Ce que j'ai pensé de...
Le blog littéraire de Michel Goussu. Des chroniques de livres de poche. Littérature contemporaine, ou non, française, ou non. Diffusées dans l'émission Des Poches Sous Les Yeux, de Radio Béton, pour les poches. Parfois, juste pour vous. Et un peu de promotion pour mon premier roman, Le Poisson pourrit par la tête, au Castor Astral.
Ce que j'ai pensé de
mercredi 27 octobre 2021
Jean-Paul Dubois : Tous les auteurs n'habitent pas la littérature de la même façon.
samedi 13 mars 2021
À la ligne, de Joseph Ponthus
J'ai été agronome, statisticien, banquier, paysan, déballeur, traducteur, chef de projet informatique, prof de math, attaché territorial, j'ai fait tout ce que je pouvais faire pour gagner ma vie en continuant à écrire, mais je n'ai jamais bossé à l'usine.
Joseph Ponthus, si. Pour suivre son épouse en Bretagne, il a quitté son métier d'éducateur spécialisé, et il pousse des bulots dans le ventre d'une machine, il trie des tas de crevettes, il nettoie le sang à l'abattoir, il accroche des carcasses, il pousse des carcasses, il trie des carcasses, il aiguille des carcasses, il se brise la carcasse et il rentre chez lui pour écrire à la ligne. À la ligne, publié aux éditions de la table ronde.
Le sous-titre du livre est feuillets d'usine. Et à la ligne prend ce double sens de ligne de production et d'écrivains payés à la ligne. Il n'y a que des lignes, pas de points, pas de ponctuation, on est entre la prose ouvrière et la poésie de combat.
Joseph Ponthus ne va pas à l'usine pour raconter la condition ouvrière, il va à l'usine parce qu'il a besoin d'argent, parce qu'il n'y a pas de job dans son domaine, Il va chercher l'argent nécessaire à leur vie, à la vie qu'il a choisie avec la femme qu'il aime. Ce n'est pas la bourgeoisie bienveillante qui se fait martyre, ce n'est pas Simone Weil travaillant son statut de martyre, c'est ce qui nous pend au nez à tous, quand on arrive en fin de droit et qu'on n'a pas trouvé autre chose que l'interim.
J'ai vu des points des virgules, vraiment, des hallucinations que mon esprit posait parce que le rythme de la phrase était évident. Parfois, en revanche, j'ai dû relire une fois ou deux parce que le retour chariot qui aurait remplacé un point n'était pas là où je l'aurais voulu. Mais pourtant, le style du livre ne tient pas sur cette écriture à la ligne. Ponthus écrit simplement, il écrit droit quand son corps est courbé et quand son esprit vrille : "Aujourd'hui, j'égoutte du tofu, comme un mantra délirant de l'absurdité de ses journées de boulot. Journées, nuit, les horaires font mal."
On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Ponthus sorte un peu de l'usine, qu'il nous dise comment ils font, elles qui terminent à 23 heures, lui qui embauche à 5 heures du matin, comment ils font pour se voir, pour s'aimer, ce qu'il reste d'énergie, comment on évite les drames. Et pourtant, on sent l'amour à chaque page, pour son épouse amour, pour sa mère, pour ceux avec qui ils travaillent, sauf ces quelques connards, ces tire-au-flanc, ces cheffaillons. Mais ce n'est pas un pamphlet, Ponthus avoue la fierté quand on tient, la camaraderie. Il n'y a pas de morale, pas de solution donnée, on aurait presque aimé un peu plus d'arc narratif, ou une chute, mais il le dit, on le sait, il n'y a pas de point final à la ligne de production, pas de point de final pour A la ligne, le livre de Joseph Ponthus, qu'on trouve aux éditions de la table ronde.
mardi 13 novembre 2018
Un long moment de silence, Paul Colize
mercredi 23 mai 2018
J'ai épousé un communiste. Philip Roth.
jeudi 1 mars 2018
La pastorale américaine, Philip Roth
Évidemment, derrière la façade, c'est toute l'Amérique qui se lézarde. Mais alors, pourquoi nous présenter l'histoire du drame provoqué par la fille du suédois comme une simple élucubration du narrateur ? Pourquoi nous forcer à cette distanciation, dont on mettra des pages à se défaire ? Par scrupule, peut-être, parce que le sujet est assez sévère : comment un père modèle peut-il engendrer un monstre ? A moins que ce ne soit l'Amérique toute entière qui ait contribué à la fabriquer ?
Ce qu'il y a de formidable, c'est l'absence de parti-pris du livre. Les choses ne sont pas simples dans cette pastorale. Les capitalistes ne sont pas tous des oppresseurs sans scrupules, mais certains le sont. Les leaders noirs ne sont pas tous des pompiers pyromanes, mais certains le sont. Tout le monde est logé à la même enseigne : Roth n'épargne personne.
Mais son personnage, Seymour Levov, lui, le Suédois, essaie de ménager chacun, alors que sa fille a commis l'irréparable, alors qu'elle a disparu, alors que le monde s'écroule, il tâche de s'accrocher à une Pastorale américaine qui n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé.
On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre soit moins bavard. J'ai lu des pages entières en
diagonales, parce que trop réelles, et que si le réel peut se répéter, le dialogue romanesque ne peut se payer ce luxe. Surtout q1ue les gens mentent, ils font l'économie du réel. Mais les usines ferment, les villes s'enlisent. Et il n'y a peut-être pas d'autre choix que de tourner le dos au réel, pour ne pas devenir fou de terreur à l'idée qu'on puisse avoir fabriqué un monstre, puis fou de tristesse à l'idée que ce monstre vous échappe, qu'il se détruise sans que vous ne puissiez rien y faire. Les retournements comme les longueurs sont proustiens, et la réunion d'anciens élève fait penser à au temps retrouvé.
On peut retrouver le même éloge paradoxal de la façade dans ce livre où Philip Roth nous décrit en profondeur les ressorts de La Pastorale Américaine, disponible en poche chez Folio.
Pour les amateurs d'audio, c'est ici.
Chez Les Weil, de Sylvie Weil
Tout faux.
Chez les Weil est un choc doux. Écrire ce qu'on sait d'une femme - que le monde considère comme une sainte- ce qu'on sait de son père -que le monde considère comme un génie- exige un courage particulier. Et une délicatesse, aussi. Sylvie Weil ne règle pas de comptes, elle écrit simplement, au départ de ce livre, qu'il n'a pas toujours été simple d'être avant tout la nièce de Simone, comme une relique qu'on vient toucher pour s'accaparer un peu de sainteté de la disparue. Elle écrit : le tibia de la sainte.
Sylvie Weil décrit ses grand-parents, et comment la mémoire de leur fille devient une vie à part entière. Ils recopient ses cahiers, dont le dolorisme finit par les ronger. Sylvie se demande ce que pense le père de la sainte, lui le médecin bon vivant, capable des pires blagues de salle de garde, ce qu'elle pense, elle, qui écrivait dans chacune de ses lettre, « ta petite femme qui te serre, qui te serre dans ses bras, » ce qu'ils pensent tous deux quand ils recopient cette phrase de Simone :
"Sexualité. Il y a un mécanisme dans notre corps qui, quand il se déclenche nous fait voir du bien dans des choses d'ici-bas. Il faut le laisser rouiller jusqu'à ce qu'il soit détruit."
Le livre suit un plan subtil, d'abord l'auteur, le tibia, puis la sainte et ses parents, enfin leurs fils, le mathématicien, le père de Sylvie Weil. Elle ne balance pas, elle ne charge pas, elle décrit simplement ce père qui, même à la fin, lorsqu'elle prend des nouvelles de lui, répond : « tu ne te débarrasseras jamais de cette exécrable manie de rester des heures pendues au téléphone? » Elle décrit simplement qu'on attendait d'elle qu'elle intéresse son père, et non de son père qu'il s'intéresse à elle. Loyale, elle rappelle les bons souvenirs, une course sous la pluie, Chicago en hiver. Chaque fois qu'elle le montre sous un jour sympathique, c'est son âme à elle qu'elle découvre, une petite fille aimante, et peut-être insuffisamment aimée.
De la même façon, elle décrit les conflits atroces entre son père et ses grand-parents autour de la publication des manuscrits de Simone, comment petit à petit l'image de la sainte a attiré les calottins, les tartuffes, comme la légende a eclipsé l'histoire. Ses grands parents se sont occupés de leur fille morte, et ils se sont coupés de leur fils vivant.
Enfin, il faut un courage fou pour aborder l'inabordable. Sylvie, un jour, parle avec un homme qui était à Londres avec Simone. Il la décrit. Petite jeune femme fatiguée, isolée, invisible, vêtue comme une pauvresse, fumant cigarette sur cigarette en attendant qu'on lui confie la moindre mission, coiffée d'un grand béret, recluse, réservée, silencieuse. Et cet homme lui révèle qu'ils savaient, là-bas, pour les rafles, les déportations, les bébés juifs. Il faut un courage insensé pour poser cette question : pourquoi Simone Weil n'a-t-elle pas un mot dans tout ce qu'elle écrit alors pour tous ces bébés juifs, fous de terreurs, qu'on sépare de leur mère.
On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé que cette chronique puisse rendre toute l'émotion, les émotions, les torrents d'émotion qu'on ressent à la lecture de ce livre simple, vrai, très beau, mais plus je relis les pages que j'ai cornées pour y revenir, et plus il me semble qu'il faudrait les recopier in-extenso.
En fait, plus Sylvie Weil parle de sa famille, de son père, le génie, de sa tante, la sainte, de ses grand-parents, et plus c'est elle qu'on a envie de connaître, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé en savoir plus que ce qu'elle raconte dans « Chez les Weil, André et Simone », paru en poche chez Libretto.
La version audio peut s'écouter ici.
dimanche 1 octobre 2017
Aïe
Parce que j'écrivais un roman.
Après trois ans, je suis enfin en train de relire le premier jet et...
C'est de la merde.
Long. Ennuyeux. Compliqué. Lent.
Je vais essayer de finir de le lire. Puis laisser passer un mois, avant de voir si on peut tenter de ranimer le patient ou pas. Mais c'est dur. Je savais qu'écrire par petit bout, le soir, ne me réussissait pas, mais je me disais, tiens bon, va au bout. Et au bout, ben, c'est aussi pire que ce que je craignais.
Et pourtant, je crois que j'ai appris plein de trucs en ratant ce premier jet.