Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

jeudi 9 janvier 2014

Maudit soit Dostoievski, d'Atiq Rahimi, une chronique un peu longue.

Maudit soit Dostoievski. C'est le titre du dernier roman d'Atiq Rahimi paru chez Folio Poche. Maudit soit Dostoievski, c'est ce que mes parents ont dû se dire lorsque j'ai décidé, au milieu de mon adolescence, de lire l'intégralité de l'œuvre romanesque de  l'écrivain russe. Elle m'a plongé dans un brouillard mystique,  grandiloquent et mégalomane. Ma prise de conscience philosophique de l'existence du mal a viré à la maladie mentale. Maudit soit Dostoievski, c'est aussi le cri de Rassoul   lorsqu'il assassine sa logeuse, comme le Raskolnikov de Crime et châtiment. Maudit soit Dostoievski, et puis, il perd sa voix, tente de s'enfuir, erre dans Kaboul, la cheville brisée, aphone, hagard, il divague. Fallait-il prendre l'argent de la vieille usurière après l'avoir tuée ? 

La résonance entre le chaos intérieur du jeune Rassoul et le chaos extérieur de Kaboul abolit les frontières entre la réalité et un monde symbolique omniprésent. 

La force du livre est de mêler la fable et la description sans artifice de la réalité afghane. Les élans spirituels côtoient les insultes les plus crues, les discussions philosophiques commencent devant un verre de thé, et se finissent derrière une pipe de haschish. Les sentiments s'enflamment comme des torches, s'éteignent comme des feux de paille, c'est à se demander si les russes en évacuant le pays n'auraient pas laissé derrière eux ce sortilège qu'ils traînent dans leurs gènes sans avoir pu décider s'il s'agissait d'une bénédiction ou d'un maléfice : l’âme slave. 

La force du livre, c'est de refuser la carte postale, de refuser à ces interminables conflits la gravité que leurs confère le nombre de cadavres qu'ils laissent derrière eux. Atiq Rahimi ne montre ni d'atroces psychopathes sanguinaires, ni des héros purs  entièrement téléguidés par le Tout-Puissant. À côté des livres saints on trouve Dostoievski et Kafka. Et Pink Floyd. 

La force du livre est de ne pas chercher à ordonner le chaos, de ne pas arrêter une réalité définitive quand chacun tente d'y voir clair, quand chacun cherche à simplifier l'orient compliqué, et se raccroche à des catégories réductrices : on est soit ghazi, tueur, soit shahid, martyr. Soit Dabarish, barbu, soit tavarish, camarade. Et donc communiste. Rassoul est à la fois martyre et assassin. Il renie son père Tavarish  sans pour autant devenir Dabarish. En fait, Rassoul s'en fiche. Il veut juste distinguer le bien du mal. Étrangement, dans ce quotidien rythmé par les tirs de roquettes, son dilemme moral - fallait-il voler la vieille après l'avoir tuée ?- sera peut-être la clef de la réconciliation d'un pays qui n'a pas encore appris à distinguer la justice de la vengeance, sur cette terre à vif où la trahison est infiniment plus grave que le meurtre.

Alors bien-sûr on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'Atiq Rahimi se retienne un peu sur l'onirisme, le symbolisme,la fable. On aurait aimé que son le Rassoul fut moins adolescent, moins manichéen, moins torturé, moins grandiloquent, moins emphatique, et surtout, moins centré sur lui-même. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'avant de sauver le monde Rassoul sauve sa mère, sa sœur, qu'il s'occupe de ses affaires avant de s'occuper des nôtres. En fait, j'aurais aimé ne pas avoir à regarder en face l'adolescent que j'étais, effaré par la méchanceté du monde, sa bêtise, effrayé par l'agressivité des autres, par la sienne. Mais maintenant que c'est fait, maintenant que nous mesurons la faiblesse de l'influence que nous avons sur la marche du monde, il faut expliquer aux adolescent que nous avons été, à ceux que seront nos enfants que tant que nous continuerons à lire et à faire lire des romans comme « Maudit soit Dostoievski », d'Atiq Rahimi, disponible chez Folio Poche, nous ne serons pas tout à fait résignés. 

Merci à Sylvain qui héberge la version audio de cette chronique ici. 

TL ; DR : L'afghanistant, entre débris post communistes et folie talibane, dansu n remake de crime et châtiment qui brasse les mêmes ingrédients : désirs, culpabilité, absurdité de l'âme humaine. Parfois un peu trop onirique à mon goût, mais un bon livre tout de même. 

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