Les chroniques diffusées sur Canal B me demandent pas mal de travail, j'essaie de travailler le texte, la diction, et le résultat me vaut parfois des courriels du genre "ça fait un peu "écrivain en devenir" mais en même temps cela tombe bien car c'est ce que tu es !". Premier indice de la vanité d'ouvrir un blog. Mais énorme deuxième alerte, et d'une importance majeure, celle-ci, à la révision de "Tempête de boulettes géantes", le film d'animation co-réalisé par Phil Lord et Chris Miller. Je n'avais vraiment pas aimé le regarder. J'avais trouvé l'histoire à la fois confuse et convenue, et les aspects farfelus m'avaient semblé artificiels, écrits, pensés. Mais un père divorcé, la veille de fin des vacances, laisse à son fils le soin de choisir le dessin animé qui lui plaît.
- Tempête de boulette géantes !
- T'es sûr, mon fils ? Tu ne veux pas plutôt qu'on regarde Fight Club ?
- Mais non, papa, on le regarde tous les week-ends, et puis, j'ai cinq ans.
Donc tempêtes de boulettes de viande. Et j'ai cru voir un autre film. Pourtant, je les avais vues, les grosses ficelles sur la difficulté de communication entre un père dépassé par la technologie et un fils vaguement honteux d'être le fils d'un pêcheur de sardines mal dégrossi.Mais là, ça me semblait justement présenté pour des enfants de cinq ans. Et comment le manque de reconnaissance peut rendre vulnérable au sirène de la gloire au risque d'accepter de devenir quelqu'un qu'on n'est pas. j'avais trouvé ça lourdaud. Mais là, plutôt simple et vrai.
Alors le doute surgit. Si j'avais pris le temps de poster une critique sur un site de promotion du cinéma, une fois le l'aurais descendu, une fois, je l'aurais conseillé.
Du coup, quelle valeur peuvent avoir les chroniques "Ce que j'ai pensé de..." ? Si je relisais "Une femme fuyant l'annonce, le trouverais-je minable ? (je l'ai relu, c'est toujours aussi bien).
Rassurons nous ensemble en trois points.
Le premier, le temps de lecture. Un film, c'est court. Pour peu qu'on ait mangé un cassoulet à la graisse d'oie suivi d'un pudding de Noël, la pluie de boulettes de viandes peut avoir du mal à passer. Le livre est plus long, et c'est finalement lui qui façonne notre humeur durant le temps de la lecture plutôt que l'inverse.
Second point, j'ai menti, il n'y a qu'un point à mon argumentation.
À part le temps de lecture qui garantit un certain lissage de l'effet de l'humeur sur la critique il y a des raisons de continuer à faire de la critique littéraire. Voyons lesquelles en trois points.
Premier point, l'argumentation. J'essaie de donner des clefs pour comprendre le mécanisme qui m'a poussé à aimer ou non un livre. Lorsque j'écoute Nelly Kapriélian encenser un livre au Masque et la Plume, je peux être sûr qu'il sera un véritable calvaire pour moi. Mais son argumentation est souvent suffisante pour que je sache que ce qui l'a fait l'aimer me fasse le haïr.
Deuxième point, la contextualisation. Sainte Beuve pense qu'il est nécessaire de connaître la biographie d'un auteur pour en apprécier l'œuvre. Proust pense au contraire qu'il n'y a de vraie vie que la vie littéraire, et que celle que l'homme est contraint de vivre en dehors du temps béni qu'il passe à écrire ne peut ni sauver ni damner son œuvre qui une fois produite, comme un enfant doit savoir marcher seul, poursuit le chemin qu'elle fait dans nos esprits de façon autonome. Je pense pour ma part que c'est presque la biographie du critique qu'il serait nécessaire de connaître pour pouvoir lire posément sont avis. Et c'est ce que je m'efforce de faire dans "ce que j'ai pensé de", contextualiser ce qui m'a amené à lire un livre, apporter aux auditeurs de Canal B ou aux lecteurs de ce blog les clefs pour déchiffrer mes travers, mes manies, mes aversions indues.
Troisième point, la loi des grands nombres. Plus la taille d'un échantillon est grande, plus l'estimation est juste. Autrement dit plus nous sommes nombreux à chroniquer des livres, plus l'avis que peut se faire un lecteur potentiel sera juste.
Parce que c'est une de mes envies quand je chronique des livres : participer à ce que les gens soient contents des livres qu'ils achètent. C'est une question que je ne me posais que rarement quand j'avais des revenus confortables. Je me souviens de l'agacement que m'avait provoqué "Naissance d'un pont" de Maylis de Kerangal. Mais il m'avait suffit d'acheter un premier volume de La Recherche du temps perdu pour me consoler. Aujourd'hui, je compte les sous, je cours après les bouquins, et à la pénibilité de la lecture d'un livre déplaisant s'ajoute la vive conscience que l'argent dépensé pour ce livre ne le sera pas pour un autre meilleur.
Quatrième point, l'apprentissage de la lecture. À défaut de m'apprendre à compter, l'exercice de la chronique littéraire m'apprend à lire. Finie, la gloutonnerie. Le gourmand doit se changer en gourmet. Une histoire palpitante ne doit plus m'empêcher de prêter attention à l'écriture, un style hypnotique ne doit plus me faire oublier la construction du livre, l'évolution des personnages, la teneur du propos. Contre toute attente, le lecteur studieux, méticuleux et scrupuleux que je suis devenu ne prend pas moins de plaisir à lire et à écrire que le dilettante autodidacte que j'ai été pendant près de trente ans. Je suis comme un goret qui pensait que manger mieux l'aiderait à maigrir, mais qui se rend compte avec horreur que de manger bien ne lui coupe pas l'appétit. Mon corps jamais rassasié de fatigue regrette que l'instabilité de mon avis sur "Tempête de boulettes de viande" ne m'ait pas fait préférer le sommeil à la lecture d'Indignation, de Philip Roth, dont je proposerai bientôt ici une chronique.
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