Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

jeudi 27 mars 2014

Be Happy, d'Andrea Davoust

Le premier livre de photographies de la journaliste franco-canadienne Andrea Davoust, paru chez Atlande, s'intituleBe Happy ! Sois heureux. Bon, d'abord, tu ne me donnes pas d'ordre. Ensuite, je fuis les salons du livre parce que j'attends des salons de la littérature. Les meilleurs ventes se font au rayon beaux-livres, et il faudrait qu'on soit heureux ? En plus, Andréa est une amie et comme je veux montrer au monde (c'est à dire à mes 56 followers) que je suis un chroniqueur indépendant, Be Happy devait faire l'objet d'une descente en flèche.

Des photos de gens heureux sur la page de droite, et sur la gauche une citation sur le bonheur. Au cas où on n'aurait pas compris la photo. Et traduite en 4 langues, pour prévoir les ventes à l'export. Le massacre allait être facile : Andréa Davoust a un peu raclé les fonds de tiroirs, les écrivains préférant souvent se gratter les croûtes quand ils sont malheureux, et vivre le bonheur plutôt que de l'écrire. Exemple, Page de droite, une photo de bébé, page de gauche on lit « Ô jeunesse ! Entre ainsi dans la vie, légèrement et gaiement. » Même Alfred de Vigny ne pouvait pas être génial tout le temps.

Je tourne la page, prêt à railler la citation suivante, mais mon œil est attiré par la photo, à droite. Un beau jeune homme saisit une banane sur l'étal d'une marchande plus âgée. On dirait qu'il abuse de son charme viril pour voler le fruit, et la marchande le regarde en souriant, pas dupe et heureuse, manifestement, que sa joue frôle son épaule. 

Sorry for potatoeJe renonce aux citations et décide que ce livre ne comporte que des pages de droites. Surprise, c'est un bon, un excellent demi-livre droit. En regardant ces portraits de gens heureux, on est frappé par le naturel des visages. La composition des photos n'est jamais artificielle, alambiquée, le choix du cadre jamais tape-à-l'œil. Andrea Davoust a l'élégance de s'effacer totalement, comme si elle voulait nous faire croire qu'elle n'est pas photographe professionnelle. Mais elle échoue. Parce que ce qui différencie les photos simples d'Andrea Davoust de mes simples photos de vacances, c'est que les siennes sont belles. Très. Intensément. Elle saisit le naturel des gens parce qu'il lui suffit d'1/125ème de seconde pour choisir le cadre, la lumière, l'exposition.  Le bonheur est fugace : nous l'aurions laissé s'envoler. Qu'elle se focalise sur le mouvement, le sourire, l'attitude, l'échange, le décor, à chaque fois elle voit ce qu'on n'aurait pas vu, du bonheur, du bonheur à côté duquel on serait passé. On tourne les pages dans un sens, dans l'autre, surpris de ne plus croire que les gens heureux n'ont pas d'histoire. Les gens heureux qui peuplent le livre d'Andrea Davoust, Be Happy, ont aussi une géographie, et c'est elle qui m'a permis de redécouvrir les pages de gauche, au bas desquelles on devine que les séries ésotériques de chiffres, petits ronds, apostrophes et guillemets sont des coordonnées géographiques 47°46'26.9" : -3°33'10.1".

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le format choisi soit le même que le standard google maps, mais on réussit à se promener sur les lieux où les photos ont été prises. Et le sourire est suivi d'un autre sourire. C'est un sourire à double détente. Le jeu de piste est subtil, on cherche sur chaque photo, des indices du lieu qu'on découvrira à l'aide des coordonnées. Burkina Faso, Colombie, et pourquoi pas, Paris. Et parfois on se trompe dans un chiffre en plein milieu d'un océan. On corrige la coquille et la marchande de banane est au Nicaragua. On referme  Be Happy !, d'Andrea Davoust, paru chez Atlande avec l'assurance qu'on pourra y voyager chaque fois qu'on voudra être heureux, et convaincus qu'il suffit d'apprendre à regarder le monde pour y voir des raisons d'être heureux, ici, ailleurs, partout. Tout le temps.

 Be Happy !, d'Andrea Davoust, paru chez Atlande, 12 €.

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