En inscrivant Le manoir de Tyneford de Natasha Solomons
à sa sélection du mois de mai, le Prix des lecteurs du livre de
Poche revendique son goût pour la romance historique. Les premières
pages agissent comme une bombe à fragmentation. D'abord
l'antisémitisme sépare les juifs du reste de la bourgeoisie
viennoise du début du vingtième siècle, puis il isole encore plus
Elise Landau du reste de sa famille. Elle n'est ni violoniste, ni
chanteuse, ni écrivain, ni ingénieur, alors l'Amérique ne lui tend
pas les bras, et c'est comme femme de chambre qu'elle sera attendue
par une Angleterre rigide et condescendante.
Il y avait là matière à un grand roman sur la
dégringolade sociale, à un retour de mémoire sur la façon dont
l'occident entier a traité les exilés juifs, il y avait là matière
à un portrait cruel de la bourgeoisie britannique du milieu du
vingtième siècle.
Et il faut reconnaître qu'on retrouve un peu de tout ça
dans le roman de Natasha Solomons. Mais tout est montré par le petit
bout de la lorgnette. La narratrice, Elise Landau, est une figure de
vilain petit canard sacrifié qui se transformera en cygne fort et
digne à la hauteur du manoir de Tyneford. Mais ce n'est pas son
courage, son abnégation au travail qui lui permettent de gagner le
respect des maîtres du domaine, c'est une banale histoire d'amour banale et téléphonée, une histoire dont Hollywood n'oserait même pas faire une
comédie romantique.
Et encore, cela pourrait sans doute marcher si on
parvenait à s'attacher à la jeune fille, mais son égocentrisme
nous fait soupçonner qu'il est celui de l'auteure, et on peine à
tourner les pages sans en sauter une dizaine malencontreusement.
Pourtant, les rares descriptions des bâtiments, des
paysages, ou des personnages secondaires montrent un véritable
talent d'écriture, mais il semble que Natasha Solomons ait peur
d'ennuyer ses lecteurs, et elle noie les moments contemplatifs dans
des pages de dialogues naïfs.
La justification des péripéties apparaît souvent
après-coup. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que les
revirements soient rendus crédibles par la personnalité des
personnages, par leur complexité, leurs failles. Un roman qui
fait plus de 500 pages doit permettre que la cohérence des
protagonistes soit construite sur la durée.
On ne pourra donc apprécier Le manoir de Tyneford, de Natasha Solomons, paru au livre de Poche, que si on l'accepte pour ce
qu'il est : un roman à l'eau de rose où l'Histoire est moins
contexte que prétexte à des histoires d'amour plutôt
rocambolesques.
Le Manoir de Tyneford, Paru au livre de Poche, 7.60 €
La chronique audio est disponible ici, avec un fond sonore d'une paresse étonnante puisqu'il s'agit du thème de la leçon de piano.
TL ; DR : Une romance historique entre une jeune bourgeoise juive viennoise et le presque lord anglais dont elle devient la femme de chambre. Dispensable, mais pas illisible si on veut un roman à l'eau de rose... avec un nuage de lait.
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