Auteur :
Stephen Davis
Traducteur :
Philippe Paringaux
Éditeur :
Le Mot et le Reste
Je suis de
la génération qui a tué le Rock, celle qui de Cure à DJ Shadow en
passant par NTM et Wu tang Clan a ringardisé les guitar-heroes. La
première fois que j'ai entendu Led Zeppelin, c'était pour le
concert de Live Aid. J'avais dix ans et je voyais à la télévision
ce que les années quatre-vingt faisaient de pire. J'ai cru pendant
des années que Stairway to Heaven était une chanson niaise et que
Robert Plant avait toujours sautillé avec une nuque longue, un
tambourin à la main, et une chemise en soie bleu. La batterie floue
de Phil Collins, le solo raté qui semblait pourtant mettre la foule
en délire, pour moi, Led Zeppelin relevait de l'escroquerie. Le
rock à guitare pour ma génération ce serait Nirvana, ce serait
Rage Against The Machine, qui me semblerait sortir de nulle part.
Pour comprendre qu'avant d'être caritatif, Led Zeppelin avait été
charismatique, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. En
1993, pourtant j'avais acheté, pour l'objet, un vinyle bizarre des
albums IV et V, trouvé dans les bacs du disquaire d'état de feu
l'Union Soviétique. Led Zepppelin était inscrit en lettres
cyrilliques et les titres des chansons étaient traduits pour le
marché russe. Black Dog, jusqu'à la fin des temps, s'appellera pour
moi Tchiornaia Sabaka. J'avais alors compris. Stairway to Heaven
n'était pas qu'une ritournelle romantique, que des adolescent
boutonneux jouaient, toujours mal, pour draguer des filles de l'âge
de Lori Maddox à la grande époque. J'avais compris mais je n'avais
rien senti. Pour palper l'hystérie que provoquait le dirigeable
plombé, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. Stephen
Davis nous la fournit, en se servant du marteau des dieux pour nous
ramener de force à cette époque où le rock était Epic ou
Atlantic, à cette époque où le rock se nourrissait de l'énergie
profonde d'un changement radical de la société.
Le livre de
Davis est un monument et il faudrait plus d'une émission pour parler
de la carrière du Zeppelin, mais je voudrais mettre en lumière ce
qui était resté dans l'ombre, au moins pour moi, avant la lecture
de Hammer of the gods.
Et c'est
d'abord tout ce qui se passe avant Led Zeppelin qui m'était
étranger. L'ambiance de fanatisme blues qui agitait Londres dans les
années soixante. Comment Jeff Beck, Clapton, Jimmy Page émergent de
ce même magma comme d'une brume du delta, comment ils se respectent,
se défient. Jimmy Page, et sa vie de guitariste studio, qui lui
apprend dans le même temps son art et le sens du business. Le sens
du fric, même, et un certain cynisme qui lui permettra de mener une
OPA sur les Yardbirds, cadavre qui donnera naissance à Led Zeppelin.
Ce contraste entre les londoniens Page et Jones, professionnels,
presque cérébraux, et Bonham et Plant, plus naïfs, plus
provinciaux circule à travers tout le livre. Le courant ne cessera
de passer entre ces deux pôles, modifiant sans cesse l'équilibre
précaire entre le romantisme bon enfant et les dérives
autodestructrices, entre la recherche mélodique et les saccages de
chambre d'hôtel, entre l'intégrité artistique poussée à son
maximum, on pense aux pochettes d'albums ou aux relations avec la
presse, et un lamentable exil fiscal qui signera le début du pétage
de plomb. Mais ce courant sera tellement fort qu'il est trop faible
de dire qu'il électrisait son public : il l'électrifiait comme une
décharge létale, qui laissait les salles, les équipes de roadies,
les managers cramés comme des fusibles sans disjoncteur.
C'est
l'autre merveille du livre de nous offrir les portraits de Richard
Cole et de Peter Grant. On ne mesure pas l'importance qu'a eu ce
dernier sur le fonctionnement de l'industrie musicale. On a du mal à
imaginer aujourd'hui qu'un ancien ouvrier métallurgiste ancien
videur de boîte de nuit, ancien catcheur, ancien cascadeur puisse
devenir le manager le plus influent de toute la scène rock, mais à
l'époque où le livre de Davis nous transporte, ce genre de choses
était possibles. D'ailleurs tout semble possible, à cette époque.
Le meilleur comme le pire. Le sida n'existe pas, la prospérité
économique et la drogue se développent main dans la main, et on on
ne mesure encore la nocivité ni de l'une, ni de l'autre. Mais tous
ces excès ont encore un goût de première fois. Un goût de
révolution.
Bien-sûr,
le livre de Stephen Davis pousse parfois l'indulgence un peu loin.
Bien-sûr, il y a un côté enfant-gâté insupportable chez ces
types qui passent leur temps à baiser des groupies en disant que
leurs femmes leur manquent. Bien sûr l'attirance morbide pour
l'occultisme grotesque d'Alister Crowley nous parait aujourd'hui plus
ringard qu'inquiétant. Bien-sûr, la rage d'amasser des monceaux de
dollars quitte à se priver dans l'exil de leurs familles respectives
nous fait plus penser à Johnny Halliday qu'a l'énigmatique Robert
Johnson, influence Blues revendiquée par tous les passagers du
Zeppelin.
Mais on ne
peut s'empêcher de penser que la mort de John Bonham ne signe pas
seulement la fin de Led Zeppelin, mais la fin d'une époque. L'entrée
dans les années 80, c'est le début de rien et la fin d'une époque.
Lorsqu'en 1992, adolescent, je découvre le titre Wake Up, de Rage
Against The Machine, après des années à me guérir de la new wave
avec l'émergence du rap ou de la techno, ça me semble sortir de
nulle part. Mais il faut écouter l'une après l'autre l'intro de
wake up et celle de Kashemir sur Physical Graffiti pour comprendre
que Led Zeppelin n'a jamais cessé d'influencer le rock, et que
l'esprit de sédition et d'excès sincère qu'il véhiculait peut
s'éclipser mais qu'il ne disparaît pas. Jamais.
PS : L'audio de cette chronique ne peut pas être mis en ligne car les (courts) extraits de son que j'y propose sont sous copyright... [EDIT] : Vous pouvez écouter la chronique à cette adresse ! http://www.divshare.com/download/24026457-ef8
TL ; DR : L'épopée de Led Zeppelin. Foisonnant, passionnant, nécessaire.
Texte très intéressant, pour mieux comprendre comment un "gain" des années '80 et '90 a réussi à venir jusqu'à Led Zeppelin.
RépondreSupprimerJ'échange votre chronique contre celle d'un "gamin" des années '70 et '80 :
http://lespenseesdepascal.blogspot.fr/2014/12/hammer-of-gods.html