Les prépondérants, de
Hédi Kaddour, disponible chez Folio ou en Audiobook dans la collection Écoutez lire de Gallimard, décrit l'arrivée d'une équipe de tournage américain
dans une ville d'Afrique du Nord, Nahbès.
Le roman commence mal.
La langue est assez morne. Les personnages un peu classiques. Raouf,
d'abord, le fils du caïd, un jeune musulman éduqué, éclairé, se
servant de sa connaissance des deux cultures pour contrer l'assurance
morale dont se drapent les colons. Leur supériorité technique
agricole, commerciale, et bien entendu militaire et policière, ils
l'habillent du doux nom de Prépondérance.
Ganthier est le
prototype du prépondérant. Mais son intelligence, sa sensibilité
s’immiscent parfois dans sa volonté d'étendre son emprise sur une
terre qu'il aime. Qu'il aime, vraiment. L'arrivée des américains, leur
familiarité avec ceux que les colons appellent parfois les
indigènes, leurs femmes bavardes et joyeuses, ce coup de vent
inattendu, le choc des cultures, le risque de caricature était à
chaque coin d'oasis. Mais non, Kaddour fait preuve d'une véritable
finesse dans la description de cet autre espèce de dominations
qu'ils transportent avec eux. Et on s'attache de plus en plus à ce
livre parce que l'auteur contourne les obstacles avec une langue dont
on finit par comprendre que le classicisme est une forme de douceur.
En ayant l'air de
suivre les histoires d'amours des uns et des autres, en osant le pari
d'un voyage en Europe où le jeune Raouf s'entendra dire par
Ganthier : « vous m'emmerdez, jeune Raouf » chaque
fois qu'il enfoncera un coin dans ses certitudes coloniales, Hedi
Kadour prend encore le pari de situations casse-gueule dont il se
tire toujours en suivant la logique interne de ses personnages.
Kathryn, la belle actrice américaine, Gabrielle, la journaliste
française engagée, Rania, la cousine de Raouf, en veuve qui refuse
de vendre ses terres à Ganthier, Hédi Kadour fait la part belle aux
femmes. Elles voient, elles se jouent des hommes, de leurs illusions
de puissance, elles se servent de leurs désirs, y cèdent plus
rarement.
Bien-sûr, le doute
s'insinue parfois : ces personnages, si proches de nous, si
modernes, est-ce qu'on a si peu changé depuis cent ans ou est-ce
qu'Hédi Kaddour nous les rend un peu trop semblables pour qu'on s'y
attache un peu plus ? On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé,
avoir la culture suffisante pour me faire une idée. Mais à vrai
dire, on se laisse envahir par l'impression inexorable que ce monde
est en train de craquer, que la guerre qui arrive ne sera qu'une
violente interruption dans un processus inexorable de chute des
empires, et on ne peut s'empêcher de se dire que si l'amour et le
désir incontrôlable, la peur de manquer et la soif de justice, si
la jeunesse et la désillusion luttent les unes contre les autres
depuis si longtemps, alors, cette ambiance de fin de règne qui nous
saisit à chaque nouveau scandale, à chaque nouveau sondage
nauséabond, à chaque bateau qui sombre d'un côté ou de l'autre de
la Méditerranée annonce la remise en question des prépondérances
sur lesquelles repose notre tranquillité.
Avec sa langue lisse,
calme, un peu fade, Hédi Kadour nous fait ressentir, sans effet de manche, avec le cœur,
qu'il faut se méfier de l'eau dans laquelle dorment trop de
cadavres.
Et on se dit que
peut-être, aujourd'hui, nous sommes ces Prépondérants, que décrit
Heddi Kadour dans son roman disponible en Folio Poches ou en
audiobook dans la collection Écoutez Lire chez Gallimard.
Note : la version audiobook est lue par un Pierre-François Garel qui prend son temps, mais dont la voix grave prononce avec délice les phrases des poèmes arabes.
Note : la version audiobook est lue par un Pierre-François Garel qui prend son temps, mais dont la voix grave prononce avec délice les phrases des poèmes arabes.
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