
La thématique de la perte des parents et de la corruption de l'âme humaine est un prétexte à la réunion de ces textes, dont le choix illustre en fait l'évolution du style de Proust. Tous les éléments de Mademoiselle de Vinteuil sont déjà présent dans la narratrice de la Confession. Toute l'ambivalence du rapport de Proust à la mondanité est déjà dans Violante. Mais tout le style de Proust est enfin dans le dernier texte, qui n'est pourtant qu'un article de fait divers.
On voit comment Proust se fait phagocyter par la littérature. Les premiers textes sont ceux d'un débutant, ils montrent encore des maladresses, de l'hésitation. La narration est contaminée par l'explication, qui ressemble à une forme de politesse.
L'article du Figaro, au contraire est à la limite de l'incorrection. Alors qu'il parle d'une de ses propres connaissances qui a tué sa mère, Proust digresse, s'évade, cite les textes antiques, décrit merveilleusement l'arrivée du froid sur les villes. Il semble n'avoir finalement que peu de compassion pour celui qui s'est donné la mort après l'avoir donnée à celle qui lui donna la vie. Plus encore que de l'impolitesse, on pourrait y voir une volonté de tirer à soi la couverture, de se faire mousser. Or c'est précisément l'année de la parution de cet article que Proust commence la rédaction de La Recherche. Il ne s'agit plus là d'égocentrisme, mais d'oeuvrocentrisme. L'œuvre devient une fonction vitale de l'auteur, à laquelle toutes les autres sont sacrifiées, le sommeil, la respiration, la socialisation... Le style de La Recherche est déjà là, La Recherche est déjà là, comme une bête tapie qui s'apprête à dévorer son créateur, au-delà de la morale, des conventions d'écriture, de la narration. Déjà Proust sait jouer avec l'ennui du lecteur, avec son attention, avec la lenteur, les accélérations, les sensations, les retournements, La Recherche est là comme un double qui prend petit à petit le contrôle de la réalité.
Toute l'intelligence de La Confession d'une jeune Fille », paru dans la collection Les inattendus, au Castor Astral est de casser le mythe du Proust dilettante, amateur, et de montrer qu'il n'a en fait jamais dispersé son énergie, qu'il n'a jamais creusé qu'un seul sillon, n'a jamais tendu que la corde d'un seul arc, jusqu'à ce qu'enfin La recherche du temps perdu jaillisse, une flèche qui, encore cent ans après, touche toujours la cible en plein cœur.
Marcel Proust, La confession d'une jeune fille, Le castor Astral Editions, 12 €.
L'audio est disponible ici.
NOTE : il manque quelque chose à cette chronique, saurez-vous me l'indiquer dans les commentaires ? C'est sans doute parce que la saison "Des poches sous les yeux' est finie que je continue à me priver de ce petit quelque chose qui reviendra dès la chronique de la semaine prochaine.
TL ; DR : Trois petits morceaux de Proust d'avant La Recherche du temps perdu, ou comment le style d'un écrivain s'impose envers et contre tout.