Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

jeudi 25 avril 2013

Les lisières, D'olivier Adam.


Ce que j'ai pensé des Lisières, le roman d'Olivier Adam, paru aux éditions Flammarion.

Le dernier roman d'Olivier Adam est touffu. il semble, comme son narrateur, vouloir tout embrasser : l'intime et le social, le psychologique et le romanesque, le particulier et le général, comme s'il peinait à se définir. C'est peut-être parce qu'Olivier Adam y raconte l'impossible construction de l'identité dans ces franges floues de notre société, qui sont pourtant en train d'en devenir la norme : les lisières, les bordures, de l'autre côté des rocades et des périphériques, ces zones d'habitation plus que de vie, dont on essaie de changer le nom régulièrement - banlieues, quartiers - à défaut de pouvoir en changer la nature.

Il faut l'hospitalisation de sa mère et les appels culpabilisants de sa famille pour que le narrateur se rende dans la ville où il a passé son enfance et son adolescence. Et le fossé qui le sépare de ceux qui sont restés résonne comme une accusation. L'écrivain doit se débattre avec la mauvaise conscience de ceux qui s'en sont sortis, en butte aux reproches à peine voilés des autres, ceux qui ne voient l'auteur que comme un parvenu oisif qui se contente de décrire la dure réalité qu'ils doivent, eux, vivre, au quotidien.

Pourtant, ces reproches ne pèsent pas lourd dans le malaise qui s'installe au fil du livre. Ce qui pèse, c'est l'incompréhension, le rendez-vous manqué. Parce qu'il pense que les existences normales méritent d'être racontées, que les classes moyenne et populaire sont un sujet de littérature, Olivier Adam est souvent caricaturé par ses pairs : écrivain engagé, écrivain social, pire, écrivain populaire, et trop rarement écrivain tout court. Mais populaires, ses livres ne le sont précisément pas auprès des anciens camarades qu'il retrouve. « Tout le monde n'a pas envie de se prendre la tête comme toi. » Même lorsqu'il évoque les franges les plus accessibles de son travail, les films qui sont adaptés de ses livres, le narrateur reçoit : « Tout le monde n'a pas envie de se prendre la tête comme toi. »

Il y a dans cette phrase terrible toute la fatigue des gens épuisés, mais aussi leur manque de curiosité, leur passivité, leur fatalisme face à la vie périphérique, sans perspective, sans espoir. Mais le filtre social dont Olivier Adam a hérité de Bourdieu et d'Annie Ernaux ne suffit pas. Il faut regarder quels livres se vendent le plus, quels films remplissent les salles, pour comprendre que le social ne peut expliquer à lui seul ce sentiment de non-appartenance, ce sentiment d'étrangeté que ressentiront toujours les individus les plus sensibles. Double sentiment d'étrangeté, ici. Le narrateur est devenu étranger aux gens qu'il a fuis, mais est resté étrange pour ceux qu'il a rejoints.

C'est d'ailleurs sur ce sentiment d'étrangeté qu'Olivier Adam articule l'équilibre délicat entre la fiction et la réalité. On sait que lui aussi a quitté la banlieue pour Paris, puis, comme le ferait toute personne sensée qui en a les moyens, Paris pour la Bretagne. Mais c'est la fiction qui lui permet à la fois de dire sans dénoncer, de décrire en essayant de ne pas les éclabousser les personnes dont il s'inspire et d'évoquer le pire - le divorce, Alzheimer, la Dépression, la mort, le rejet. Mais la fiction chez Olivier Adam incorpore assez de réel pour qu'on ne se sente pas floué, qu'on ne se dise pas, « je pleure pour Paul Steiner qui n'existe pas, alors que mon voisin de palier m'insupporte.» Reste qu'à vouloir lier la fiction et le réel, Olivier Adam manque parfois de détachement. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, que cet équilibre entre la fiction et le réel s'accompagne d'un style plus léger, moins bavard. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'Olivier Adam laisse plus de place aux autres personnages, qui, malgré l'empathie qu'il a pour eux, nous semblent, dans ce roman poignant autant que dans dans leur existence, cantonnés aux lisières.

C'était une chronique de Michel Goussu pour l'émission Wake Up Call.
A écouter / Télécharger ici. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'avez-vous pensé de ce que j'ai pensé de ? Les commentaires sont bienvenus.