Il y a
vingt ans, Jérôme Garcin expliquait chez Ardisson qu'il préférait
écrire de bons papiers que de mauvais livres. Il ne voulait pas être
à la fois juge et partie, à la fois écrivain et journaliste
culturel. On serait tenté de le lui rappeler si Olivier, paru aux
éditions Folio, était un de ces romans que les hommes de médias
écrivent trop vite pour tenter de faire croire qu'ils sont aussi des
auteurs. Mais l'évidence s'impose au fil de ce troisième récit
autobiographique : il s'agit d'un acte de nécessité, sincère,
indispensable. Une façon de déposer un fardeau trop longtemps
chéri : la mémoire de son jumeau fauché par un chauffard à
la veille de ses six ans. Les premières pages évoquent l'époque
qui suit immédiatement le drame, et l'impression de réel est
terrifiante. Il ne reste plus de détails épisodiques, mais des
souvenirs émotionnels, des sensations confuses et envahissantes. La
gémellité perdue comme une vie bancale.
On
poursuit le livre parce que l'écriture de Jérôme Garcin est
élégante et intemporelle. Ils ne sont pas nombreux les auteurs qui
osent aujourd'hui faire une phrase de plus de dix lignes. Moins
nombreux encore ceux qui parviennent à y mêler la grâce et la
précision d'un portrait. Par exemple celui d'un père dont l'amour
pour le jumeau survivant peut prendre la forme d'une gifle chargée
d'angoisse.
« Je
pris conscience, ce jour-là, des efforts démesurés, inhumains
qu'il déployait pour ne rien laisser paraître de sa détresse, pour
garder l'air impassible, le port hiératique, l'allure barrésienne,
que lui ont souvent reprochés ceux qui, ne le connaissant pas, ne
cherchant même pas à le comprendre, et sans doute trop occupés
d'eux-mêmes, prenaient pour de la forfanterie une épouvante sans
cesse réprimée et pour de la vanité son goût cassant de
l'isolement, son goût croissant de la fuite en avant. »
Olivier
est mort si jeune qu'il n'est finalement presque question que de
Jérôme dans ce livre. C'est à la fois inévitable et gênant.
Lorsque l'auteur reconstruit ce qu'aurait pu être leur vie, on
consent à entrer en empathie avec sa démarche, même si elle est
claudicante et qu'on ne voit pas bien où elle le mène. Mais
lorsqu'il y mêle des considérations littéraires, médicales et
surtout spirituelles, le cerveau prend le pas sur le cœur, l'émotion
fait place à un ennui embarrassé. Les idées générales sur la
gémellité sont d'une banalité qui détonne avec la force du récit.
On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre fût encore plus
court mais qu'il nous épargne ces considérations théoriques :
elles nous éloignent du fantôme qui nous devenait familier. Ce sont
les gens qu'il rencontre qui nous y ramènent. Pas les écrivains ou
les gens célèbres, ces passages sont plutôt ennuyeux, mais la
nounou de son enfance, de leur enfance, ou ce cousin... mais il ne
faut pas trop en dire, le livre réserve quelques surprises. Lorsque
Jérôme Garcin cesse de chercher à comprendre, lorsqu'il cesse
d'intellectualiser, de faire du lien à tout prix, avec des outils
aussi boiteux que la religion ou la psychanalyse, lorsqu'il laisse la
mort déployer toute son atroce absurdité, il touche du doigt ce
dont la vie est faite. Il nous parle de ses proches, de cette famille
scandaleusement épanouie et c'est un formidable pied de nez que la
joie oppose au destin, aussi morbide soit-il. Olivier, le récit de de Jérôme Garcin, paru aux éditions Folio, est tout sauf un mausolée,
c'est une déclaration de gratitude de l'auteur à ceux qui
l'accompagnent, morts ou vivants.
La chronique en audio est disponible ici. Et bientôt diffusée dans la rubrique Des Poches Sous les Yeux, de Radio béton.
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