La place est un récit d'Annie Ernaux, disponible chez
Folio Poches. C'est avec ce livre qu'elle a été distinguée pour la
première fois d'un prix littéraire. C'était le Prix Renaudot, en
1984.
Tout ce dont Annie Ernaux se réclame aujourd'hui était déjà
dans La place : la description sans fard d'une réalité
sociologiquement choisie. Aujourd'hui elle dit " la réalité des
invisibles."
Dans La place, il s'agit de la réalité quotidienne de
ses parents, qui tiennent un café épicerie dans une ville moyenne
de Haute-Normandie.
Le récit est pareil à la vie qu'ils mènent,
entièrement placé sous le signe de l'économie. Dans les deux cas,
c'est l'économie qui permet de sortir de sa condition. Pour les
parents, grimper un barreau de l'échelle sociale : ne plus être
ouvrier. Pour l'auteure, éviter ce qui, du monde où elle a fini par
entrer, l’exclurait immédiatement : le mauvais goût.
Le livre est réussi mais il décrit l'échec, les
échecs. D'abord celui du père.
Mon père voulait honorer mes amies et passer pour
quelqu'un qui a du savoir-vivre. Il révélait surtout une
infériorité qu'elles reconnaissaient malgré elles, en disant par
exemple, « bonjour monsieur, comme ça va-ti ? ».
Puis l'échec du roman :
Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour
rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le
droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire
quelque chose de « passionnant », ou d' « émouvant ».
Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les
faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence
que j'ai aussi partagée. [...]
Aucune poésie du souvenir, pas de dérision
jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même
que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour
leur dire les nouvelles essentielles.
Pourtant cette écriture plate est une réussite.
Énigmatique. Annie Ernaux écrit comme Catherine Deneuve jouait dans
Belle de jour. Une voix blanche, un non jeu énervant, agaçant,
insupportable, mais hypnotique.
L'échec enfin vient de ce que l'extraction de sa classe
sociale semble impossible. Reste l'Obsession : «
Qu'est ce qu'on va penser de nous ? » (les voisins, les
clients, tout le monde).
Annie Ernaux nous livre la clé de son style empêché,
privé de tout ce qui dépasse, de toute fantaisie, triste et beau
comme le visage de Charlotte Rampling.
Bavard au café, en famille, devant les gens qui
parlaient bien il se taisait, ou il s'arrêtait au milieu d'une
phrase, disant « n'est-ce pas » ou simplement « pas »
avec un geste de la main pour inviter la personne à comprendre et à
poursuivre à sa place. Toujours parler avec précaution, peur
indicible du mot de travers, d'aussi mauvais effet que de lâcher un
pet.
On était tout de même heureux, dans La place ,
le récit d'Annie Ernaux, paru en Folio, parce qu'il le fallait
bien, mais sous le bonheur on devine la crispation de
l'aisance gagnée à l'arraché, et on referme l'ouvrage avec
l'envie de serrer l'auteure dans les bras, de lui dire qu'il n'y a
pas d'existence qui se mérite, mais qu'on a le mérite d'exister.
L'audio est ici, grâce à sa majesté SR, sur un fonds sonore composé par tomuks, dont vous pouvez retrouver les morceaux là, en attendant qu'il finisse son projet de ouf (vas-y mec).
TL;DR : Annie Ernaux décrit la vie de ses parents,
petits commerçants haut-normands. L'économie de moyen est totale,
et on a presque honte d'aimer lire ce qui semble presque la gêner de
nous livrer.
Oh se citer soi-même, dissonance narcissique sur une telle critique qui fait l'éloge de l'économie de la simplicité et de la simplicité de l'économe ! De surcroît il manque le "on aurait aimé, enfin j'aurais aimé"... tout fout le camp ! et toc j'ai fait une critique de cette critique...
RépondreSupprimeret moi je cite mes sources : "j'ai vu une peinture de cette peinture" Kung Fu Panda I ;D
MERCI ! Oh putain, comme tu me fais plaisir ! L'absence de 'on aurait voulu' était voulue, le genre de putain de test que font les depressos en changeant leur date d'anniv sur facebook pour voir si les gens leur souhaitent une deuxième fois, et j'étais putain de déprimé que personne, pas même le philosophe SR ne l'ait remarqué.
RépondreSupprimerJ'ai mis trois fois putain, mais je suis content, merci vieux, vraiment, ça me foutait les boules que personne n'ait remarqué ! Je suis content d'avoir commenté ton commentaire.
Comment passer après un commentaire qui fait tant plaisir ? Surtout si c'est pour dire de la merde...
RépondreSupprimerBon, je le dis quand même : en même temps, si ça l'a gêne de raconter tout ça, elle n'a qu'à pas le faire. C'en devient irritant plus que gênant de lire les confidences de quelqu'un qui fait semblant d'être gênée de les raconter...
(désolé, Annie Erneaux est mon Amélie Nothomb à toi)
En fait, c'est tout le côté paradoxal : je déteste Catherine Deneuve, mais j'ai regardé Belle de Jour. Pour La place, le truc d'Annie Ernaux, c'est quelle parle de son milieu, donc la pudeur se comprend. Par la suite, il y a "Se Perdre" ou son dernier livre sur les supermarchés, et on finit par se dire que ça vire au fond de commerce. Annie Ernaux et Amélie Nothomb sont les deux extrêmes du spectre :
RépondreSupprimerAnnie Ernaux : son style m'hypnotise, l'écriture à l'économie, retenue et pourtant sensuelle, un peu comme du tango dansé sur de la musique de Kraftwerk. Elle ne parle que d'elle, mais ça me parle car elle est "banale", je peux m'identifier. Pas d'imagination, l'incapacité de la fiction. Je lis le tout tendu comme un arc mais je ressors mieux armé face au monde après l'avoir lue.
Amélie Nothomb : aucun lien avec le réel, à tel point que je ne crois jamais ni à ses univers, ni à ses personnages, ni à ses histoires. Je ne me sens absolument pas impliqué par ce qui leur arrive car l'identification m'est impossible. Mais elle est paradoxalement plus sincère, et surtout, la joie que semble lui procurer l'écriture lui donne raison sur Annie Ernaux qui bien que bénéficiant d'un statut d'icône, de star du réalisme ne provoque pas l'envie, ou alors l'envie de lui envoyer 3 boîtes de Deroxat.
Merde, je suis à la bourre pour mon rdv de médecin. Merci pour le commentaire, que je trouve pertinent. Putain, les mecs, vous vous surpassez (j'avais pas encore mis putain dans ce commentaire).