Il est
toujours difficile d'apprécier une mélodie quand on est allergique
au son de l'instrument qui la joue. Je ne parviens pas apprécier
certaines œuvres de Bach, ni la majorité des pièces de César
Frank, parce que le son de l'orgue me fatigue après quelques
mesures. Il en va de même de la langue de Jean Echenoz. J'écoute
les critiques littéraires saluer la sobriété de cette écriture,
la concision de son propos, sa pudeur, sa délicatesse, et je me
demande s'ils sont sincères.
Cela ne
date pas du dernier roman de Jean Echenoz, 14, paru aux éditions de
minuit. Je me souviens d'avoir lu un autre de ses romans, Lac. Deux
fois. À la seconde lecture, au bout de quelques pages, je me suis
dit « mais j'ai déjà lu ça ». J'étais pourtant
incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Je crois que si je
relisais 14 dans un mois, j'aurais cette même impression. Et dès
lors que l'intellect n'est plus endormi par le plaisir de lire, il
titille, revient à la charge et demande :
- Pourquoi Jean Echenoz a-t-il écrit ce roman ?
- A-t-il voulu dire quelque chose sur la guerre de 14 ?
- Sur l'année 1914 ? Sur l'époque, sur la guerre en général ?
La
sobriété tourne au procédé, il ne s'agit plus d'une écriture à
l'os, mais d'une écriture squelettique, à mes yeux, à mes oreilles
surtout, tout juste vivante. Les quelques rebondissements m'ont
semblé accessoires, porteurs d'une valeur d'exemple, juste
démonstratifs. À force de ne pas se vouloir spectaculaire, le roman
ressemble à ces fleuves lisses et opaques dont on peine à croire
que leur eau provienne de torrents de montagne.
Certains
critiques ont parlé d'Anthime, un des cinq personnages principaux du
roman, comme s'ils l'avaient accompagné eux-même de l'usine au
front. Mais je n'ai jamais senti la vie d'Anthime, je n'ai retenu son
prénom que parce qu'il est désuet, et celui de Charles qu'à cause
d'un coup de théâtre microscopique et artificiel. Je n'ai jamais
vraiment vibré, jamais pleuré, jamais eu peur lorsque Echenoz
plonge ces hommes sacrifiés dans les profondeurs de cette guerre
dont je dois reconnaître qu'on ressent très fortement l'absurdité.
On la sent dans les odeurs de gaz ou de blessure, dans les retours
inaboutis, dans le monde dans lequel nous vivons et qui n'en finit
pas de découler des conflits du 20ème siècle. Mais les tics
d'écriture d'Echenoz ne m'ont par permis de rester plongé dans
cette absurdité. Sa manie d'attribuer aux objets une volonté - les
meubles ont des habitudes, la neige décide de tomber- ou les renvois
de sujets à la fin des phrases, ou les suivantes qui commencent par
un participe, tous ces procédés nuisent à la suspension
d'incrédulité et à mon plaisir de lecteur.
Parfois,
Echenoz semble oublier de se surveiller, de bien se conduire, de se
conduire tout court. C'est en général lorsqu'il parle de Blanche.
Comme si devant le seul personnage de femme, il mettait son humilité
au placard, sa volonté de faire sobre, de faire bien, comme s'il
décrivait juste une créature fascinante, ambiguë, qu'il ne
comprend pas vraiment et dont l'amour ne semble pas être une donnée
fixe, mais une respiration. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu,
qu'Echenoz étende cette respiration à tout le livre, qu'il ouvre
les fenêtres de son roman, qu'il sacrifie sa réputation d'écrivain
concis à l'élan qu'aurait mérité le récit de ces vies sacrifiée.
Bien-sûr, on est reconnaissant à Echenoz d'avoir évité l'épopée,
la fresque épique, les scènes de bravoure.
Mais la
respiration manque. Peut-être que l'auteur de Tesla et de Ravel a
voulu faire trop court, et que 14 se retrouve coincé par sa
concision, comme ces mers trop étroites et dans lesquelles les
forces combinées de la lune et du soleil ne parviennent pas à faire
naître des marées dignes de ce nom.
Une chronique enregistrée pour l'émission wake up call, sur Canal B.
L'audio par ici.
https://soundcloud.com/mgoussu-michel/wucmatthieu2013-04-21-echenoz
TL ; DR : Un récit de la guerre de 14. Le style sec de Jean Echenoz tourne à la supercherie, on peut se dispenser du livre, même si sa brièveté rend sa lecture possible.
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