le chômage pointer sa sale vilaine tête de hyène, je me dirais un jour en secouant ma tête indûment mousseuse de shampoing : mes faux pas me collent à la peau. 

2 commentaires:

  1. Désolé pour le chômage qui colle à la peau (Virgin me l'a collé il n'y a pas si longtemps) mais si ça peut te rassurer, moi c'est mon père qui était fan de Balavoine et j'adorais aussi, mais je ne savais pas qu'il construisait des puits, et j'aime toujours, j'ai compris cette foutue phrase il y a quelques mois à peine, d'un coup aussi, mais pas sous la douche.

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  2. Marrant ! Enfin, ça me rassure moyen parce que ça pourrait laisser penser que j'ai l'âge de ton père.

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