Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mercredi 15 janvier 2014

Mrs Dalloway, de Virginia Woolf, chez Folio Poche

Quand on chronique des livres de poche on a toujours un temps de retard, celui qui sépare l'édition originale de sa petite sœur. Bon, là, j'ai 88 ans de retard puisque Mrs Dalloway, le chef d'œuvre de Virginia Woolf est paru en 1925. L'avantage, c'est qu'on le trouve aujourd'hui dans n'importe quelle collection Poche qui se respecte, Folio classiques, par exemple. À ces 88 ans s'ajoutent encore les six mois qu'a passés le roman sur ma pile à lire, si bien que j'ai dû mentir à l'amie qui me l'avait prêté et me le réclamait : « attends, bien sûr que je l'ai lu, qu'est ce que tu crois ? » 

J'ai raccroché et j'ai ouvert le livre, histoire de le feuilleter avant de le lui renvoyer. De Virginia Woolf j'avais déjà lu Orlando, sans enthousiasme, et je n'avais pas réussi à finir Les vagues. Mais comme « L'art du Roman » m'avait tiré des larmes, ce qui n'est pas banal pour un recueil d'articles théoriques, j'ai laissé à Virginia Woolf encore une petite chance. Et elle m'a mis une grande claque. Une page, deux pages, je n'aurais pas dû. J'ai du travail, moi, des livres tout neufs qui m'attendent, des chroniques à faire ! Mais le piège s'est refermé et le livre est resté ouvert. 

L'attention du lecteur est braquée vers un personnage, puis un autre, et un autre, une multitude de consciences qui se passent le relais du texte comme des instruments se repassent une mélodie. Virgina Woolf invente le contrepoint littéraire. Et le timbre de l'œuvre, ce qui l'unit dans un équilibre sans cesse sur le point de se rompre, c'est la folie latente de l'auteure, que les cloches de Big Ben semblent  sauver toutes les heures d'un réel qui la submerge parce qu'elle y est terriblement perméable. 

C'est parce qu'elle se laisse submerger qu'il lui suffit de décrire une journée, une seule, pour nous faire vivre une vie entière, plusieurs même. Celle de ce jeune soldat et de son impossible retour à la vie civile. Celle de ce vieux baroudeur et de son impossible retour des lointaines colonies. Celle de  Mrs Dalloway, superficielle, mondaine, et de son impossible retour à la Clarissa spirituelle et sensible qu'elle était avant de se marier. Mrs Dalloway est un livre vif et pétillant sur l'irréversibilité, la sortie de l'enfance, l'entrée dans le monde. Virginia Woolf est le chaînon manquant entre Dostoievsky et Proust. 

Le livre est le manifeste d'une littérature où les personnages priment sur l'intrigue, et où la tension est maintenue par les caractères, le dévoilement de la nature humaine, et enfin, et surtout, par le style. On est alors loin de Proust, loin de Dostoievsky, l'écriture virevolte, légère, presque frivole, ne s'attarde jamais, suit qui elle croise avec la modernité d'une caméra portée à l'épaule. Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ce procédé de plan séquence interminable soit un peu moins systématique, mais ce regard cynique sur une époque aussi désorientée que la nôtre, rappelle que le désarroi est intemporel. 

J'ai aujourd'hui 88 ans et six mois de retard, Virginia Woolf, elle, devait avoir un siècle d'avance lorsqu'elle a écrit Mrs Dalloway, disponible, par exemple, en Folio Classiques

Merci à l'excellente équipe Des  poches sous les yeux de mettre cette chronique à disposition ici.

TL ; DR : Le classique de Virginia Woolf. Incontournable, indémodable, ébouriffant. Il faut commencer par celui-ci plutôt que par Les Vagues ou Orlando

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