Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

jeudi 1 mars 2018

La pastorale américaine, Philip Roth

Il faut un peu de patience pour lire la Pastorale américaine, de Philip Roth, disponible en poche chez Folio, ou en collection Quattro, avec le reste du cycle Zuckerman. Pourtant, les premières pages font immédiatement naître des images. On est en quelques phrases dans un quartier juif de l'Amérique d'avant guerre. Le narrateur ouvre le livre sur un panégyrique de cet incroyable juif blond, qui jouait en même temps dans trois équipes universitaires, basket, baseball, football, et qui avait ensuite eu l'incroyable force morale d'abandonner tout ça pour reprendre et continuer à faire prospérer l'usine de gants que son père avait montée à partir de rien. On appelait ce juif le suédois, beau, grand, fort, et si lisse qu'il avait quelque chose de presque désespérant.

Évidemment, derrière la façade, c'est toute l'Amérique qui se lézarde. Mais alors, pourquoi nous présenter l'histoire du drame provoqué par la fille du suédois comme une simple élucubration du narrateur ? Pourquoi nous forcer à cette distanciation, dont on mettra des pages à se défaire ? Par scrupule, peut-être, parce que le sujet est assez sévère : comment un père modèle peut-il engendrer un monstre ? A moins que ce ne soit l'Amérique toute entière qui ait contribué à la fabriquer ?

Ce qu'il y a de formidable, c'est l'absence de parti-pris du livre. Les choses ne sont pas simples dans cette pastorale. Les capitalistes ne sont pas tous des oppresseurs sans scrupules, mais certains le sont. Les leaders noirs ne sont pas tous des pompiers pyromanes, mais certains le sont. Tout le monde est logé à la même enseigne : Roth n'épargne personne.
Mais son personnage, Seymour Levov, lui, le Suédois, essaie de ménager chacun, alors que sa fille a commis l'irréparable, alors qu'elle a disparu, alors que le monde s'écroule, il tâche de s'accrocher à une Pastorale américaine qui n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé.

On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre soit moins bavard. J'ai lu des pages entières en
diagonales, parce que trop réelles, et que si le réel peut se répéter, le dialogue romanesque ne peut se payer ce luxe.  Surtout q1ue les gens mentent, ils font l'économie du réel. Mais les usines ferment, les villes s'enlisent. Et il n'y a peut-être pas d'autre choix que de tourner le dos au réel, pour ne pas devenir fou de terreur à l'idée qu'on puisse avoir fabriqué un monstre, puis fou de tristesse à l'idée que ce monstre vous échappe, qu'il se détruise sans que vous ne puissiez rien y faire. Les retournements comme les longueurs sont proustiens, et la réunion d'anciens élève fait penser à au temps retrouvé.

On peut retrouver le même éloge paradoxal de la façade dans ce livre où Philip Roth nous décrit en profondeur les ressorts de La Pastorale Américaine, disponible en poche chez Folio.

Pour les amateurs d'audio, c'est ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.