Le
dernier roman d'Olivier Adam est touffu. il semble, comme son
narrateur, vouloir tout embrasser : l'intime et le social, le
psychologique et le romanesque, le particulier et le général, comme
s'il peinait à se définir. C'est peut-être parce qu'Olivier Adam y
raconte l'impossible construction de l'identité dans ces franges
floues de notre société, qui sont pourtant en train d'en devenir la
norme : les lisières, les bordures, de l'autre côté des
rocades et des périphériques, ces zones d'habitation plus que de
vie, dont on essaie de changer le nom régulièrement - banlieues,
quartiers - à défaut de pouvoir en changer la nature.
Il faut
l'hospitalisation de sa mère et les appels culpabilisants de sa
famille pour que le narrateur se rende dans la ville où il a passé
son enfance et son adolescence. Et le fossé qui le sépare de ceux
qui sont restés résonne comme une accusation. L'écrivain doit se
débattre avec la mauvaise conscience de ceux qui s'en sont sortis,
en butte aux reproches à peine voilés des autres, ceux qui ne
voient l'auteur que comme un parvenu oisif qui se contente de décrire
la dure réalité qu'ils doivent, eux, vivre, au quotidien.
Pourtant,
ces reproches ne pèsent pas lourd dans le malaise qui s'installe au
fil du livre. Ce qui pèse, c'est l'incompréhension, le rendez-vous
manqué. Parce qu'il pense que les existences normales méritent
d'être racontées, que les classes moyenne et populaire sont un
sujet de littérature, Olivier Adam est souvent caricaturé par ses
pairs : écrivain engagé, écrivain social, pire, écrivain
populaire, et trop rarement écrivain tout court. Mais
populaires, ses livres ne le sont précisément pas auprès des
anciens camarades qu'il retrouve. « Tout le monde n'a pas
envie de se prendre la tête comme toi. » Même lorsqu'il
évoque les franges les plus accessibles de son travail, les films qui
sont adaptés de ses livres, le narrateur reçoit : « Tout
le monde n'a pas envie de se prendre la tête comme toi. »
Il y a
dans cette phrase terrible toute la fatigue des gens épuisés, mais
aussi leur manque de curiosité, leur passivité, leur fatalisme face
à la vie périphérique, sans perspective, sans espoir. Mais le
filtre social dont Olivier Adam a hérité de Bourdieu et d'Annie
Ernaux ne suffit pas. Il faut regarder quels livres se vendent le
plus, quels films remplissent les salles, pour comprendre que le
social ne peut expliquer à lui seul ce sentiment de
non-appartenance, ce sentiment d'étrangeté que ressentiront
toujours les individus les plus sensibles. Double sentiment
d'étrangeté, ici. Le narrateur est devenu étranger aux gens qu'il
a fuis, mais est resté étrange pour ceux qu'il a rejoints.
C'est
d'ailleurs sur ce sentiment d'étrangeté qu'Olivier Adam articule
l'équilibre délicat entre la fiction et la réalité. On sait que
lui aussi a quitté la banlieue pour Paris, puis, comme le ferait
toute personne sensée qui en a les moyens, Paris pour la Bretagne.
Mais c'est la fiction qui lui permet à la fois de dire sans
dénoncer, de décrire en essayant de ne pas les éclabousser les
personnes dont il s'inspire et d'évoquer le pire - le divorce,
Alzheimer, la Dépression, la mort, le rejet. Mais la fiction chez
Olivier Adam incorpore assez de réel pour qu'on ne se sente pas
floué, qu'on ne se dise pas, « je pleure pour Paul Steiner qui
n'existe pas, alors que mon voisin de palier m'insupporte.» Reste
qu'à vouloir lier la fiction et le réel, Olivier Adam manque
parfois de détachement. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, que
cet équilibre entre la fiction et le réel s'accompagne d'un style
plus léger, moins bavard. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu,
qu'Olivier Adam laisse plus de place aux autres personnages, qui,
malgré l'empathie qu'il a pour eux, nous semblent, dans ce roman
poignant autant que dans dans leur existence, cantonnés aux
lisières.
C'était
une chronique de Michel Goussu pour l'émission Wake Up Call.
A écouter / Télécharger ici.
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