Ce que j'ai pensé d'Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman,
aux Éditions du seuil.
Vous vous souvenez du premier grand livre que vous ayez vraiment aimé
? Je me souviens de ce dilemme atroce. L'envie et le plaisir poussent
à dévorer les mots, les lignes, les pages. Mais lire vite, c'est
s'approcher de la fin, quand vous quitterez les personnages, à
jamais. Ce moment où vous serez forcé d'admettre qu'il ne s'agit
que de personnages, de personnages de romans, qu'ils ne vous
connaissent pas, que vous ne pourrez jamais les serrer dans vos bras.
Combien de fois ai-je voulu serrer dans mes bras cette femme fuyant
l'annonce ? Combien de fois ai-je eu envie de lui demander
pardon, pour mon incapacité à savoir ce que ressent une mère, pour
l'injustice avec laquelle je peux juger la mienne ou celle de mon
enfant. Ora erre, Ora fuit les messagers qui viendraient lui dire que
son fils ne reviendra plus. Tant que personne ne peut la trouver,
personne ne peut lui apporter la nouvelle, alors la nouvelle ne peut
arriver. Elle marche pour protéger son fils. Elle parle pour
protéger son fils. Elle parle à son ancien amant, Avram, Avram,
l'ancien ami, l'ami de son mari Ilan. Avram, Ilan, Ora, adolescents
cloués en quarantaine et découvrant la mort pendant que dehors
résonnaient déjà les échos de la guerre israëlo-arabe, la
deuxième. Mais peut on vraiment compter les guerres ? Cette
région du monde sait-elle seulement ce qu'est la paix ?
Grossman ne délivre pas de message politique, simplement il décrit
la vie de tous ceux qui s'adaptent à cet état de crise permanent.
Ora n'est pas une passionaria, elle n'est pas une activiste, elle
n'est pas une mère pour la paix, mais elle n'est pas une va-t-en
guerre. C'est comme si elle savait que si la guerre continue, ce
n'est pas parce que l'ennemi fait peur, mais parce que la vie fait
peur. Parce que ce grand pays disparate, mosaïque de langues et de
culture ne tient, des deux côtés peut-être, que par l'effort
commun contre l'ennemi. Mais ce n'est pas de cela que le livre parle.
Ou c'est de cela et de tellement d'autres choses. Parfois, on ne veut
pas en dire trop pour ne pas dévoiler l'intrigue. Mort au spolier.
Mais là, ce qui pousse au silence, c'est la pudeur. Est-ce que je
parlerais à la radio de la façon dont mon ami a décidé de « vivre
sans but » après que ses tortionnaires égyptiens l'ont
enterré vivant ? Est ce que je parlerais à la radio de la
façon dont son meilleur ami a délaissé la femme qui lui avait tout
pardonné ? Je ne veux pas les exposer, je ne peux pas aller à
l'encontre de la pudeur que fait naître l'amitié. Et vous
comprendrez pourquoi en les rencontrant, parce qu'une fois qu'ils
seront aussi vos amis, votre famille, vous n'aurez pas envie d'en
parler sans trouver les mots justes, Et je ne peux pas trouver les
mots justes. Parce que je n'ai pas le talent de David Grossman.
Mais je peux parler de ces paysages qu'on découvre avec eux, des
chemins de terre et de sable qui sont aussi la Palestine. De ces
sources auxquelles on voudrait remplir sa gourde avant de rattraper
Ora et Avram, eh, attendez-moi, je veux la suite de l'histoire. De
ces montagnes qui se découpent au loin, un matin, et qu'il faudra
gravir le jour suivant. Je peux parler des asphodèles, des
térébenthes atlantiques, des chardons, et des chiens errants dans
les oliveraies. Comme cette petite chienne blessée, qui se détache
de la meute qui les a attaqués pour finalement suivre Ora et Avram.
Et on finit par croire qu'elle aussi protège ce fils au combat, on
finit par croire que chaque pas tisse une couverture contre les
balles, les bombes, les chars, contre l'absurde et contre la mort. On
finit par lire que chaque pas tisse à nouveau les liens de l'amitié
que l'horreur distend parce qu'il faut bien continuer à vivre, et
pour cela, s'éloigner de l'insupportable, il faut qu'Ora et Avram
continuent à marcher, continuent à parler, à raconter ce fisl, son
frère, cette famille, ce pays, cette histoire, parce que c'est bien
eux, et plus David Grossman, qui racontent cette histoire dont on
redoute la fin. Alors je me suis rappelé la peur de la fin. La peur
que j'avais en finissant l'Idiot, de Dostoievsky, ou chaque volume de
Proust, en finissant le Don paisible. Parce qu'un bon livre rend
heureux quand on le lit, un bon livre rend triste quand on le
termine. Et c'est parce que je suis triste de savoir que jamais je ne
serrerai ni Ora, ni Avram, ni ces fils, ni leurs pères, c'est parce
que je suis triste de savoir que je ne suis qu'un lecteur parmi
d'autre de ce chef d’œuvre de David Grossman que je suis heureux
de vous le présenter.
C'était une chronique de Michel Goussu pour l'émission wake up
call.
On peut encore écouter le fichier audio ici.
TL ; DR : Le récit poignant d'une mère qui pense qu'en fuyant l'annonce de la mort de son fils, elle empêche cette mort qu'elle croit inéluctable. Un portrait d'Israël autant que de cette femme, et de l'utopie qu'a pu être ce pays avant l'absurdité de l'occupation d'aujourd'hui. UN PUTAIN DE CHEF D’ŒUVRE, VU ?
On peut encore écouter le fichier audio ici.
TL ; DR : Le récit poignant d'une mère qui pense qu'en fuyant l'annonce de la mort de son fils, elle empêche cette mort qu'elle croit inéluctable. Un portrait d'Israël autant que de cette femme, et de l'utopie qu'a pu être ce pays avant l'absurdité de l'occupation d'aujourd'hui. UN PUTAIN DE CHEF D’ŒUVRE, VU ?
écouté et lu ! Bravissimo !
RépondreSupprimerMerci. Je n'avais pas vu qu'on pouvait laisser des commentaires. C'est gentil.
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