Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 30 juin 2014

La Confession d'une jeune fille, Marcel Proust, Le Castor Astral.

La Confession d'une jeune Fille que le Castor Astral fait paraître dans sa jolie collection des Inattendus est une ruse d'éditeur pour nous amener à Proust. Ce joli petit livre crème réunit trois textes qui n'ont rien d'inédit. La confession d'une jeune fille et Violante ou la mondanité sont deux nouvelles déjà parues dans le recueil Les plaisirs et les jours. Le troisième texte est un article que le Figaro a demandé à Proust après qu'une de ses connaissances commit un crime atroce.

La thématique de la perte des parents et  de la corruption de l'âme humaine est un prétexte à la réunion de ces textes, dont le choix illustre en fait l'évolution du style de Proust. Tous les éléments de Mademoiselle de Vinteuil sont déjà présent dans la narratrice de la Confession. Toute l'ambivalence du rapport de Proust à la mondanité est déjà dans Violante. Mais tout le style de Proust est enfin dans le dernier texte, qui n'est pourtant qu'un article de fait divers.

On voit comment Proust se fait phagocyter par la littérature. Les premiers textes sont ceux d'un débutant, ils montrent encore des maladresses, de l'hésitation. La narration est contaminée par l'explication, qui ressemble à une forme de politesse.

L'article du Figaro, au contraire est à la limite de l'incorrection. Alors qu'il parle d'une de ses propres connaissances qui a tué sa mère, Proust digresse, s'évade, cite les textes antiques, décrit merveilleusement l'arrivée du froid sur les villes. Il semble n'avoir finalement que peu de compassion pour celui qui s'est donné la mort après l'avoir donnée à celle qui lui donna la vie. Plus encore que de l'impolitesse, on pourrait y voir une volonté de tirer à soi la couverture, de se faire mousser. Or c'est précisément l'année de la parution de cet article que Proust commence la rédaction de La Recherche. Il ne s'agit plus là d'égocentrisme, mais d'oeuvrocentrisme. L'œuvre devient une fonction vitale de l'auteur, à laquelle toutes les autres sont sacrifiées, le sommeil, la respiration, la socialisation... Le style de La Recherche est déjà là, La Recherche est déjà là, comme une bête tapie qui s'apprête à dévorer son créateur, au-delà de la morale, des conventions d'écriture, de la narration. Déjà Proust sait jouer avec l'ennui du lecteur, avec son attention, avec la lenteur, les accélérations, les sensations, les retournements, La Recherche est là comme un double qui prend petit à petit le contrôle de la réalité.

Toute l'intelligence de La Confession d'une jeune Fille », paru dans la collection Les inattendus, au Castor Astral  est de casser le mythe du  Proust dilettante, amateur, et de montrer qu'il n'a en fait jamais dispersé son énergie, qu'il n'a jamais creusé qu'un seul sillon, n'a jamais tendu que la corde d'un seul arc, jusqu'à ce qu'enfin La recherche du temps perdu jaillisse, une flèche qui, encore cent ans après, touche toujours la cible en plein cœur.

Marcel Proust, La confession d'une jeune fille, Le castor Astral Editions, 12 €.

L'audio est disponible ici. 

NOTE : il manque quelque chose à cette chronique, saurez-vous me l'indiquer dans les commentaires ? C'est sans doute parce que la saison "Des poches sous les yeux' est finie que je continue à me priver de ce petit quelque chose qui reviendra dès la chronique de la semaine prochaine.

TL ; DR : Trois petits morceaux de Proust d'avant La Recherche du temps perdu, ou comment le style d'un écrivain s'impose envers et contre tout.

5 commentaires:

  1. Moi je dis rien, sinon on va encore me dire que je suis un petit oisillon ou autre nom d'oiseau...

    SR

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  2. oaa,e,jaa...mais peux-tu le faire pour Proust ?!

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  3. Enfait, je suis à la fin d'Albertine disparue, et je commence à en avoir un peu par-dessus la tête. Il y a même carrément un côté théorie de l'engagement : genre 1) si j'ai lu tout ce qui était si dément 2) si j'ai résisté à l'ennui parce qu'il était bien écrit, c'est que 1) ça valait la peine 2) je me suis fait avoir comme une grosse buse. Donc j'attends le Temps retrouvé, mais Albertine disparue, je veux pas spoiler, mais MArcel se fout un peu de la gueule du monde.
    C'est dit, n'en déplaise à Antoine Compagnon.

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  4. mince, c'était encore une ruse de Proust. Le retournement débile n'en est pas un, et en fait, c'est encore bien.

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