Lorsque j'ai commencéVerlaine avant-centre, de Jean-Louis Crimon, disponible au Castor
Astral, je savais que c'était un peu cruel de ma part. Un auteur a
toujours envie qu'on lui parle de son dernier né, et pas du roman
qu'il a écrit il y a dix ans (20 ans en l'occurence pour celui-ci). Mais voilà, lorsque je l'ai rencontré
au salon Étonnants voyageurs, j'ai lu la première phrase de
Verlaine avant centre, et je n'ai plus eu envie de le quitter.
« Aujourd'hui encore je
me demande si ce qui me rend le plus malheureux, c'est de ne pas
savoir qui de nous trois a eu le premier l'idée d'inventer la vache
bleue, ou bien si c'est d'avoir seul pressenti que l'été de la
vache bleue ne reviendrait plus jamais. »
S'il y a une chose difficile
en littérature, c'est de faire parler les enfants. On leur prête
souvent des langages trop simples, ou trop fantaisistes, et on passe
à côté de leur logique implacable, pas encore usée dans les
angles par l'érosion de la politesse, de la convention, par les
implicites que l'habitude finit par installer.
Immédiatement, on a envie de
prendre dans les bras ce petit narrateur à qui Crimon prête une
voix si juste. Plutôt, on a envie de le rejoindre dans cet âge où
l'amour circule encore, et avant tout l'amour entre le père et le
fils. Chaque jour, ils rejouent un des buts marqués par leur héros
lors de la dernière coupe du monde. Le petit garçon prend le rôle
de Just Fontaine, le mythique buteur du stade de Reims. Le père et
les arbres du vergers seront tous les autres joueurs. Ce père qui
multiplie les heures pour faire bouillir la marmite, puise sa fierté
dans les victoires de son club, de son joueur, plaisir de prolo que
Crimon nous montre sans populisme ni condescendance, comme un
souvenir d'une enfance où les choses, et les gens, étaient durs
mais simples.
Enfin, pas si simple, les
rapports avec les gamins de l'école. On se moque de son œil qui
louche, mais surtout, on se déchaîne sur celui qui hésite entre
devenir footballeur et devenir écrivain. Il suffit que son
professeur le félicite pour une phrase, une simple phrase, pour que
la haine des paysans taiseux se déploie. La méchanceté s'acharne
toujours sur ceux qui sortent un peu du cadre.
Bien-sûr, on aurait aimé,
enfin, j'aurais aimé, que Crimon sorte de son propre cadre car la
description des buts qui clôture chaque chapitre finit par être un
peu répétitive, du moins pour qui n'a pas vécu la coupe du monde
de foot de l'année 1958. Et pourtant. Cette scène 13 fois
recommencée où les arbres prennent la place des attaquants
adverses, la minutie avec laquelle le père et le fils se préparent,
c'est un langage d'amour silencieux. Les mots, eux, sont réservés à
sa mère, qui aimerait les coucher sur le papier mais que la vie
cloue à sa lessiveuse, sa cuisine, à la pauvreté du ménage, ou à
sa tante, qui aurait croisé Verlaine dans un café parisien et qui
garde précieusement un exemplaire de Jadis et Naguère. Verlaine
avant centre a les maladresses de son narrateur et c'est ce qui en
fait non pas un produit, mais un livre. De ceux qui nous rappellent
que le temps, en fait, n'atteint jamais vraiment l'enfant qui survit
en nous, séquestré, ligoté, bâillonné, cet enfant qui voulait
être, comme Jean-Louis Crimon, Verlaine avant centre, disponible au
Castor Astral.
L'audio disponible ici, cache un petit clin d'œil au dernier paragraphe, issu d'un truc de Weber, Der Freischütz Overture.
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