Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 12 octobre 2015

La Classe de neige, Emmanuel Carrère

La classe de neige est un des tous premiers romans d'Emmanuel Carrère, et on peut se le procurer chez Folio. Il parle d'un enfant qui a peur. Son père le dépose là où les autres enfants sont déjà arrivés en autocar. C'est déjà un petite pointe de honte, parce que les enfants détestent être différents des autres. Surtout Nicolas, qui fait encore, parfois, pipi au lit. Surtout Nicolas, qui en plus, a oublié son sac dans le coffre de son père. En quelques lignes, le malaise est déjà bien installé. Il ne fera que croître. D'abord à cause de l'histoire, qui prend petit à petit la piste (classe de neige, piste, humour malvenu) d'un fait divers sordide. Ensuite, parce qu'on voit la fin se profiler, et que jusqu'au bout on espère un virage sévère pour éviter la chute. Mais non. 

Bien-sûr, l'écriture de Carrère est déjà là, visuelle, limpide, classique, mais est-ce que ça méritait vraiment le prix Femina ? Finalement, le dénouement manque de surprise, et surtout, d'espoir. 
Emmanuel Carrère est un auteur important pour moi, majeur, mais il partage avec Houellebecq, un désenchantement revendiqué comme un signe de leur supérieure lucidité. 

Mais non, les gars. Vous n'avez pas découvert l'absurde de l'existence. Il y a eu Camus, Dostoievsky, et notre putain de vie de tous les jours. Bien-sûr, Carrère n'est pas Houellebecq, et il y a une retenue, une délicatesse, et même de l'affection pour les personnages. Mais dans le fond, ce que fait Carrère, dans La classe de neige, La Moustache, et même dans l'Adversaire et après, c'est de nous faire porter à nous ses angoisses à lui. Ses angoisses de type brillant qui n'a pas de problème de fin de mois, pas de problème de vocation, pas de problèmes de carrière. 

Mais quoi ? Est ce qu'on aurait aimé, enfin, est-ce que j'aurais aimé que la classe de neige se termine par un happy-end, qui nous fasse croire qu'il n'y a pas de pervers autour des cours d'école, pas de terreurs nocturnes dans le cœurs des enfants, pas de désarroi dans celui des adultes ? Sans doute pas. Mais je crois qu'il ne sert à rien de désespérer. Je crois que quand on a le talent de Carrère, son intelligence, son style, on peut s'offrir le luxe de l'espoir, et on peut l'offrir à ses lecteurs. Il ébauche ce pas de côté, avec le personnage du moniteur bienveillant. Et c'est là qu'on l'aime le plus. Comme on l'avait plus aimé dans d'autres vies que les nôtres. Parce que l'espoir, messieurs-dames, je ne parle pas de la foi imbécile, mais l'espoir, c'est ce qui fait qu'on continue de chercher, c'est ce qui fait qu'on continue de lutter. A la fin de la lecture de la Classe de neige, je me croyais fâché avec Emmanuel Carrère, trop écrivain, pas assez romancier, se contentant de nous déverser ses angoisses au lieu de les régler. Mais il faut lire la classe de neige en se rappelant qu'il a déjà vingt ans, et que depuis, Carrère a fait du chemin, et nous avec lui, et qu'il vaut mieux l'espoir un peu irritant du Royaume que la blancheur glaciale et sombre de cette Classe de Neige, parue  quand nous avions de l'espoir à revendre, et toujours disponible chez Folio. 

La chronique audio est disponible ici. 
La musique que vous entendez, là, derrière, c'est français, pas mal, non ? C'est Cry, de Rogers Moll, dont je dois la découverte à mon frangin, qu'il en soit ici remercié, poil au pied, de nez

5 commentaires:

  1. Bonsoir Monsieur, j'apprécie toujours ce qui vous faites, mais il ne faudrait tout de même pas vous attaquer à la foi... car avoir la foi, c'est comme avoir l'espoir, c'est croire en de jours meilleurs...

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  2. Bonsoir, suite à votre commentaire, j'ai relu le passage et j'ai perçu l'agressivité que je n'avais pas voulu y mettre. J'aurais dû mettre "je ne parle pas d'une foi imbécile". L'idée de départ était de citer des vers d'une chanson du groupe expérience : "D'emblée on était vaccinés contre l'espoir naïf, l'optimisme creux, les lendemains qui chantent". Et j'ai renoncé de peur que la référence ne soit comprise par personne. Sur le lien suivant, elle peut être comprise en français... et en catalan. https://www.youtube.com/watch?v=M9nfxKxaung
    (sinon, maman, je t'ai reconnue)

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  3. Merci pour cette délicieuse référence, mais pour l'auteur du commentaire : p.e.r.d.u.! Et pourquoi donc voulez-vous y voir votre maman ? Même si, à lire votre style et vos références, il est probable que nous soyons de la même génération ! Bonne continuation

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    1. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question de génération, vraiment. Ce qui m'avait orienté sur cette voie c'est :
      1) je peine toujours à imaginer avoir des lecteurs que je ne connais pas, même si ça me réjouit !
      2) ma mère aimerait que je ne sois pas un mécréant. La perte de la foi a été chez moi progressive, mais radicale. Et pas facile de savoir par quoi la remplacer, même si on sent bien qu'évolutivement parlant, la foi a permis à noter espèce de conserver la conscience sans devenir fou à lier.

      Merci de votre lecture et de vos commentaires, ces échanges font très plaisir.

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  4. Merci pour votre message.
    Combien avez-vous de lecteurs par mois et combien d'abonnés ? vous en avez certainement d'autres réguliers que vous ne connaissez pas ! Sans doute ne prennent-ils pas le temps de laisser un commentaire ? C'est dommage ! C'est encourageant pour vous et c'est agréable pour nous.
    A propos de la foi et de la folie, je ne sais pas trop. Peut-être avez-vous raison ? Je la perçois plus (la foi) comme un réconfort, la possibilité d'être avec quand on ressent la solitude. Sur le plan de l'évolution, une citation que j'ai lu récemment m'invite à penser que nous sommes tout de même, malgré l'incertitude de l'avenir de notre société, sur la voie du progrès : “Le premier homme à jeter une insulte plutôt qu'une pierre est le fondateur de la civilisation.” Sigmund Freud. La question qui resterait alors en suspens est l'issue de la course entre ce progrès et la pression démographique. Est-ce que l'homme ne revient pas à la pierre si la pression devient trop forte ? Tout cela me dépasse un peu je dois l'admettre mais j'y pense.
    Tout à fait par ailleurs, avez-vous remarqué que dans les mailings de blogspot le lien, en bas à gauche, pour accéder au blog et juste au-dessus du lien pour se désabonner. Il faudrait le dire à Blogger car l'accident n'est jamais loin quand la main tremble !
    Bon marathon à vous !
    Un de vos lecteurs réguliers


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